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Publié par ERASME

" Claudine Tiercelin est philosophe. Professeure au Collège de France, cette héritière du mouvement des Lumières met un point d’honneur à défendre la probité intellectuelle mise en péril par un puissant courant irrationaliste qui travaille la société contemporaine. Dans son dernier ouvrage, La Post-Vérité ou le dégoût du vrai (2023, Editions Intervalles), la disciple de Jacques Bouveresse procède à un travail de nettoyage verbal dans le but de contrecarrer les effets délétères d’un relativisme devenu fou.
D’emblée, Claudine Tiercelin s’attaque à un certain courant post-moderne sceptique et relativiste : méfiant vis-à-vis des concepts de raison ou encore de connaissance, les zélateurs de cette mouvance auraient fait le lit de ce que nous nommons communément « l’ère de la post-vérité » (post-truth era). En effet, grisés par l’apologie primesautière de la vie, de l’intuition, voire de l’autorité et du pouvoir, un pan des penseurs de la déconstruction (du moins ses défenseurs les moins avisés) ont dynamité les piliers du rationalisme : la vérité objective, pourtant nécessaire à une émancipation authentique, s’en trouva affaiblie.
Cependant, la philosophe tient à ne pas céder au catastrophisme : le peu de considération vis-à-vis de ce qui est démontrable par des arguments solides est aussi ancienne que Mathusalem. Les Sophistes, rhéteurs antiques, manipulaient déjà les foules par le biais d’un verbe trompeur, pour qui le Logos est une arme toute-puissante indifférente à ce qui est vrai. Aristote, philosophe grec pourtant cardinal, n’était pas à l’abri d’un tel défaut : Bertrand Russell le notait, les écrits du Stagirite sont parsemés d’ « absurdités ». Aujourd’hui, c’est largement par le truchement d’Internet et des réseaux sociaux que s’infiltrent les mensonges mettant en péril la démocratie liée à la vérité. En dépit des kyrielles de commissions, des vérifications des faits (fact-checking), des lois diverses et variées, les canaux de communication modernes font le lit de ce que l’on nomme « l’effet Dunning-Kruger » : les personnes les moins qualifiées à évoquer un sujet sont celles qui sont les plus enclines à le faire.
Cependant, la désinformation et la falsification des faits ne sont pas les seules forces visant à subvertir la rigueur analytique nécessaire à la réflexion rationnelle : le moralisme ambiant conjugué à l’idéologisation à outrance mène à ce que le pragmatiste Peirce nommait « le raisonnement de pacotille » (sham reasoning) : dans ce cas de figure, la conclusion de l’argumentation a beaucoup plus d’importance que la démonstration. Ainsi, les cours de justice débordent de procès en « phobies » dénués d’arguments tandis que les complotistes agencent les événements selon leurs desiderata au détriment de la logique afin d’asséner « leur » vérité qui, ironiquement, est tout sauf vraie. En outre, Claudine Tiercelin voit dans cette crise un affaissement du langage : le sens, dans son acception de signification, semble ne pas importer dans les interventions des uns et des autres. Les concepts philosophiques de « vérité », d’ « objectivité » ou encore de « raison » ont la fâcheuse tendance d’être employés sans être définis avec acribie, ce qui fait de l’ère de la post-vérité un cauchemar pour celui qui cherche le vrai avec honnêteté et rigueur intellectuelle.
Enfin, la philosophe pointe le fait que l’ère que nous traversons se caractérise par un mépris des faits objectifs au profit de l’appel à « la croyance et aux émotions » (Oxford Dictionary). Les conditions pour entamer un débat sain ne sont donc pas remplies : en effet, les faits sont triés selon ce qui conforte nos illusions, les savants et experts sont discrédités par un populisme démagogique au mépris de toute scientificité, les preuves sont souvent délaissées, le mensonge règne impunément, il existe une confusion entre l’opinion et le savoir, enfin, la perte de l’exigence intellectuelle contemporaine fait du « tuto » l’équivalent d’études sérieuses.
A présent, penchons-nous sur l’analyse de la philosophe portant sur le règne contemporain de l’imposture intellectuelle."

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P
J'attendais ta réaction, dont je partage les interrogations fondamentales ! Tout n'est pas démontrable ni décidable, loin s'en faut ! Et ce qui l'est doit l'être dans le bon espace logique (rarement binaire) en fonction de ce que l'on peut apprécier de l'exhaustivité - et de la confiance que l'on y porte - des éléments dont on dispose pour apprécier la validité apodictique (qui qualifie un jugement ou une démonstration nécessaire et universelle) d'une connaissance ou d'une proposition (que l'on peut se hasarder d'appeler "vérité") ! Si l'on suivait à la lettre le raisonnement proposé dans cet ouvrage, nous établirions comme vrai que Dieu existe puisque Gödel est parvenu à en établir une démonstration mathématique formelle ! Tout ce développement ne tient que si l'on adhère à l'idée totalement erronée d'un point de vue scientifique, que l'on peut établir ce qu'est le Vrai sans disposer de connaissances nécessairement parfaites (précises, complètes, certaines, ...), c'est à dire en raisonnant selon une logique monotone articulée sur un principe du tiers exclu et un principe de non contradiction "non affaiblis" ! Or, cela fait au moins un demi-siècle que l'on a établi que les raisonnements en situation d'imperfection des connaissances requièrent un affaiblissement de ces principes (cf. la théorie de Lofti Zadeh sur les sous-ensembles flous ou, dans le domaine de l'information, la théorie des possibilités où l'on approche la validité de l'élément de connaissance en l'encadrant au moyen des 2 modalités du possible et du nécessaire) ! Ces questions sont traitées de manière scientifique par de nombreux chercheurs dans le monde (et notamment ceux qui participent aux conférences annuelles de l'IPMU - conférences internationales sur le Traitement d'Information et la Gestion d'Incertitude dans les Systèmes à base de connaissances - http://ipmu.lip6.fr/) Voir en particulier ls travaux menés par et/ou sous la responsabilité de Bernadette Bouchon-Meunier (https://webia.lip6.fr/~bouchon/)
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P
La "vérité scientifique", ce concept "fourre-tout" et surtout "trompe-l'oeil" utilisé trop souvent comme argument d'autorité, alors que la science ne cesse de faire bouger les certitudes scientifiques d'antan dans de nombreux domaines des sciences expérimentales (et des sciences molles) .... La vérité scientifique établie dans quel cadre (disciplinaire, interdisciplinaire, transdisciplinaire ?), dans quel système formel, avec quel système de mesure, quelles hypothèses ou postulats ? Quelle est "la vérité scientifique" à propos de l'existence du temps, à propos de l'énergie noire, à propos de la singularité du Big Bang, et plus généralement, à propos de tout ce qui nécessiterait d'avoir à notre dispositions les solutions aux grands problèmes scientifiques encore pendants ?
P
Bien des amalgames dans ce texte. La démocratie liée à la vérité ! De quel vrai s'agit-il ? Ne s'agit-il pas plutôt du vraisemblable ? Il faudrait que les réseaux sociaux soient normalisés par ceux qui connaissent positivement la vérité ? On ne saurait réduire les Lumières au positivisme ; et les pragmatistes, justement, se gardent bien de confondre l'action juste avec la vérité. La bonne application est une question de justesse, non de vérité. D'autant plus que ce développement soumet la politique, domaine de la justesse de l'évaluation, de la décision et de l'application, à la vérité scientifique, laquelle n'a rien d'absolu selon les vrais scientifiques eux-mêmes. C'est pourquoi la dénonciation des sophistes reste hautement problématique. Il y a une sagesse sophistique.
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