Pour doter l'UE enfin d'une véritable politique de défense commune aux objectifs dépassant ceux de la PSDC, pourquoi ne pas instituer une coopération renforcée éventuellement ouverte à des Etats tiers ?
De la compétence de l'Union en matière de défense en vertu des traités
Si l’Union dispose d’une compétence en matière de défense depuis le traité de Maastricht, l'unanimité est requise au Conseil européen. Les Etats membres doivent négocier et se mettre d’accord pour prendre une décision en la matière. En outre, le Parlement et la Commission n'ont pas de pouvoir législatif direct dans ce domaine.
La politique de défense reste essentiellement une prérogative nationale, d'abord parce que l'UE ne dispose pas d’une armée propre. Les capacités militaires qu'elle peut mobiliser proviennent exclusivement des Etats membres, qui les mettent à disposition pour des missions spécifiques décidées au niveau européen. Les Etats de l'Union européenne peuvent ainsi choisir de mener des missions civiles et militaires conjointes dans le cadre de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC), composante de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Par exemple, la mission européenne EUMAM Ukraine a permis de former 70 000 soldats ukrainiens depuis 2022.
L'UE peut aussi stimuler la recherche et l'innovation en matière de défense, ainsi que la coopération entre industriels du secteur, grâce au Fonds européen de défense adopté en 2021. Enfin, la Facilité européenne pour la paix finance des opérations de PSDC dans des Etats tiers, ou bien leur apporte une aide matérielle : fourniture d'équipements militaires et de défense, infrastructures, assistance technique. Si le budget de l'UE ne peut pas financer d'opérations ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense (les dépenses restent à la charge des Etats), des mécanismes comme la Facilité européenne pour la paix permettent ainsi de contourner partiellement cette limite.
De nouvelles initiatives de l'UE en matière d'armement et de défense commune
Le 6 mars 2025, le Conseil européen extraordinaire a permis aux chefs d'États et de gouvernement des États membres de l'Union européenne de se concentrer sur des enjeux cruciaux liés à la sécurité internationale et à la défense.
Voici les principales conclusions de cette réunion relative à la Défense européenne :
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Renforcement des capacités : Les discussions ont porté sur le renforcement des capacités de défense collective, avec un accent sur les investissements dans des domaines prioritaires tels que : Défense aérienne et antimissile, Systèmes d'artillerie, Drones et systèmes anti-drones, Cyberguerre et guerre électronique
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Mobilisation de fonds : Un nouvel instrument européen a été proposé, doté d'une enveloppe de 150 milliards d'euros, pour mobiliser des fonds publics et privés supplémentaires pour la défense.
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Flexibilité budgétaire : Les États membres ont souligné la nécessité de flexibilité dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance pour permettre des investissements accrus dans la défense.
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Voici les Décisions clés adoptées le 6 mars 2025 :
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Investissement commun : Le Conseil a décidé de favoriser un investissement commun et efficace, notamment par la passation conjointe de marchés pour garantir l'interopérabilité des équipements de défense.
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Coordination entre États membres : Les dirigeants ont convenu de la nécessité d'une coordination pour éviter des écarts trop importants entre les capacités fiscales des différents États membres.
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Nous voyons bien les limites de ces conclusions qui ne concernent en réalité que le financement du réarmement des Etats membres sur la base du « RE-ARM PLAN » proposé par la Commission, mais pas la Défense européenne commune elle-même.
Cette initiative se heurte néanmoins dans la pratique à une difficulté majeure comme ce fut déjà le cas pour la mise en oeuvre de la Coopération structurée permanente inscrite au traité : Alors que le contexte international exige un moteur franco-allemand fort, uni, et à l'initiative pour renforcer la défense européenne, un éloignement stratégique et des divergences de plus en plus marquées caractérisent aujourd'hui la relation entre la France et l’Allemagne. (cf. Relancer les instances de coopération franco-allemandes en matière de défense)
Le 12 mars 2025, le général Christophe Gomart, ancien direct du renseignement militaire français et aujourd'hui député européen occupant notamment les fonctions de vice-président de la commission "de la sécurité et la défense" a déclaré publiquement à l'occasion d'un débat sur le Livre blanc sur l’avenir de la défense européenne : " Nous n’avons pas besoin d’une armée européenne; nous avons besoin d’armes conçues, produites et vendues par les Européens et aux Européens. Cela donnera de la cohérence à nos armées nationales.
N’ayons pas peur de faire face aux défis auxquels nous sommes confrontés: une Russie très hostile; des États-Unis qui prennent leurs distances et nous divisent; une Turquie liberticide qui occupe un tiers de Chypre et soutient les djihadistes en Syrie et l’Azerbaïdjan contre les chrétiens d’Arménie; un islamisme radical qui nous menace à l’extérieur comme à l’intérieur; enfin, une Chine de plus en plus puissante, dont nous sommes le plus dépendants économiquement, car elle représente 21 % de nos importations.
Soyons concrets: chaque pays doit accomplir cet effort de cohérence en achetant européen. En effet, des achats d’armes étrangères peuvent nous empêcher de mener les actions militaires que nous aurions décidées. Surtout, six États membres disposent de 120 à 4 000 entreprises de défense en mesure de répondre à nos besoins. Ces six pays doivent pouvoir vendre davantage en Europe et élaborer des politiques industrielles communes. C’est à ce seul prix que nous deviendrons indépendants et autonomes."
Si le cadre institutionnel de l'Union européenne est parvenu à accomplir de réelles avancées en matière de "défense", le traité en ayant fait un objectif politique, il dispose d'instruments spécifiques qui pourraient permettre à l'Union d'avancer plus vite sur ce registre, en prenant acte qu'une telle accélération repose sur un recours à la différenciation si tant est que ces instruments permettant de déroger aux procédures habituelles soient non seulement institutionnellement mobilisables mais effectivement mobilisés.
Où en sommes nous en 2025 ?
Pour répondre à cette question, nous prendrons appui sur l'excellent article de Nicolas-Jean Brehon publié par la Fondation Robert Schuman en février 2025 : Le soutien européen à l'industrie de défense - Bilan à mi-parcours du fonds européen de défense
Le tournant de 2021
En premier lieu, le verrou institutionnel va être levé. La lettre du traité en matière militaire est simple : pas d’avancée sans décision du Conseil à l’unanimité. L’implication de l’Union va être bouleversée par une astuce de procédure. Car si l’industrie de défense concerne un domaine qui est de la compétence des États, elle est avant tout une industrie, qui relève des règles relatives au marché intérieur, domaines dans lesquels l’Union européenne a toute légitimité. L’industrie relève des compétences d’appui et le marché intérieur guide l’action de l’Union depuis l’acte unique de 1986. Tous les fonds créés vont être adoptés par des actes législatifs ordinaires. Avec cette « communautarisation rampante » la Commission est devenue « une actrice incontournable en matière de défense ».
En second lieu, le volet budgétaire va cimenter cette percée spectaculaire. L’Union européenne intervient dans le domaine militaire principalement par deux fonds : la FEP (opérations) et le FED (industrie). Les deux fonds suivent des procédures différentes. L’un est financé par les États, avec une décision d’intervention à l’unanimité ; l’autre est financé par le budget européen avec une enveloppe annuelle fixée par l’autorité budgétaire (Conseil et Parlement) et une décision de la Commission, responsable in fine de la sélection des propositions et de l’entité coordinatrice. L’enjeu budgétaire est accessoire car les niveaux de contributions sont comparables. Mais l’autorité de décision n’est pas la même. La Commission européenne est assistée d’un comité composé des représentants des États membres, qui participe à l’élaboration du programme de travail, à l’appel à propositions et à la sélection des dossiers. Elle est assistée d’un groupe d’« experts indépendants » issus d’ « un éventail d’États membres aussi large que possible » chargés d’évaluer les aspects éthiques des projets. S‘agissant de questions militaires, l’assistance du comité joue un rôle déterminant.
La défense apparaît pour la première fois dans le cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027 dans une nouvelle rubrique « sécurité et défense ». La programmation n’est pas seulement un document budgétaire fixant des plafonds de dépenses mais aussi un document d’affichage politique énonçant des priorités. Il regroupe alors l’appui à l’industrie d’armement et un programme mobilité destiné à améliorer le transport militaire entre les États, même si la rubrique ne représente qu’une part modeste du budget (1,23%). Après la révision du CFP du 29 février 2024, le montant atteint 16,4 milliards € (prix courants). Les seules dépenses militaires représentent 11,14 milliards € sur la période 2021-2027.
Le fonds européen de défense (FED) créé en 2021 devient le fonds du soutien des projets coopératifs d’armement. La guerre en Ukraine est un accélérateur puissant. Elle entraîne la mise en place d’un instrument visant à renforcer l’industrie européenne de la défense au moyen d’acquisitions conjointes (EDIRPA) pour soutenir les achats groupés d’armements incluant au moins trois États. La contribution versée aux Etats représente 15 % du coût total. L’instrument est doté de 300 millions € sur la période 2023-2025. Suit le programme de soutien à la production de munitions (ASAP) qui vise à porter la capacité de production de munitions de l’industrie européenne à 2 millions d'obus par an d'ici à la fin de 2025. L’aide est versée aux entreprises. Le budget alloué est de 500 millions € pour la période 2023-2025.
Cette originalité ne peut être comprise sans comparaison.
Le FED est un outil budgétaire parmi les plus intéressants, celui où l’Union européenne trouve toute sa légitimité. Car le fonds, comme les programmes de recherche, favorise la coopération européenne, ce qui n’est pas le cas des principales politiques budgétaires comme la politique agricole commune et la politique de cohésion, qui sont des politiques de redistribution. L’Union européenne, c’est faire travailler les gens ensemble et pas seulement redistribuer l’argent via le budget européen. Le FED le fait.
Les dotations consacrées aux dépenses militaires dans le budget européen atteindront 1,8 milliard € en 2025. Une somme dérisoire par rapport aux dépenses militaires des États membres (552 milliards € en 2024) mais significative à l’échelle du budget européen.
Quelles ont été les étapes de ce processus ?
Concordia, première opération militaire de l’Union européenne, a été suivie de dix-huit autres principalement en mer Méditerranée et en Afrique. Formellement, ces opérations sont des actions communes décidées par le Conseil à l’unanimité. Une part du financement est commun mais les dépenses sont financées par les Etats hors budget de l’Union. Les règles sont fixées par le dispositif Athéna. Le financement collectif ne concerne que les coûts communs. La prise en charge varie selon la nature des dépenses et la phase de l’opération. En 2021, la Facilité Européenne pour la Paix (FEP), succédant à Athéna, devient l’instrument principal de l’aide militaire européenne. Les missions sont élargies à l’assistance qui permet de renforcer les capacités militaires des États tiers en fournissant à la fois des matériels non létaux et létaux. Conçue comme un outil d’assistance militaire destinée aux pays africains faisant face aux menaces terroristes, ce mécanisme sera utilisé pour financer l’aide militaire à l’Ukraine.
Toutes les initiatives liées à la sécurité et la défense mettent l’accent sur les capacités industrielles et l’effort d’armement. Le manque d’investissement et la fragmentation de l’offre de matériels militaires sont les handicaps structurels de l’industrie de défense européenne.
La première initiative en faveur des coopérations industrielles européennes remonte à la création en 1996 de l’organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAr), une organisation intergouvernementale qui rassemble quelques États mais n’a pas de moyen financier. En 2004, le Conseil crée l’agence européenne de défense (AED), destinée à soutenir les projets coopératifs des États dans l’industrie de défense. Le budget annuel est limité mais le rôle de l’Agence est suffisamment important pour qu’elle figure dans le traité de Lisbonne. En 2018, l’Union européenne crée le programme européen de développement industriel de la défense (EDIDP), précurseur des fonds qui vont suivre.
Dès février 2010, nous avions évoqué sur ce blog la possibilité qu'offre le traité de Lisbonne d'instituer dans le cadre de l'Union une coopération renforcée dans le domaine de la défense. Nous avions envisagé une telle opportunité en lien avec l'instrument de la coopération structurée permanente (CSP) destiné au réarmement des Etats membres par le jeu de coopérations technologiques, industrielles et programmatiques au sein de l'Union en articulation avec sa démarche capacitaire : Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) : l'instrument de la coopération renforcée
Les institutions européennes, les mouvements fédéralistes européens (adeptes du "tous ensemble sinon rien") comme les mouvements souverainistes eurosceptiques les plus radicaux (adeptes du rien du tout ensemble), ainsi que certains Etats membres aux motivations et influences peu équivoques se sont retrouvés pour procéder à élever les différents blocages qui entravent son efficacité actuelle.
La CSP fonctionne mal d'une part parce que les principales DGA (directions générales de l'armement) nationales, en accord avec la plupart des industriels placés sous leur tutelle, considèrent contre-performantes les coopérations européennes en matière d'armement, leur compétition à l'export expliquant en partie ces réticences, et d'autre part parce qu'elle a été mise en oeuvre de façon trop inclusive, en pleine opposition avec les motivations qui en justifiaient l'intérêt ! Trop de petits pays dont les DGA étaient sous influence américaine sont entrés dans ce dispositif .... créant ainsi les conditions de son échec relatif ! Ce n'est pas la CSP qui est le problème en soi, ce sont son inclusivité, la compétition franco-allemande en matière d'armement et probablement aussi l'absence d'un noyau dur en matière de PESC (cf. Mettons en oeuvre une coopération renforcée dans le domaine de la Politique étrangère et de sécurité commune de l'UE, condition sine qua non de l'établissement de la coopération structurée) ! (cf. également Europe de la défense : les trop nombreux renoncements des pays européens (rapport) ainsi que Défense européenne : le doute sur l’efficacité de la Coopération structurée permanente).
Pour autant, la clause de solidarité, introduite par l'article 222 du traité sur le fonctionnement de l'UE, permet aux États membres d'agir conjointement en cas d'attaques terroristes ou de catastrophes naturelles et humaines, en fournissant une assistance y compris militaire à ceux qui en ont besoin (comme cela a été fait lors des attaques de Madrid en 2004),des opérations militaires ont été menées dans le cadre de la PSDC, la clause de défense mutuelle inscrite au traité à l'article 42, paragraphe 7 [qui établit une obligation de solidarité entre les États membres en cas d'agression armée sur le territoire d'un État membre, sans pour autant affecter le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres, notamment ceux qui ont choisi une neutralité militaire, et coexiste avec les engagements des États membres au sein de l'OTAN, qui reste le fondement de leur défense collective] a été activée en novembre 2015 après les attentats de Paris, la coopération structurée permanente (Les éléments du traité de Lisbonne relatifs à la Coopération structurée permanente) est parvenue à être instituée 8 années après la mise en oeuvre du Traité entre des « Etats membres qui remplissent des critères plus élevés de capacités militaires et qui ont souscrit des engagements plus contraignants en la matière en vue des missions les plus exigeantes" dans le cadre de l’Union (Article 42.6 du traité sur l'Union européenne - TUE -), des projets d'armement ont été engagés dans ce cadre, un fonds Défense comme d'autres fonds ont pu être institués, et le cadre budgétaire de l'Union est désormais ouvert à de nouvelles lignes de dépense relatives au financement par l'UE de certaines activités ayant des implications militaires ou en matière de défense ...
Nb : Il est à noter que, dans les points II et III de la déclaration commune du Conseil Franco-allemand de Défense et de Sécurité en date du 18 septembre 2003 (cf. sur ce blog l'article intitulé "les institutions au service du couple franco-allemand"), les autorités politiques allemandes et françaises s'étaient engagées en faveur de la transformation de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) en une Union Européenne de Sécurité et de Défense (UESD). Mais ce projet n'a donné lieu à aucune concrétisation (L'Union européenne de sécurité et de défense : un projet politique porté disparu ! (nouvelle édition)) !
En 2011, s'’exprimant à l’université Humboldt de Berlin, pour la fête de l’Europe, Michel Barnier, alors Commissaire chargé du Marché intérieur après avoir présidé en son temps le groupe de travail n°8 consacré à la Défense, de la Convention européenne qui a conduit au Traité de Lisbonne, a appelé à « relancer le chantier d’une Communauté européenne de défense, s’il le faut dans le cadre d’une ‘coopération structurée’ (rendue) désormais possible avec le Traité de Lisbonne ». Pour lui, cette coopération aurait pu se structurer autour de quelques projets : « Un véritable état-major, une mutualisation systématique des efforts de recherche et de programmation et des capacités, une préférence européenne pour les acquisitions. L’Union doit se doter d’une véritable capacité permanente de planification et de conduite des opérations comme la Pologne et l’Allemagne ou la France l’ont souhaité. Et la création d’un réseau de consulats européens dans le reste du monde regroupant au moins les pays de l’Espace Schengen volontaires pour travailler ensemble et apporter une aide commune à leurs compatriotes. » Ce n’est pas vraiment un choix, estimait-il, mais une nécessité guidée par un objectif. « L’enjeu pour l’Europe est d’être prête à assumer de plus en plus sa propre défense collective, mais aussi à devenir un partenaire robuste et crédible des Etats-Unis. En matière de sécurité, (terrorisme, cyber-attaques, criminalité organisée) ou de défense (conflits régionaux, défense collective du continent, prolifération nucléaire), aucun Etat européen ne peut faire face seul à toutes les menaces. (Et) les contraintes budgétaires sont telles pour chacun de nos pays, s’il reste seul, que cela conduirait au décrochage stratégique pour tous. »
Dès lors, puisque le Conseil européen, conformément au traité, dispose des compétences requises pour établir les intérêts et les objectifs stratégiques de l'Union, pourquoi ne pas établir entre plusieurs Etats membres déterminés une coopération renforcée pour doter enfin l'UE des prémisses d'une véritable politique de défense commune aux objectifs dépassant ceux de la PSDC, éventuellement ouverte à des Etats tiers (Suisse, Norvège, ..) ?
Il s'agit ici d'inscrire dans le débat ouvert par le mémorandum Spinelli une option "originale" comparable dans l'esprit d'une "coopération structurée permanente restreinte" dédiée non pas aux seules questions industrielles et/ou d'armement mais aux enjeux doctrinaux et stratégiques de cette politique commune en devenir.
Le cadre de coopération spécifique de la coopération renforcée pourrait alors bénéficier des instruments d'ores et déjà mis en place au sein de l'Union : Comité militaire, Etat major de l'UE, Agence européenne de défense, EU INTCEN, SATCEN, etc. et bénéficier des innovations institutionnelles et fonctionnelles proposées par la résolution attachée au rapport Lamassoure. Ce dont ne pourrait probablement pas disposer une UESD hors du cadre de l'Union !
Enfin, ce cadre restreint, qui ne nécessite aucune modification des traités, pourrait offrir un cadre politico-institutionnel plus approprié que celui de l'UE pour que puisse être examiné sous tous ses aspects, y compris les plus techniques et confidentiels, la proposition émise en février 2025 par le président Macron relativement au partage, uniquement avec ceux qui y aspirent et y trouvent un intérêt stratégique, de la politique de dissuasion française.
Schématiquement, il jouerait alors le même rôle que l'Eurogroupe au sein de l'UEM dont le développement en 3 phases a permis à chaque Etat de l'Union son adhésion progressive, après avoir satisfait à des exigences précises, à la 3ème phase d'intégration, celle du passage à l'euro (rôle tenu ici par la garantie de protection nucléaire).
Nb : Par le passé, plusieurs présidents de la République se sont essayés à cet exercice de "gesticulation politico-stratégique" autour d’une forme de « collectivisation » européenne de la dissuasion. Les différents ballons d’essai apparus dans l’air du temps furent nombreux : directoire à Trois, dissuasion concertée (Juppé, 1995), dissuasion « élargie » (Giscard d’Estaing, 1974) ; parapluie nucléaire européen (Chirac, 2006) ; dialogue sur l’apport de la dissuasion pour la sécurité commune avec les partenaires européens qui le souhaitent (Sarkozy, 2008) ; contribution dans les faits à la protection des intérêts vitaux de l’Union (Hollande, 2015) et existence de forces nucléaires ayant une dimension authentiquement européenne et « imposant » un dialogue stratégique avec les partenaires (Macron, 2020).
A l'exception de la France, tous les pays membres de l'UE également membres de l'Otan sont parties au groupe des plans nucléaires de cette organisation (Groupe des Plans nucléaires de l'OTAN)
La réflexion lancée par Emmanuel Macron a notamment pour but d’associer plusieurs pays clefs dans l’élaboration des plans stratégiques de ce qui pourrait constituer à terme le pilier européen de l'OTAN. Ce serait un premier pas.
Pourquoi cela est important ? Parce que toute discussion sur un futur partage européen de la dissuasion nucléaire devrait entraîner logiquement une « européanisation » de la filière avec plusieurs pays (l’Allemagne et la Pologne sont les premiers sur les rangs).
Il faut faire attention à l'objet dont on parle : définir l'enceinte européenne ad hoc, les sujets à aborder, les évolutions doctrinales dans les politiques de défense, ce qui peut être affiché prochainement comme gestes militaires (escale de sous-marins, déploiements sans armes des appareils de la force aérienne stratégique). L'environnement de l'arme nucléaire en matière de guerre électronique, ou encore le renseignement d'intérêt stratégique peuvent faire l'objet de nombreuses avancées. La France ne disposant pas dans son arsenal nucléaire de missiles tactiques, comme l’Iskander russe, la question de l’élargissement de la doctrine à un nucléaire tactique doit pouvoir être examinée dans une enceinte appropriée.
Par ailleurs, il conviendra d'être au clair sur les dispositifs nucléaires de l'OTAN, sachant que la France a fait le choix de ne pas rejoindre le Groupe des plans nucléaires (NPG) de l'Alliance atlantique, malgré son retour dans son commandement militaire intégré en 2008.
Quant à la question du partage des coûts, qui n'est pas une demande française et qui ne changerait pas le processus de décision, mais engendrerait un destin commun, le défunt ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble l’avait déjà mise sur la table. Pour ce dirigeant chrétien-démocrate, la République fédérale aurait intérêt à amorcer le débat sur le parapluie nucléaire européen en payant la moitié des six milliards d’euros du programme atomique français. Le fait de partager l’addition imposerait aussi aux Etats-Majors une cartographie des centres militaires essentiels à protéger dans les différents pays concernés. Fait important : si le projet de futur avion franco-allemand SCAF aboutit, c’est sur ces appareils que les bombes et missiles nucléaires français seront arrimés.
De fortes résistances sont à attendre, eu égard au nouveau partage de souveraineté que cela occasionnerait sur un registre on ne peut plus stratégique.
Il existe de toutes les manières un préalable institutionnel incontournable au lancement d'un tel projet : une adhésion majoritaire des Français consultés par voie référendaire.
En dehors des pistes évoquées supra, pourrait-on aller plus vite et de manière plus intégrative pour développer les prémisses d'une véritable politique de défense commune, préalable à une défense commune ?
Quelles clauses du Traité de Lisbonne permettent de déroger à la procédure habituelle ?
- Les clauses passerelles permettent, dans certains domaines, de passer du vote à l'unanimité à la majorité qualifiée, ou d'une procédure législative spéciale à la procédure législative ordinaire. Elles ne sont pas applicables pour les "décisions ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense"
- Les clauses de frein permettent à un État membre, dans certains domaines, de demander la suspension d'un processus législatif qu'il estime contraire aux principes fondamentaux de son système.
- Les clauses d'accélérateur permettent de faciliter la mise en place de coopérations renforcées dans certains domaines : la coopération judiciaire en matière pénale (art. 82 TFUE) ; l’établissement de règles communes pour certains crimes graves revêtant une dimension transfrontalière (art. 83 TFUE) ; la création d’un Parquet européen (art. 86 TFUE) ; la coopération policière (art. 87 TFUE).
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Ces clauses peuvent être déclenchées en cas de désaccord des États membres sur le projet, c'est-à-dire en cas d'échec de la procédure législative.
Si au moins neuf États souhaitent instaurer une coopération renforcée dans ce domaine, ils en informent le Parlement européen, le Conseil et la Commission. L'autorisation de procéder à une coopération renforcée est alors réputée accordée, sans avoir à passer par la procédure habituellement imposée pour la mise en place d'une coopération renforcée.
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Là encore, ces clauses ne sont pas applicables pour les "décisions ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense".
- Voir ces clauses en détail (cf. quelles clauses permettent de déroger à la procédure habituelle ?).
- L'heure est peut-être venue d'envisager d'entreprendre une modification de ces clauses permettant de les élargir aux décisions ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense, à l'occasion du prochain processus de révision des traités.
Les coopérations renforcées
Introduite par le traité d’Amsterdam en 1997, la coopération renforcée constitue une modalité particulière de différenciation du rythme de participation des États membres à l’approfondissement de l’Union européenne (cf. art. 43-45 TUE, art. 326-334 TFUE).
Cette notion de coopération renforcée se singularise par son ambivalence. De prime abord, elle porte en effet un coup d’arrêt à l’intégration, qui suppose que tous les États membres avancent au même rythme et participent aux mêmes politiques. En rompant avec cette logique unitaire ou uniformisante, la coopération renforcée se présente comme un facteur d’hétérogénéité. Toutefois, la quasi-impossibilité d’obtenir un accord au sein du Conseil sur toutes les questions sensibles, en raison du droit de veto que confère, dans certains domaines, à chaque État membre le vote à l’unanimité, légitime le recours à la coopération renforcée. Ses vertus résident dans l’effet d’entraînement qu’elle est censée produire. La différenciation apparaît ainsi comme une sorte d’expérimentation. Il y a là une source de motivation supplémentaire pour les États qui l’initient, dans la mesure où ils sont condamnés à réussir s’ils veulent être rejoints par ceux qui n’y ont pas participé d’emblée.
Présentée comme un mal nécessaire, comme une entorse temporaire à l’uniformité, la coopération renforcée bénéficie d’une image positive.
Les conditions de mise en œuvre de la coopération renforcée
Les conditions posées par le traité d’Amsterdam à la mise en œuvre d’une coopération renforcée étaient très restrictives. L’assouplissement décidé à Nice (décembre 2000) est resté trop timide pour répondre aux attentes (cf. art. 43-45 TUE et 326-334 TFUE). Les États qui souhaitaient instituer une coopération renforcée devaient respecter les traités et le cadre institutionnel de l’Union, les droits et obligations des États membres qui n’étaient pas parties à la coopération renforcé et surtout l’acquis dit communautaire. En outre, la coopération renforcée ne devait être utilisée qu’en dernier ressort, lorsqu’il apparaissait, au sein du Conseil, que l’objectif poursuivi ne pouvait être atteint en recourant aux procédures normales. D’ailleurs, si le Conseil européen pouvait intervenir dans le processus de création d’une coopération renforcée, le traité de Nice prévoyait que la décision serait finalement prise par le Conseil des ministres.
Le luxe de précautions qui entourait la création d’une coopération renforcée s’expliquait par la volonté doublement négative des États membres. Ceux-ci entendaient, en effet, se réserver la possibilité de ne pas participer, mais aussi d’empêcher qu’une coopération renforcée ne voie le jour sans eux. La coopération renforcée devait être réformée pour devenir un outil placé au service de l’approfondissement.
C’est ainsi que le traité de Lisbonne élargit les possibilités de coopérations renforcées. Celles-ci peuvent désormais porter sur tous les domaines de l’action européenne, à condition de réunir au moins neuf États membres. L’autorisation de procéder à une coopération renforcée est accordée par le Conseil des ministres, qui statue à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission et après approbation du Parlement européen. Mais, s’il s’agit de la PESC, l’autorisation est accordée par le Conseil des ministres statuant à l’unanimité. La Commission et les États participant à une coopération renforcée encouragent le plus grand nombre d’États à prendre part à cette coopération, mais seuls les États participants participeront à l’adoption des actes. Par ailleurs, à l’intérieur des coopérations renforcées – sauf celles ayant des implications militaires ou concernant le domaine de la défense –, il sera possible de recourir à la "clause passerelle".
En juillet 2010, 14 États membres, dont la France, ont mis en œuvre une première coopération renforcée sur l’adoption de règles communes concernant la loi applicable aux divorces des couples binationaux. Une deuxième concernant le brevet de l’Union européenne a été décidée en 2013, et devrait devenir opérationnelle d’ici la fin 2018. Enfin, en octobre 2012, la Commission européenne a donné son feu vert pour la création d’une nouvelle coopération renforcée visant à introduire entre 11 pays une taxe sur les transactions financières. Le Parlement européen a donné son aval en décembre 2012 et le Conseil de l’Union européenne a approuvé, le 22 janvier 2013, la décision autorisant l’engagement de cette coopération renforcée. Mais le projet ne s’est toujours pas concrétisé, faute d’un compromis entre les États participants sur ses modalités précises (assiette, montant).
Sur quel critère fonder la différenciation : la volonté ou la capacité ?
Cette question n’a toujours pas reçu de réponse. Or, elle est capitale car elle conditionne l’avenir de la construction européenne. Le risque est qu’à l’avenir l’Union européenne ressemble à un vaste self-service dans lequel chaque État « piocherait » à sa guise. Les souverainistes, qui défendent cette perspective, souhaitent s’orienter vers une « Europe à la carte », tandis que les fédéralistes privilégient une « Europe à plusieurs vitesses ».
Cette dernière conception repose sur le critère de la capacité. Il en résulte que le seul empêchement justifiant qu’un État membre ne participe pas à une coopération renforcée serait son incapacité à remplir les conditions requises. Il s’agit donc alors uniquement d’admettre des différences de rythmes dans la construction européenne, tous les États membres poursuivant la même finalité.
À l’opposé, les tenants de l’Europe à la carte considèrent que chaque État doit avoir la possibilité de décider s’il souhaite approfondir, ou non, sa participation à l’UE. Mais cette approche comporte un risque de désintégration et de désolidarisation.
Très nombreux sont les observateurs de la vie de l'Union européenne qui s'étonnent que l'instrument de la coopération renforcée inscrit au Traité n'ait pratiquement jamais été mobilisé pour dépasser les blocages inhérents à des réticences de certains Etats membres à l'égard d'un sujet qui justifierait une initiative de l'Union.
Quelles peuvent bien être les raisons de ces difficultés ? Nous répondrons à cette question en limitant notre regard aux seules contraintes juridiques et institutionnelles de la procédure d'institution d'une Coopération renforcée au sein de l'Union européenne.
Une Coopération renforcée (CR) ne peut pas être instituée "sans le soutien des institutions communautaires". Selon l'article 329 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, dans le cas de figure le plus commun : " l'autorisation de procéder à une coopération renforcée est accordée par le Conseil (à la majorité qualifiéé) sur proposition de la Commission et après approbation du Parlement européen ".
Première contrainte : avant la décision majoritaire du Conseil, il faut donc une proposition de la Commission et un accord du Parlement européen.
Seconde contrainte : pour les domaines politiques qui requièrent une co-décision Conseil - Parlement, une fois la CR instituée, la co-décision interne se fait entre le Conseil limité aux seuls Etats participants et le Parlement européen tout entier, c'est à dire y compris les membres des Etats tiers à la CR !
Cette situation tient au fait que le Traité de Lisbonne ne permet pas une division des institutions "fédérales" de l'Union européenne, qu'il s'agisse de la Commission européenne, du Parlement européen ou de la Cour de Justice de l'Union.
Si une telle disposition ne pèse pas, théoriquement, lors de la procédure d'établissement de la proposition initiale par la Commission en raison du fait que les membres de celle-ci ne "représentent pas leur pays d'origine", il est en tout autrement s'agissant du Parlement européen ! En effet, une partie des membres de ce dernier sont appelés à prendre des décisions qui ne s'appliquent pas aux pays et aux citoyens qu'ils représentent !
Cette situation institutionnelle paradoxale n'est pas nouvelle !
Elle se pose aujourd'hui pour toutes les décisions qui portent sur des domaines à l'égard desquels des Etats membres bénéficient de dérogations ou d'opt out !
Pour autant, aucun véritable blocage n'est à observer dans ces domaines ! Et l'UE, même si elle a stupidement tardé à la mettre en oeuvre, est bien parvenue à activer l'instrument de la coopération structurée permanente !
Cette situation ne saurait donc constituer un prétexte permettant de justifier l'absence d'audace nécessaire des institutions lorsqu'il s'agit de doter l'Union, ou tout au moins, une partie de ses Etats membres, des instruments qui leur sont nécessaires pour répondre à des défis requérant la mise en oeuvre de solutions transnationales !
En 2019, constatant les blocages récurrents quant au recours à cet instrument de différenciation pourtant nécessaire au développement de certaines grandes politiques de l'Union à l'égard desquels des enjeux de souveraineté rendent difficiles des avancées substantielles dans le sens d'une plus grande intégration, le député européen Alain Lamassoure est parvenu à faire adopter par le Parlement européen un rapport sur la mise en œuvre des dispositions du traité concernant la coopération renforcée assortie d'une résolution très précise à son égard (cf. RAPPORT sur la mise en œuvre des dispositions du traité concernant la coopération renforcée)
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