Si John Rawls réapparaissait en 2025, que nous dirait-il sur ce que notre société contemporaine a fait de la liberté et de la justice ?
La pensée de John Rawls, avec sa Théorie de la justice (1971) et son idéal d’une société fondée sur l’équité et la coopération, offrirait un miroir à la fois implacable et stimulant à notre époque. Si Rawls revenait en 2025, son analyse de la liberté et de la justice serait probablement marquée par une profonde préoccupation, mais aussi par des pistes pour réorienter nos institutions.
Voici ce qu’il pourrait nous dire, en s’appuyant sur les défis majeurs de notre société :
Rawls (consterné, mais analytique) : « Dans Théorie de la justice, j’ai proposé que les inégalités ne soient tolérées que si elles profitent aux plus désavantagés. Or, aujourd’hui, la concentration des richesses est telle que les 1 % les plus riches possèdent plus que les 50 % les plus pauvres. Les mécanismes de redistribution sont affaiblis, et les États, sous pression des marchés, réduisent les services publics au lieu de les renforcer. Où est la justice quand des milliardaires paient des impôts dérisoires tandis que des familles peinent à se loger ou à se soigner ? »
Ce qu’il soulignerait :
- L’effritement de l’État-providence : Les politiques d’austérité et la financiarisation de l’économie ont sapé les fondements de la solidarité.
- Le pouvoir politique des élites : La capture des institutions par les lobbies et les ultra-riches fausse le principe d’égalité des chances.
- Un appel à réformer la fiscalité : Rawls exigerait une imposition progressive radicale, des taxes sur les héritages et les transactions financières, et un revenu universel pour garantir un socle de dignité à tous.
Rawls (critique) : « Vous célébrez vos ‘libertés individuelles’, mais que valent-elles si des millions de personnes n’ont pas accès à une éducation de qualité, à un logement décent, ou à des soins ? La liberté ne se réduit pas à l’absence de contrainte légale—elle exige des conditions matérielles pour s’exercer. Votre société offre des droits sur le papier, mais les inégalités structurelles en limitent l’exercice pour une majorité. »
Exemples concrets :
- L’éducation : Les inégalités scolaires se creusent, avec des systèmes publics sous-financés et des élites se réfugiant dans des écoles privées.
- La santé : Dans des pays comme les États-Unis, l’accès aux soins dépend de la richesse, ce que Rawls considérerait comme une violation flagrante de l’égalité des chances.
- Le logement : La spéculation immobilière prive des générations entières de stabilité, rendant la liberté de choisir sa vie illusoire.
Sa proposition : Rawls insisterait pour que les libertés de base (droit de vote, liberté d’expression, etc.) soient indissociables de conditions sociales et économiques permettant leur exercice effectif. Cela passerait par des investissements massifs dans les services publics et une régulation stricte des marchés.
Rawls (inquiété) : « Une démocratie digne de ce nom repose sur une délibération publique éclairée, où chacun peut participer à égalité. Pourtant, vos médias sont dominés par des oligopoles, vos débats politiques sont pollués par la désinformation, et vos citoyens, désillusionnés, se tournent vers des populismes qui promettent des solutions simples à des problèmes complexes. Où est l’espace pour un ‘consensus par recoupement’ quand la société est fracturée par des algorithmes qui enferment chacun dans sa bulle ? »
Diagnostic :
- La polarisation : Les réseaux sociaux amplifient les divisions et rendent le compromis impossible.
- La capture des médias : L’information est devenue un produit de consommation, souvent biaisé par des intérêts privés.
- La défiance envers les institutions : Les citoyens ne croient plus en la capacité des gouvernements à représenter leurs intérêts.
Ses recommandations :
- Réformer les médias : Créer des espaces publics indépendants, financés par des fonds citoyens, pour garantir une information pluraliste.
- Encadrer les réseaux sociaux : Limiter la concentration du pouvoir algorithmique et promouvoir des plateformes favorisant le débat démocratique.
- Renforcer la participation citoyenne : Expérimenter des formes de démocratie délibérative (assemblées citoyennes tirées au sort, budgets participatifs).
Rawls (humble, mais engagé) : « Je n’ai pas assez anticipé les défis écologiques. Pourtant, la justice exige que nous considérions les droits des générations futures. Votre société sacrifie l’environnement sur l’autel de la croissance, hypothéquant les possibilités de vie des enfants à naître. Cela viole le principe de justice entre les générations. »
Ce qu’il proposerait :
- Intégrer la soutenabilité dans le principe de différence : Les politiques économiques doivent être évaluées non seulement à l’aune de leur impact sur les plus pauvres aujourd’hui, mais aussi sur leur impact environnemental à long terme.
- Un ‘voile d’ignorance’ élargi : Imaginer des institutions où les décideurs ignoreraient à quelle génération ils appartiennent, pour garantir des choix équitables.
- Taxer les activités polluantes : Redistribuer les revenus vers des projets de transition écologique et sociale.
Rawls (nuancé) : « Dans Le Droit des peuples, j’ai défendu l’idée que chaque société doit d’abord assurer la justice en son sein avant de penser à une justice globale. Mais votre monde est interconnecté comme jamais. Les inégalités entre nations poussent des millions de personnes à migrer, souvent au péril de leur vie. Vos frontières sont devenues des murs, et vos politiques migratoires, des instruments de souffrance. »
Ses questions :
- La justice commence-t-elle aux frontières ? Doit-on étendre les principes de justice sociale à l’échelle mondiale ?
- Le devoir d’assistance : Les pays riches ont-ils une obligation morale d’aider les pays pauvres, ne serait-ce que pour réparer les injustices historiques (colonialisme, exploitation) ?
- Les droits des migrants : Comment concilier souveraineté nationale et respect des droits humains ?
Ses pistes :
- Un fonds global de redistribution : Taxer les flux financiers internationaux pour financer le développement et l’accueil des migrants.
- Des accords internationaux contraignants : Garantir des voies légales de migration et des standards minimums de traitement pour les réfugiés.
- Repenser la fiscalité : Instaurer une imposition progressive radicale pour financer des services publics universels (santé, éducation, logement).
- Démocratiser l’économie : Limiter le pouvoir des actionnaires, promouvoir les coopératives et les entreprises sociales.
- Protéger la délibération publique : Réguler les médias et les réseaux sociaux pour restaurer un espace de débat commun.
- Intégrer l’écologie dans la justice sociale : Lutter contre les inégalités environnementales et garantir un avenir vivable aux générations futures.
- Étendre la solidarité au-delà des frontières : Repenser les politiques migratoires et d’aide au développement dans un esprit de justice globale.
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