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Publié par ERASME

Dire que l'immigration est un problème quand on construit de ses propres mains un système économique qui permet à des boulangers parisiens d'exploiter de la main-d’œuvre clandestine dans des sous-sols miséreux est insupportable.
Dire que l'immigration est une chance parce que Mohammed, avocat ou médecin, est parvenu par la force de sa volonté à surnager du désastre produit par l'impérialisme occidental relève d'un paternalisme néocolonial qui confond cyniquement la valeur de la vie et la réussite sociale. Que "mérite", dans ce paradigme religieux et managérial, le migrant dont la vie s'éteint peu à peu sous une tente de fortune et qui erre peut-être déjà dans une allée du Bois de Boulogne ?
Poser le problème de l'immigration en terme de "chance" est donc inepte, odieux et raciste, qu'on y réponde par la positive ou par la négative. C'est une confusion générale des plans (moral et judiciaire, individuel et collectif, politique et économique) autorisée par la manipulation de concepts creux qu'on en commun une droite patronale schizophrène et une gauche morale qui adore jouer les ambulances.
Un "peuple" n'est une réalité que si il réactualise chaque jour, en un point donné de l'espace et du temps, une pulsion collective de vie. Or la réalité de nos existences, les décisions les plus banales et les plus triviales qui rythment chacune de nos vies, ne sont plus jamais déterminées par des délibérations collectives qui, de proche en proche, finiraient par impliquer un ensemble qui s'appelle "France". On ne peut donc en appeler à l'"ouverture" ou à la "fermeture" de ce qui s'est d'ores et déjà dégradé en abstraction.
Nous sommes des dépossédés.
Précisons : nous ne sommes pas les futurs dépossédés de nos "épargnes" comme se plaisent à le faire valoir les vautours de la "dissidence". Nous sommes les dépossédés de nos vies, ici et maintenant.
Dans ces conditions, "France" n'est plus qu'une arme entre les mains de la police, un troupeau qui en appelle à l'ordre parce qu'il s'entre-déchire et parce qu'il ne voit pas que l'ordre est déjà là, dans les clôtures électrifiées qui encagent son existence.
Il faut donc en revenir à l'individu et rapatrier dans le réel la conscience de notre dépossession commune. Nous ne sommes pas dépossédés parce qu'on nous a "volé" la souveraineté. Nous sommes dépossédés parce que nous refusons de l'exercer, minute après minute, seconde après seconde, jusque dans les détails les plus personnels de nos existences. Nous sommes tous pris, le migrant du périphérique comme le gilet jaune du rond point, dans des flux économiques absurdes qui fracassent nos corps et nos âmes, dans une gigantesque lessiveuse à essorer la terre et les cœurs, dans d'implacables déterminations que nous réarmons sans cesse par nos consentements.
Si "France" a encore un sens, comme "Maroc", "Mexique" ou "Palestine", ce n'est pas comme masque pour participer au carnaval des "bonnes consciences". C'est comme ancrage historique pour puiser la force du premier "non".
A chaque fois que "France" nous excite à tracer des frontières à travers le vide, à nous recroqueviller sur l'existant disparu, à nous crisper sur la peur de perdre ce à quoi nous avons déjà renoncé, elle est prison. Mais à chaque fois que les souvenirs partagés d'une histoire douloureuse jettent des passerelles entre des individus que tout oppose, "France" est un chemin de sécession, un premier pas vers un demain désirable que son espérance suffit à rapprocher.
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