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Regards citoyens

Ce blog est destiné à stimuler l'intérêt du lecteur pour des questions de société auxquelles tout citoyen doit être en mesure d'apporter des réponses, individuelles ou collectives, en conscience et en responsabilité !

Jean-Yves Le Drian : « Il faut parler au Hezbollah » - Propos recueillis par Antoine Malo (La Tribune Dimanche)

Jean-Yves Le Drian craint que la guerre ne disloque le Liban.
Jean-Yves Le Drian craint que la guerre ne disloque le Liban. (Crédits : LTD/JULIEN DE ROSA/AFP)

L’ancien ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian craint que la guerre ne disloque le Liban. Il fustige l’absence d’objectifs politiques d’Israël et croit possible une négociation avec le Hezbollah.

LA TRIBUNE DIMANCHE - Êtes-vous inquiet de la situation au Liban ?

JEAN-YVES LE DRIAN - Évidemment, car si l'on n'y prend pas garde, le pays est en danger de mort, de dislocation. D'abord parce qu'il devient, par les frappes israéliennes et les ripostes du Hezbollah, le champ clos de l'affrontement entre Israël et l'Iran. À cela s'ajoutent la pauvreté, une dégradation économique considérable qui empêche l'État de subvenir aux besoins des Libanais. Or, à cause de la guerre, 1 million d'habitants sur une population de 5,5 millions sont aujourd'hui déplacés. Il y a aussi la paralysie de la vie politique et cette incapacité des responsables libanais à s'entendre sur le nom d'un président de la République. Il importerait pourtant, dans une période comme celle-ci, qu'une personnalité incarne le pays et défende son intégrité. Tout cela compose les éléments potentiels d'un chaos. Sans compter le risque de guerre civile.

Quand Benyamin Netanyahou demande aux Libanais de se débarrasser eux-mêmes du Hezbollah, ne pousse-t-il pas à ce dernier scénario ?

Bien sûr. Ce risque est aggravé par ces propos. C'est une ingérence grave, et menacer le Liban d'un deuxième Gaza constitue une provocation inacceptable.

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« Netanyahou veut détruire la bande de Gaza pour la rendre invivable » (Guillaume Ancel, écrivain et ancien officier d'artillerie)

La guerre au Liban ne signe-t-elle pas l'échec de la diplomatie ?

Jusqu'à l'élimination de Hassan Nasrallah [secrétaire général du Hezbollah], la diplomatie agissait pour être au rendez-vous de la résolution 1701 des Nations unies dans toutes ses dispositions. Les conditions étaient presque réunies pour qu'on déclenche une négociation sur son application. Ce sont ces bases-là qui avaient été retenues dans la proposition de cessez-le-feu franco-américaine de fin septembre. Elle était soutenue par le Liban, par les pays arabes et pouvait permettre de débloquer la situation sur la frontière nord d'Israël.

Les Israéliens savaient cet accord possible ?

Oui mais, malheureusement, l'intervention que nous connaissons a cassé cette dynamique. Pour autant, les conditions de discussions sur cette résolution 1701 peuvent être retrouvées sous réserve qu'il y ait un cessez-le-feu. Les dernières déclarations de Naim Qassem, le secrétaire général adjoint du Hezbollah, vont dans ce sens : il ne subordonne plus ni le cessez-le-feu ni les discussions sur la résolution 1701 à l'arrêt de la guerre à Gaza. Il faut saisir les perches qu'il tend.

Sur le Liban comme sur Gaza, les États-Unis sont tiraillés entre leur souci de préserver la sécurité d'Israël et leurs craintes d'une déstabilisation de la région.

Sauf que Washington ne pousse plus autant pour cette trêve...

Sur le Liban comme sur Gaza, les États-Unis sont tiraillés entre leur souci de préserver la sécurité d'Israël et leurs craintes d'une déstabilisation de la région. En pleine période électorale, ils ont beaucoup de difficultés à imposer une ligne politique. Même si j'ai observé que Joe Biden a condamné l'aggravation des frappes israéliennes sur le Liban.

Il a aussi qualifié l'élimination de Nasrallah de « mesure de justice ». Vous partagez cet avis ?

On sait ce qu'a fait Nasrallah, notamment à des Français. Le Hezbollah est, dans sa partie armée, une organisation terroriste. Ce que nous voulons avec nos partenaires internationaux, c'est éviter que cette faction armée maintienne sa pression sur Israël.

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Piratage des bipeurs au Liban : « Une opération exceptionnelle mais cruelle et barbare » (Vincent Crouzet, ex-DGSE)

Sa branche politique est-elle en revanche un acteur à prendre en compte ?

Il faut lui parler et moi-même je lui parle, parce qu'elle est représentée au Parlement libanais et qu'une partie des chiites s'y retrouvent, comme ils se retrouvent dans le parti Amal. Cette communauté représente 30% de la population libanaise. On ne peut pas la mettre de côté ou l'humilier.

Mais le Hezbollah est-il vraiment prêt à des compromis ?

Il faut le mettre maintenant au pied du mur. Par le biais du cessez-le-feu et par des négociations sur la résolution 1701.

Les Israéliens sont-ils d'accord pour négocier ?

Mon interrogation profonde concerne les buts de guerre du gouvernement Netanyahou. Bien sûr, le fait générateur de la situation actuelle, c'est le pogrom du 7-Octobre. Israël était en état de légitime défense et on pouvait soutenir sa riposte à cette agression barbare, inhumaine, insupportable. Mais, progressivement, la riposte est devenue une punition collective, avec des représailles indiscriminées, condamnées par le droit international. Tout se passe comme si la guerre n'avait pas d'objectifs politiques réels. On est dans une fuite en avant dans la guerre sans fin. Les tirs israéliens contre les Casques bleus sont indignes.

Faut-il, comme l'a réclamé Emmanuel Macron, arrêter de vendre à Israël des armes qui servent à Gaza ?

Je constate, avec le président de la République, qu'il y a une contradiction entre une exigence répétée de cessez-le-feu et l'acheminement permanent d'armes qui frappent la population à Gaza. Cela vaut aussi pour le Liban. Tant que cette contradiction ne sera pas levée, on alimentera cette logique de guerre perpétuelle.

Cette position n'isole-t-elle pas la France ?

C'est plutôt Israël qui est en train de s'isoler du monde. Parce que, encore une fois, on n'identifie pas les objectifs de guerre. S'ils consistent à vaincre militairement le Hamas, c'est fait, si l'on en croit les récents propos du chef d'état-major de l'armée israélienne. S'il s'agit d'éliminer les têtes du Hezbollah et de l'affaiblir, là aussi c'est fait. À partir de là, quel est l'objectif aujourd'hui ?

Remodeler la carte du Moyen-Orient ?

Formule de triste mémoire. C'était la vision des États-Unis en Irak et en Afghanistan, avec le succès que l'on sait. Au lendemain du 7-Octobre, Joe Biden a d'ailleurs dit aux Israéliens : « Ne faites pas comme nous, ne laissez pas la rage guider votre action. » Cette idéologie de transformer le Moyen-Orient par la force est porteuse d'illusions et très dangereuse.

Êtes-vous sûr que votre voix et celle de la France portent encore au Liban ?

Oui, et je le constate chaque fois que je m'y rends. J'y suis entendu et même demandé, que ce soit par les acteurs politiques ou par ceux de la société civile. Les Français sont les seuls à parler à tout le monde. C'est dans ce contexte que la France peut organiser la conférence en premier lieu à but humanitaire qui se tiendra le 24 octobre. Elle est aussi à l'initiative de la communication commune sur le cessez-le-feu avec les États-Unis. N'oublions pas non plus notre présence dans la Finul [Force intérimaire de l'ONU au Liban].

Lire aussi

Israël ordonne l'évacuation du sud du Liban, les Casques bleus refusent de se replier

Comment réagissez-vous aux tirs contre les Casques bleus cette semaine ?

C'est indigne et représente une violation inacceptable du droit international. Il faut qu'Israël cesse et s'explique. Ce sera au Conseil de sécurité de traiter de cette question, et il m'importe qu'elle soit traitée.

Faut-il craindre la réponse de Tel-Aviv après les tirs de 200 missiles iraniens sur son sol il y a dix jours ?

La possibilité d'un embrasement régional est réelle et il faut souhaiter que la riposte israélienne soit ciblée et proportionnée. Plus largement, nous sommes face à deux dénis : celui d'Israël à l'égard d'un État palestinien et celui de l'Iran à l'égard d'Israël. L'ayatollah Khamenei proclame qu'Israël n'en a plus pour longtemps. De leur côté, les Israéliens n'envisagent pas du tout la solution à deux États. C'est la source d'une confrontation majeure.

L'Iran est-il prêt à cette confrontation ?

L'attaque aux missiles diligentée contre Israël marque un tournant significatif. J'ai pourtant cru, avec l'arrivée du président Pezechkian et son discours aux Nations unies, qu'il pouvait y avoir une inflexion de la position iranienne, y compris sur le nucléaire. Mais depuis qu'une de ses cartes maîtresses dans la région, à savoir le Hezbollah, a été atteinte, Téhéran, après un débat interne, a déclenché un engrenage dangereux dont il sait qu'il peut lui échapper. Entre le message de Pezechkian et l'agression directe majeure du territoire israélien, où se trouve la position du régime ? On devrait le savoir dans les jours qui viennent.

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