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Publié par ERASME

"C'est parce que la victime est sacrée qu'il est criminel de la tuer mais c'est parce qu'on la tue qu'elle est sacrée", disait René Girard.
Sans le sacré qui protège de la violence, sans la nécessité d'avoir à se raconter le mensonge de ce qui précède la possibilité-même d'une vérité, l'Humanité n'aurait jamais pu accéder à ce qui l'extrait de l'immanence et la fait advenir à elle-même : la conscience et le langage.
Mais depuis que le meurtre a été révélé comme cette "chose cachée" autour de laquelle gravite toute la culture humaine, le sacré agit comme un poison de honte et de culpabilité qui ronge de l'intérieur toutes les structures sociales.
Désormais, c'est cette dissimulation qu'il faut dissimuler et ce processus donne lieu à tous les rites qu'on qualifie de "mémoriels" parce qu'ils consistent à se référer sans cesse à ce dont on proclame par ailleurs la singularité radicale.
Comme aux temps archaïques, mais avec un effet de redoublement qui rend le processus redoutable, la conscience du réel s'affaisse sous le poids de sa propre Mémoire.
Derrière Ursula von der Leyen, en chœur avec "l'Europe des valeurs", nous célébrons une victoire triomphale sur les abominations du nazisme. Mais sous le vernis craquelé de ces narrations dont les libérateurs d'Auschwitz ont été soigneusement effacés, c'est bien la figure essentialisée du juif victime, à la fois haïe et divinisée, qui continue d'irradier nos mauvaises consciences fascinées : la structure fondamentale de l'antisémitisme est plus opérationnelle que jamais dans nos représentations de nous-mêmes et de l'altérité. Nos adorations et nos haines, nos affirmations et nos négations, nos totems et nos tabous sont tous plus victimaires les uns que les autres.
Nous ne sommes plus au clair avec nos dieux car nous savons que notre violence les a engendrés mais, plus nous le savons, plus nous avons besoin d'eux pour l'oublier. C'est pourquoi ils ne cessent de franchir la frontière du sacré pour revenir hanter les cauchemars de nos nuits sans lune.
Parce que ce n'est pas reproductible, nous le craignons. Mais parce que nous le craignons, ça revient. Transposant l'aporie fondatrice du sacré dans un monde dont nous croyions les cieux dépeuplés, nous voilà réduits à psalmodier des invocations en non-retour de ce qui pourtant se reproduit sous nos yeux.
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