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Regards citoyens

Ce blog est destiné à stimuler l'intérêt du lecteur pour des questions de société auxquelles tout citoyen doit être en mesure d'apporter des réponses, individuelles ou collectives, en conscience et en responsabilité !

La réparation par la France des spoliations de biens culturels commises entre 1933 et 1945 (Cour des Comptes)

Les spoliations de biens culturels perpétrées par les nazis et les autorités de Vichy sont une composante des crimes commis envers les Juifs lors du second conflit mondial. L’immense majorité des victimes de la Shoah étaient de condition modeste, et l’on a pu légitimement craindre qu’à se focaliser sur le pillage des œuvres d’art, le caractère général et systématique des persécutions dont les Juifs furent victimes entre 1933 et 1945 ne soient occulté. Cependant, trois raisons justifient l’importance particulière accordée à ce sujet et la décision de la Cour de s'en saisir. Premièrement, l'ampleur des spoliations de biens culturels demeure aujourd'hui encore largement méconnue. Deuxièmement, après la « redécouverte » de l’ampleur des spoliations dans les années 1990, l'État a mis du temps avant de commencer à restituer les biens culturels spoliés et à indemniser les victimes lorsque les biens avaient disparu. Enfin, ces biens continuent de constituer un témoignage des crimes commis durant la période 1933-1945. La Cour des comptes a ainsi souhaité dresser un bilan des processus de restitution et d’indemnisation conduits depuis la fin des années 1990. À cet égard, l’action de réparation des administrations publiques demeure inachevée.

 

Les biens culturels spoliés : un sujet redécouvert depuis les années 1990

Au sortir de la guerre, les pouvoirs publics ont conduit un important effort de restitution et d’indemnisation des biens spoliés non localisés. Sur les 15 000 biens environ qui ne purent être restitués, 13 000 furent vendus par les Domaines et un peu plus de 2 100 furent inscrits sur un inventaire spécifique en tant que « MNR » (Musées nationaux récupération). Une longue période d’oubli débute alors, qui et ne prend fin qu’au début des années 1990, avec la prise de conscience, en France comme dans le monde, de l’ampleur de la persécution des Juifs. Cette redécouverte aboutit notamment, en 2000, à la création de Commission d’indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation (CIVS) et de la Fondation pour la mémoire de la Shoah.
La création de la CIVS induit alors une activité importante de réparation pendant dix ans : environ 30 000 dossiers sont examinés entre 1999 et 2009. Mais il s’agissait essentiellement de biens matériels et d’avoirs bancaires, la part des dossiers traitant des biens culturels restant limitée. L’administration de la Culture et les Musées mirent par ailleurs une décennie supplémentaire pour se saisir pleinement du sujet. C’est ainsi à partir du milieu des années 2010 que les restitutions virent leur nombre progresser durablement, à la faveur d’une réorganisation interne à l’État et d’une mobilisation renforcée des administrations et établissements culturels.

Un cadre juridique et administratif solide

La France dispose de l’un des dispositifs de réparation des spoliations de biens culturels les plus complets des pays européens. La France est, depuis 2007, le seul pays qui indemnise encore les victimes de spoliations, par décision du Premier ministre sur recommandation de la CIVS. S’agissant des restitutions, les personnes spoliées et leurs ayants droit disposent de plusieurs voies de recours. L’ordonnance du 21 avril 1945 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l’ennemi permet de rétablir la propriété du possesseur légitime spolié ou de ses ayants droit, sans que ni la vente subséquente à un acheteur de bonne foi ni la prescription puissent y faire obstacle, et cela sans limitation de durée. La loi-cadre du 22 juillet 2023 a facilité la sortie des biens culturels spoliés présents dans les collections publiques, en vue de leur restitution. Le vote d’une loi n’est plus nécessaire. Les biens spoliés présents dans les collections publiques peuvent ainsi désormais, comme les MNR, être restitués à tout moment sur décision du Premier ministre, après recommandation de la CIVS.

Restitutions et sécurisation des collections publiques : le défi de la provenance

L’analyse des recommandations de la CIVS révèle la part croissante des demandes relatives aux biens culturels dans la période récente. Le nombre d’ayants droit indemnisés augmente avec le temps. Une étude conduite par la Cour montre que ceux-ci restent principalement des descendants de première et deuxième générations, conservant ainsi un lien étroit avec les victimes. Concernant les restitutions, la majorité porte sur les MNR et catégories assimilées. Au 4 juin 2024, 2 035 biens MNR restaient à la garde de l’État. Le nombre de restitutions a augmenté depuis les années 2010 : sur 188 restitutions de MNR depuis la Seconde Guerre mondiale, 79 ont eu lieu depuis 2013 dont 52 à l’initiative de l’État. La mission de recherches et de restitutions (M2RS) a contribué à améliorer les recherches. Il reste 150 biens assurément ou probablement spoliés non restitués, et l’historique de 1 733 MNR est encore incomplet. Les restitutions d’œuvres spoliées entrées dans les collections publiques après 1933 sont peu nombreuses, le processus de vérification des provenances n’en étant encore qu’à ses débuts : 15 œuvres ont été restituées depuis les années 2010 par voie législative, trois par la voie judiciaire, toutes à la demande des ayants droit.

Amplifier et accélérer l’action de réparation

La restitution des biens culturels spoliés reste cependant freinée par des moyens insuffisants, apparaissant en deçà des moyens accordés dans les autres États européens qui mettent en œuvre une telle politique (Allemagne, Autriche, Pays-Bas). Seuls quelques grands musées, comme le Louvre ou Orsay, ont recruté des spécialistes de la provenance. Une meilleure organisation interne est nécessaire pour traiter l’ensemble des provenances illicites. Un plan d’action sur 5 à 10 ans est recommandé pour examiner systématiquement les œuvres sensibles, avec un effort particulier attendu sur les MNR, à la garde de l’État depuis près de 75 ans. Les efforts doivent également être intensifiés s’agissant de la provenance des acquisitions. Le marché de l’art reste en outre peu impliqué : la mise en place de formations spécialisées et une responsabilisation plus forte des professionnels sont cruciales pour prévenir la vente de biens de provenance douteuse, de même que l’accès à ses archives privées, Pour l’avenir, l’enjeu est de dimensionner l’action publique et ses moyens à la hauteur des enjeux, de se fixer un horizon de temps rapproché pour passer en revue les biens culturels issus de la Récupération artistique, de lever les obstacles persistants pour conduire les recherches de provenance et de mobiliser pleinement le marché de l’art.

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