Le Cardinal de Retz et Sénèque ....
" La maxime de Sénèque, « nul ne peut longtemps porter un masque : les artifices retombent vite dans leur nature véritable », exprime une loi immuable du rapport entre l’apparence et l’essence. Appliquée à la politique, elle invite à interroger ce moment où la posture cesse d’être tenable, où la façade se lézarde sous le poids des contradictions internes et de la réalité extérieure.
Cette logique s’inscrit dans une mécanique plus vaste, celle que décrivait le cardinal de Retz lorsqu’il affirmait : « Il y a très loin de la velléité à la volonté, de la volonté à la résolution, de la résolution au choix des moyens, du choix des moyens à l’application. » Cette séquence, implacable dans son enchaînement, met en évidence les strates du processus décisionnel et les seuils qu’il impose à celui qui prétend gouverner. Ce que Retz souligne ici, c’est la distance abyssale qui sépare l’intention de l’acte, l’idée du fait. Ce n’est pas tant l’absence d’ambition qui produit l’inconsistance, mais l’incapacité à franchir ces étapes décisives, chacune exigeant une rigueur et une cohérence que l’élan initial ne garantit en rien.
Lorsqu’un pouvoir peine à articuler une vision claire, lorsqu’il oscille entre des considérations contradictoires sans jamais opérer cette transmutation de la velléité en décision, il finit par s’exposer à ce dévoilement brutal qu’évoquait Sénèque.
La politique n’est pas un théâtre où l’on pourrait indéfiniment maintenir le même rôle, mais un espace où les postures, si elles ne s’arriment pas à une dynamique d’action, finissent par être réduites à leur vacuité. Ce phénomène ne relève pas d’un quelconque principe moral, mais d’une nécessité clinique : tôt ou tard, ce qui n’est que façade se heurte au réel et s’effondre sous son propre poids.
Loin d’être une leçon, cette observation relève d’une logique inexorable. Ce n’est pas seulement une question de sincérité ou de duplicité, mais une affaire de structure. Toute construction politique qui ne repose que sur l’habileté rhétorique ou l’évitement stratégique se heurte, à terme, à la nécessité de choisir, de trancher, d’assumer un positionnement qui excède la simple gestion du temps.
Ce que Retz et Sénèque rappellent, chacun à sa manière, c’est que la politique, comme la nature, a horreur du vide."
Nasser Michaëlene-Gabryel