Ce blog est destiné à stimuler l'intérêt du lecteur pour des questions de société auxquelles tout citoyen doit être en mesure d'apporter des réponses, individuelles ou collectives, en conscience et en responsabilité !
"En 476, Odoacre entre à Rome, dépose Romulus Augustule et renvoie à Constantinople les insignes impériaux. C'est un geste d'allégeance de la "barbarie" à la "civilisation" dont la suite de l'Histoire a retenu une signification inversée : le souvenir plus ou moins terrorisé d'une rupture qui était en fait une protestation de continuité. La figure du "barbare" aura été le fantasme de différence sous les traits duquel le même a pu continuer, à son corps défendant.
Bien souvent, sous les apparences d'altérités conflictuelles se jouent des ressemblances rivales, derrière une identité tranquille des singularités harmonieusement vécues. Quand un "nous" et des "autres" sont en guerre, ce n'est parce qu'il y a un nous et des autres, c'est justement parce que la distinction s'amenuise. Le "nous" et l'"autre" envahissent le champ de nos perceptions au moment précisément où ils ne sont plus opérants.
Aussi, pendant que l'Occident se vide de lui-même et se répand dans une logorrhée sanglante qui relève de l'incontinence sénile, c'est un nouveau 476 qui se joue à Kazan dans le silence où mûrissent les vraies ruptures. Des collectifs humains constitués comme tels dans le regard de dégoût que nous avons porté sur eux assument la responsabilité de perpétuer ce que nous ne voulons plus être. Poutine qui rêvait d'OTAN et d'Europe devient la figure à travers laquelle se récrit la charte de San Francisco : on ne se contente pas de se dire le seul "autre possible" (le Bien , la Civilisation, le Droit, la Morale) : on trace un périmètre à l'intérieur duquel on peut être "autres ensemble" (y compris négocier des frontières, ailleurs posées comme "intangibles" quand elles sont celles de l'Empire). Au même moment, l'Occident prend congé du Monde et confond sa propre sortie de l'Histoire avec une "fin" qu'il a imprudemment proclamée. Notre prétention à la totalité se révèle une déclaration d'absence.
Pour autant, il ne faut surtout pas projeter sur les BRICS nos rêves d'alternative désirable à un Occident mortifère. Tout ça se joue sous la forme d'une crise mimétique qui n'a rien à voir avec un affrontement entre des "gentils" et des "méchants". Si cette alternative existe, elle est en nous. Mais pour la faire émerger, il faut mettre des mots justes sur le réel qui nous entoure, sans aucune connotation morale.
De ce bal masqué imaginaire où plus personne ne sait vraiment qui il est, de ce carnaval où toutes les inversions sont possibles, découle le monde inquiétant mais passionnant où il nous est donné de vivre."