De l'hypothèse d'un "emprunt européen" à la nécessité d'une réforme générale des prélèvements obligatoires en Europe ! (nouvelle édition)
En votant le rapport Ferreira sur la relance économique, le Parlement européen a adopté à la mi-mars 2009 un
amendement initié par le député européen Bernard Lehideux (groupe des libéraux et démocrates européens) qui invite à "étudier la possibilité d'un grand emprunt européen garanti solidairement
par les Etats-membres". Les réticences ont été nombreuses malgré la prudence du libellé (350 voix pour, 317 contre).
Parmi les motivations affichées par ce député figure la nécessité d'envoyer le signal d'une réponse commune à la crise et de garantir contre les risques d'éclatement de la zone euro en aidant des
pays comme la Grèce et l'irlande à bénéficier de taux d'intérêts favorables alors qu'ils sont contraints d'emprunter à des taux élevés.
Cette idée d'emprunt européen n'est pas nouvelle. En 1993, Jacques Delors avait déjà lancé l'idée d'un tel emprunt. Mais n'oublions pas qu'en 1997, il avait assorti cette proposition
audacieuse d'une condition sine qua non : établir à côté du Pacte de stabilité et de croissance un second Pacte de coordination des politiques budgétaires.
A l'occasion du dixième anniversaire de l'Euro, il a apporté des précisions à propos de cet élément de conditionnalité en n'en faisant pas un élément de blocage total : en attendant le second Pacte, l'UE devrait avoir la possibilité d'emprunter jusqu'à 8 milliards d'euros par an pour le financement d'infrastructures d'intérêt commun, en rappelant la règle classique selon laquelle, lorsqu'un projet collectif bénéficie aux générations à venir, il est normal de répartir la charge du remboursement entre ces générations et la génération qui réalise le projet. Par contre un endettement de l'UE en tant que telle pour couvrir les déficits budgétaires d'un Etat-membre ne sera imaginable que le jour où les politiques budgétaires seront effectivement gérées en commun de manière plus effective et rigoureuse que ce qui existe actuellement. Mais, pour le moment, l'UEM continue à marcher essentiellement sur la seule jambe monétaire ....
La Commission européenne actuelle a d'ores et déjà ouvert la porte à une telle initiative (cf. Le livre vert de la Commission européenne sur la faisabilité de l'introduction d'obligations de stabilité )
Le Président du Groupe de l'Euro, Jean-Claude Junker, n'exclut pas la possibilité d'émettre des Euro-obligations
(appelées aussi obligations de stabilité) au moyen d'une agence européenne habilitée aussi à gérer une partie des dettes nationales existantes ; une agence qui, selon lui, obtiendrait sur le
marché des taux plus avantageux que les taux obtenus séparément par les Etats-membres lourdement endettés, lesquels se verraient alors contraints à se libérer des stocks de dettes nationales. Or,
peut-être n'est-il même pas besoin de créer une nouvelle agence, la Banque européenne d'investissement (BEI) se considèrant d'ores et déjà en mesure de gérer les emprunts
communautaires.
Le débat sur la pertinence d'un tel emprunt ne fait que s'ouvrir ! Il est loin
d'être clos tant il suscite chaque jour des analyses aussi fécondes que contradictoires.
Parmi les arguments qui plaident en défaveur de l'émission d'un tel emprunt européen, je retiendrai les quatre suivants car ce sera très probablement là que se situent les vraies difficultés.
1 - L'appel à la solidarité doit être accompagné d'un appel à l'équité. Si chacun souhaite davantage de solidarité entre les Etats membres de l'UE, il faudrait également que tous acceptent et
respectent certaines règles visant à ce que cette solidarité ne se fasse pas au détriment de l'équité.
2 - Un mécanisme de solidarité budgétaire et financière entre les Etats-membres de l'Union européenne devra avoir sa contrepartie dans un mécanisme de mise sous tutelle des Etats qui ne
respectent pas les règles.
3 - Recourir à un mécanisme de gestion solidaire et intégrée de la dette des
Etats "défaillants" offrirait à ces derniers la possibilité d'emprunter plus, en bénéficiant du taux plus favorable, et donc, de gérer moins bien, ce qui dégraderait ensuite la "note" de la
zone conduisant alors à une réévaluation du taux européen d'emprunt. L'Allemagne évoque à ce sujet le risque de voir se profiler une Union de la dette (cf. Pour Berlin, les euro-obligations créeraient l'union de la dette). Pour éviter cette spirale non vertueuse, il deviendrait nécessaire que les
grandes orientations des finances publiques nationales soient décidées au niveau communautaire, et qu'elles soient impératives. Il est à craindre, en regard des postures gouvernementales et
politiques dominantes aujourd'hui en Europe, lesquelles instrumentalisent l'Union européenne pour en faire le bouc-émissaire automatique de leurs propres défaillances, tout en revendiquant
en permanence le droit à une gestion nationale autonome des dépenses publiques, que le niveau de ces dépenses ainsi que celui du solde budgétaire puissent être un jour prochain décidés au niveau
communautaire.
4 - Enfin, sur un plan à la fois politique, intitutionnel, juridique et technique, il est à craindre que l'Union européenne ne dispose pas d'un environnement réellement favorable à
l'établissement des textes requis pour lui permettre d'émettre un tel emprunt : une modification de certaines dispositions du traité, un nouvel accord interinstitutionnel sur la discipline
budgétaire et la bonne gestion financière (voir infra), un nouveau réglement financier de l'Union européenne, voire même une nouvelle décision "ressources propres",
etc... Car aux dissensions qui existent entre les institutions communautaires compétentes, et que renforce une "réintergouvernementalisation" de
facto de certains processus communautaires voulue par une majorité d'Etats-membres insatisfaits des résultats obtenus par la voie communautaire, aux débats houleux qui ne
manqueront pas d'apparaître au sein du Conseil sur la nécessité autant que les coûts financiers, sociaux et politiques d'un tel emprunt, pourraient s'ajouter une résistance extrêmement forte
des contribuables européens déjà soumis au poids excessif de la charge de la dette dans le paquet structurel de déficits budgétaires qui mettent d'ores et déjà en péril la performance
économique et monétaire de l'Union tout entière en ne satisfaisant pas, il s'en faut de beaucoup, aux critères du Pacte de stabilité et de croissance présentés pourtant il y a peu comme
l'alpha et l'omega de la vertu monétaire et économique.
NB : Qu'est-ce qu'un accord interinstitutionnel en la matière ? L'accord interinstitutionnel sur la discipline budgétaire et la
bonne gestion financière, conclu entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission le 17 mai 2006, contient le cadre financier pour les années 2007-2013 afin de mettre en œuvre la
discipline budgétaire. L'accord a également pour objectif d'améliorer le déroulement de la procédure budgétaire annuelle et la coopération interinstitutionnelle dans le domaine budgétaire
(cf. http://europa.eu/scadplus/leg/fr/lvb/l34020.htm).
L'ensemble
de ces éléments expriment l'exigence fondamentale suivante : une responsabilité commune des déficits budgétaires est incompatible avec une gestion totalement autonome des
dépenses.
Comme
le souligne Ferdinando Riccardi dans son éditorial du Bulletin Quotidien Européen en date du 17 mars 2009, Jacques Delors était moins exigeant en demandant que les
politiques budgétaires des Etats-membres fassent l'objet d'une étroite coordination, au titre d'un Pacte qui lierait les Etats-membres. Cette nécessité ne répond pas seulement au souci de ne ps à
avoir à payer pour les autres, mais elle représente surtout une condition nécessaire pour sauvegarder la valeur et la stabilité de l'Euro. Si certains standards ne sont pas respectés, l'Euro
perdra de la valeur et les taux d'intérêt pour les emprunts publics deviendront plus élevés pour tous, y compris pour les Etats qui maitrisent leurs dépenses.
L'éclatement de la zone Euro deviendrait alors inéluctable !
Que deviendraient alors les Etats les moins aptes à supporter l'absence de protection de l'Euro ?
Et que deviendraient ensuite non seulement la cohésion mais la cohérence politiques qui sont indispensables autant aux Etats membres qu'à l'Union européenne elle-même pour faire face
avec l'efficace attendue à la multitude d'autres défis globaux auxquels les uns comme l'autre sont incapables de répondre sans construire les ressorts d'une interdépendance européenne,
voulue, pensée et assumée ?
Pour utile et probablement incontournable qu'elle soit, l'émission d'un grand emprunt obligataire européen n'est pas encore à l'ordre du jour.
Comme d'ailleurs l'évolution de la BCE vers un organisme bancaire prêteur en dernier ressort (voir à ce cet égard Ayons confiance ! Un jour viendra où la
BCE jouera pleinement son rôle de prêteur de dernier ressort ! ).
Pour Jacques Delors, le père de la désinflation compétitive, c'est d'une inflation "provisoirement" plus forte et de la réhabilitation de l'impôt citoyen que constitue l'impôt sur le revenu dont
l'Europe et son économie ont le plus besoin aujourd'hui !
Au-delà de ce débat sur l'intérêt et la faisabilité d'un tel emprunt, je suis de ceux qui sont convaincus que l'Union européenne doit engager une large réflexion dans le but de revoir dans
leur globalité les différents régimes nationaux de prélèvements obligatoires (cotisations sociales, taxe professionnelle, taxe sur les salaires, TVA - y compris TVA sociale -, impôts
sur le revenu, etc.) afin de définir un ensemble de lignes directrices susceptibles de créer les conditions non seulement d'une harmonisation progressive de ces régimes, condition sine
qua non au bon fonctionnement du marché intérieur et à la suppression des distorsions de concurrence entre les Etats inhérentes à tout dumping fiscal ou social, mais également
d'une meilleure compétitivité de l'ensemble des piliers constitutifs de l'économie européenne dans un monde où les pouvoirs publics ne parviennent plus à maîtriser les effets sociaux et
territoriaux de la globalisation économique, technologique et financière, et d'une plus grande équité entre les citoyens de l'Union.
Nota : En France, un exercice parlementaire a été entrepris sur ce très vaste et très complexe sujet (cf. notamment le rapport d'information n° 41 fait au nom de la commission
des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur les prélèvements obligatoires et leur évolution, par le Sénateur Philippe MARINI, au cours de la session
ordinaire de 2006-2007 - Annexe au procès-verbal de la séance du 25 octobre 2006)
C'est à l'issue d'un tel exercice que l'Union pourra - enfin - entreprendre la réforme tant attendue de son système des ressources propres ! Une réforme qui devrait alors permettre
de créer un véritable impôt européen citoyen dont l'absence actuelle affecte le sentiment d'appartenance des citoyens de l'Union à une même communauté de projets et
de destins ; des citoyens de plus en plus désanchantés par la médiocrité du discours politique, l'absence d'anticipation sur le moyen terme autant que par l'impuissance - parfois
doublée d'incompétence - des élites, publiques et privées à élaborer, à mettre en oeuvre, à superviser et à contrôler des processus adaptatifs de régulation réellement efficaces et
efficients.
S'engager dans un tel exercice exige du courage politique et n'autorise aucun grand écart dans l'engagement européen. Aussi est-il est aussi indispensable
qu'urgent que les dirigeants nationaux cessent d'appeler à être solidaires un jour, tout en revendiquant le lendemain leur droit à être autonomes dans leurs choix et leurs décisions, jusqu'à
faire preuve parfois de "patriotisme économique" voire même de protectionnisme !
Lorsque, à l'occasion des élections européennes, les partis politiques européens présenteront des listes transnationales articulées sur un programme politique, économique et
social pour l'Union objet du débat électoral, alors le projet d'Union politique, citoyenne et sociale redeviendra un projet fédérateur crédible non seulement aux yeux
des citoyens européens, mais également à ceux des femmes et des hommes du reste du monde dont les regards se portent si souvent vers cette Europe qui parvient encore, parfois, à faire
rêver.
Puisqu'il nous est (encore) permis de rêver ensemble dans nos démocraties vacillantes, profitons en pour agir de manière aussi solidaire que responsable ! Et vite
!
Cet article a été publié une première fois sur ce blog en mai 2010.