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Publié par Philippe Forget

Depuis l'Antiquité, la civilisation occidentale a pensé l'être humain comme "faber" et "artifex" par nature (cf. Cicéron). Malgré leurs oppositions, péripatéticiens, épicuriens, stoïciens, ont tous célébré les techniques ("artes"), les découvertes qui ont, grâce au "Labor", soulagé l'homme de la souffrance du besoin. Le progrès des techniques a apporté une succession de bienfaits, de biens nécessaires pour goûter l'amour de la vie ("vitae amorem", Lucrèce). Les maux que suscitent ces techniques obligent à apprendre à en faire bon usage : " Pour l'homme, écrit Démocrite, les maux naissent des biens, quand on ne sait ni administrer ceux-ci, ni les supporter convenablement. Cependant, il n'est pas juste de les ranger parmi les maux, ce sont effectivement des biens."
Non seulement, le progrès des "artes" améliore la vie, mais leur recherche, leur découverte, leur création, sont source de délectation, de joie. "J'aime aller puiser aux sources vierges ; j'aime cueillir des fleurs inconnues", s'exclame ainsi Lucrèce. L'inventeur éprouve la joie d'être à l'oeuvre : "Il est plus agréable, juge Sénèque, à l'artiste de peindre que d'avoir peint."
Pour tous ces auteurs, la "progressio" créative de l'esprit ("mens") humain ne peut définitivement cesser. Elle peut certes connaître des moments de recul, de repli, d'effondrement, sans jamais cependant que l'oeuvre humaine puisse radicalement régresser. Infus d'un "feu divin", l'esprit humain selon Cicéron est voué nécessairement à "doubler la nature" en lui imposant l'activité de son intelligence. Goethe n'oubliera pas cette leçon.
Et Marx en sera le grand héritier moderne, frappant de son mépris l'âme débile qui ne sait pas jouir de la force démiurgique de l'ouvrier humain : "Celui qui n'éprouve pas une joie plus grande à bâtir l'univers et à être créateur du monde qu'à s'agiter éternellement dans sa propre peau, celui-là est sous le coup d'un anathème de l'esprit."
Dans notre histoire, seuls les cyniques grecs, les chrétiens millénaristes et les primitivistes modernes ont refusé cette joie. Qu'ont-ils donné de grand ? De quoi ont-ils augmenté l'humain ? Aujourd'hui, sous couvert d'un Marx dévitalisé, d'un dépouillement de soi, digne de Diogène ou d'un ermite efflanqué, une sorte de naturalisme apocalyptique prétend nous éveiller à la Vérité. L'Européen marche ainsi vers son abolition, formant cohue derrière des doctes fielleux. "Jovis dementat quos vult perdere."
 
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