Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Publié par Patrice Cardot

Pour le premier volet de cet article : Le traité de Lisbonne : un traité imparfait qui fera néanmoins progresser l'Union politique sur les registres de la défense des libertés et de la sécurité (1)

... mais cette tentative de mise en articulation et en cohérence est rendue particulièrement complexe par les imperfections du traité (insuffisances, incohérences, incertitudes).


Cependant, cette tentative de mise en articulation et en cohérence est rendue particulièrement
complexe comme le montrent d'autres articles de ce blog qui figurent dans la rubrique Le traité de Lisbonne dans tous ses états .


Au-delà des dispositions de nature strictement institutionnelles qui figurent au traité, l’Union doit
encore fixer, avant la mise en oeuvre du traité, les principes, les objectifs et les règles sur la base desquels ses institutions s’organiseront pour oeuvrer à la fois en toute sécurité et en toute responsabilité, au profit des missions et en vertu des compétences qui leur sont assignées par le traité [7].


De telles innovations soulèvent entre autres interrogations celle de la gouvernabilité effective des
politiques et des actions que l’Union a mission d’établir et de mener dans de tels domaines ; au point de conduire l’Union soit à la paralysie, soit à des initiatives prenant pour base légale la clause de flexibilité objet de l’article 352 TFUE afin d’établir les actes requis pour lui permettre d’atteindre ses objectifs, soit encore à s’en remettre fréquemment à sa Cour de Justice pour statuer dans les matières où le droit primaire établi par le traité donne lieu à des décisions qui peuvent être sources de contestation de la part de parties concernées, et/ ou de contentieux entre ces dernières.


Dans un traité qui multiplie la référence à des concepts dont la signification et la portée ne sont ni
harmonisées ni homogènes selon le domaine où ils sont utilisés, interroger leur origine constitue en soi une nécessité première qui ne semble pas avoir été prise en compte par les rédacteurs du traité. Alors que la notion de « sécurité européenne » est absente du traité, et que ce dernier omet toute référence à la « stratégie européenne de sécurité », l’introduction des notions de « sécurité nationale » et d’« agression armée d’un territoire » qui ne font l’objet d’aucune définition commune en Europe, comme la variété des qualificatifs attachés aux notions d’intérêts et d’objectifs, suffisent à elles-seules à illustrer cette nécessité.


Un tel manquement juridique ne saurait rester sans effet sur les marges d’initiatives de l’Union
elle-même comme de ses Etats membres induites par la possibilité d’interprétations différenciées en l’absence de clarification formelle par la Cour de Justice de l’Union européenne ; un vide qui porte atteinte à la portée juridique immédiate des éléments du droit primaire établi par le traité qui visent à offrir aux citoyens de l’Union des garanties juridiques communes pour la protection des valeurs fondamentales visées à l’article 2 TUE sur lesquelles se fondent l’Union (cf. notamment les dispositions de l’article 7 TUE qui sont consacrées au cas spécifique où non seulement il existerait un risque de violation de ces valeurs par un Etat membre, mais où l’existence d’un tel risque serait effectivement constaté).


A l’exception du registre de la protection civile pour lequel l’Union ne dispose que d’une
compétence à mener des actions d’appui, de complément ou de coordination (et on peut se demander quelles en sont les raisons), les Etats ont attribué à l’Union au travers du traité de Lisbonne une « compétence partagée » pour l’ensemble des domaines et matières ayant trait aux dimensions de la Sécurité qui figurent au traité. Or, telle qu’elle est définie, cette forme de compétence est porteuse d’ambiguïtés, quand bien même le traité tente d’en limiter les effets en stipulant à son égard : « les Etats membres exercent leur compétence dans la mesure où l’Union n’a pas exercé la sienne » ; « les Etats membres exercent à nouveau leur compétence dans la mesure où l’Union a décidé d’exercer la sienne » ; « lorsque l’Union mène une action dans un certain domaine, le champ d’application de cet exercice de compétence ne couvre que les éléments régis par l’acte de l’Union en question et ne couvre donc pas tout le domaine ».


S’agissant plus spécifiquement de la PESC, domaine pour lequel la compétence de l’Union couvre
l’ensemble des questions relatives à la sécurité de l’Union, il est spécifié à l’article 40 TUE : « La mise en oeuvre de la PESC n’affecte pas l’application des procédures et l’étendue des attributions des institutions prévues pour l’exercice des compétences de l’Union visées aux articles 3 à 6 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. De même, la mise en oeuvre des politiques visées auxdits articles [8] n’affecte pas l’application des procédures et l’étendue respective des attributions des institutions prévues par les traités pour l’exercice des compétences de l’Union au titre du présent chapitre [celui relatif à la PESC] ».


Or, la multiplication des présidences [9] et des cadres de procédures (ordinaire, spéciales) institués
par le traité de Lisbonne, quand bien même elle trouve des justifications juridiques et techniques incontestables, est de nature à participer sinon à une neutralisation des initiatives, tout au moins, à nourrir des tentations de conférer de manière aléatoire à un cadre de décisions et de procédures plutôt qu’à un autre la responsabilité de l’initiative et de la proposition, au risque de conduire à des procédures visant à l’annulation par la Cour de Justice de l’Union de décisions qui auraient été prises dans un cadre qu’elle jugerait inapproprié parce que non conforme à son interprétation des dispositions du droit primaire établi par les traités, en vertu des compétences que lui confère en la matière l’article 263 TFUE. Et ce, quand bien même le traité confirme la validité des principes de coopération loyale, d’attribution, de subsidiarité et de proportionnalité qui régissent la relation entre l’action que mène l’Union et celle qui relève de la responsabilité de ses Etats-membres.


Aux difficultés évoquées ci-dessus s’en ajoutent d’autres, de nature plus fondamentalement
politique, tenant notamment à la multiplication des possibilités d’initiatives à géométrie variable sous des régimes divers ainsi qu’à la prolifération des clauses dérogatoires (opt out / opt in) qui exonèrent certains Etats membres de toute obligation de se conformer aux règles, principes, objectifs et actes décidés par l’Union, et partant, interdisent à celle-ci, à ses Etats membres, à ses acteurs économiques et sociaux, à ses citoyens comme à ses partenaires internationaux, de tirer pleinement avantage du modèle original d'unité juridique et politique qui constitue pourtant le déterminant premier du projet politique qui fonde le processus de construction européenne : « une Union sans cesse plus étroite ».


Même si l’Union s’est engagée dans une dynamique ambitieuse pour faire face aux défis internes
de la Sécurité, il lui faut encore bâtir l’assise de son action.


Conformément aux dispositions des articles 52 et 107 de la Charte des Nations Unies qui
permettent à des Etats de s’organiser collectivement, et, corrélativement, des dispositions appropriées du Traité sur l’Union européenne, cette dernière s’est engagée dans un processus ambitieux visant à permettre l'émergence progressive, au côté de l’Union économique et monétaire, d'un Espace européen de liberté, de sécurité et de justice articulé sur une sorte de Pacte démocratique et juridique non écrit et inspiré par une Ethique dont la finalité première est la constitution des attributs nécessaires à l’exercice et à la protection d’une citoyenneté européenne pleine et entière, en engageant un processus de convergence et d’harmonisation des systèmes de droit nationaux sur la base du principe de la reconnaissance mutuelle (Tempere - 1999).


Cet espace se construit en ayant recours de façon croissante à la méthode communautaire. Car au-delà
des accélérations concrètes que celle-ci autorise, la dimension démocratique de cette méthode au niveau européen permet d’assurer une assise populaire et une adhésion des citoyens aux principes d’action requis pour assurer la défense des droits fondamentaux et des libertés, individuelles et publiques, face au terrorisme et à d’autres sources d’insécurité qui mettent en péril la vie et l’intégrité des personnes physiques ou morales, privées ou publiques, et/ou la sécurité du patrimoine commun autour desquels, et pour lesquels, l’Union s’est construite, agit et entend continuer d’oeuvrer à l’avenir ; et ce, malgré les limites que lui imposent en pareilles matières un traité de Lisbonne encore partiellement inadapté à la nature des enjeux comme les contraintes qu’induit immanquablement le respect de décisions et/ou d’arrêts pris par les juridictions internationales en regard d’un Droit international universellement opposable.


En proposant une esquisse du cadre conceptuel, politique, juridique et opératoire des réponses que
l'UE entend apporter aux questions de sécurité à l’intérieur de l’ELSJ, en plein respect des valeurs et des droits fondamentaux qui déterminent le fondement moral et éthique du droit applicable sur un tel registre, le programme de La Haye (2004) contribue non seulement à nourrir la réflexion stratégique sur le registre de la Sécurité en dehors des champs de la Sécurité extérieure et de la Défense, mais bien davantage, pose les premiers jalons d’un « concept européen global de Sécurité », préalable indispensable à l'établissement, le moment venu, d'un éventuel concept stratégique de l'Union pour sa politique de Sécurité.


Ses principes inspirent les nombreuses initiatives prises depuis son adoption dans des domaines
variés, au premier rang desquelles celles qui sont dédiées à la lutte contre le terrorisme.


Pour autant, et alors même que les dispositions du traité de Lisbonne visant à doter l’UE d’une compétence nouvelle dans le champ économique, dans celui de la PESC, dans celui de la codification pénale, et dans le champ opérationnel de la police attaché aux affaires criminelles, augurent d’une réelle volonté politique des Etats membres de recourir à des solidarités concrètes sans lesquelles aucun progrès ne sera possible sur les registres concernés, les corpus institutionnel et juridique attachés à la lutte contre le terrorisme, à la lutte contre la criminalité organisée, à la lutte contre la traite des êtres humains, à la politique d'immigration ou à la politique d'asile connaissent encore de profondes divergences de registres entre les Etats membres. Ces différences de registres affectent l'effectivité autant que l'efficacité de l'action de la puissance publique à plusieurs niveaux : celui de la Sécurité intérieure et de la Sécurité nationale au sein des Etats, celui de la Sécurité à l’intérieur des frontières de l’espace Schengen, et, bien plus globalement, celui de la Sécurité et la Stabilité de l'espace régional que constituent l’Union et son voisinage.


L’heure est venue de clarifier les assises politique, institutionnelle, conceptuelle et éthique du droit
commun sur la base duquel s’élaboreront demain les politiques au sein et au service de l’ELSJ. Un certain nombre d’appels ont été formulés en ce sens par des personnalités politiques européennes de premier plan.


En outre, l’introduction d’une clause de sortie de l’Union (cf. l’article 50 TUE) ajoute à ces
difficultés un élément supplémentaire qui appelle à s’interroger sur la capacité de l’Union de préserver ses intérêts et atteindre ses objectifs stratégiques dans l’hypothèse où l’un de ses Etats membres, en se retirant, la priverait soudainement du bénéfice de capacités stratégiques non substituables ou non compensables.


Eu égard au caractère irréversible de telles évolutions, certains suggèrent de systématiser cette
diversité de facto et d'en tirer les conséquences qui s'imposent dans la formation de cercles concentriques - partial membership - avec des droits correspondant aux obligations attachées à une interdépendance voulue, décidée, organisée et assumée au sein de l’Union.


Se pose alors la double question de la « gouvernabilité » et de la « gouvernance » effectives de
l’ensemble des institutions, des politiques, des initiatives, des instruments et des organes qui ont trait aux dimensions politique, stratégique et sécuritaire des politiques et des actions internes et externes de l’Union, tout au long du processus décisionnel dans un contexte où la différenciation deviendrait peu ou prou la règle et où la logique intergouvernementale l’emporterait sur la logique communautaire.


La nouvelle attribution et la nouvelle répartition des compétences établies par le traité doivent
encore être étayées par des actes politiques, des dispositions juridiques et des processus comitologiques appropriés à la nature spécifique des domaines ayant des implications fortes en matière de sécurité ou dans les domaines stratégiques, militaires ou diplomatiques (cf. notamment à cet égard l'article de ce blog intitulé L'entrée en vigueur du traité de Lisbonne requiert un certain nombre d'initiatives et de clarifications institutionnelles préalables ).

Cette recherche de cohérence et d'efficacité globales des politiques et actions de l'Union sur le double registre des Affaires étrangères et des différentes dimensions - interne, externe et globale - de la Politique de sécurité appelle également une nouvelle structuration de la Commission, plus pyramidale, mais qui devra néanmoins respecter la collégialité en même temps que l'esprit de la nouvelle logique politique, institutionnelle et fonctionnelle du nouveau traité (cf. notamment à cet égard l'article de ce blog intitulé : Propositions en faveur d'une structuration pyramidale, cohérente et équilibrée de la Commission européenne ).

Elle requiert enfin une traduction appropriée dans le cadre budgétaire pluriannuel de l'Union.

 

[7] règlements intérieurs et règlements de sécurité spécifiques aux institutions, règlements relatifs aux échanges de personnels et aux transferts de données classifiées entre les institutions, principes et règles comitologiques qui gouverneront les décisions de l’Union


[8] Noter au passage que l’on n’évoque ici que les « politiques visées » et non les « actions visées » alors que les traités distinguent
clairement par ailleurs « politiques » et « actions » ; dans le domaine de l’ELJS, par exemple, bien que l’Union ne dispose pas de politique en matière de sécurité intérieure ou, a fortiori, en matière de sécurité nationale, les dispositions du TFUE qui s’y rapportent
autorisent néanmoins qu’elle mène des actions sur de tels registres.

[9] Président permanent du Conseil européen, Président permanent de la Commission européenne, Président permanent du Conseil
des affaires étrangères, Président permanent de l’Eurogroupe, Président tournant du Conseil des affaires générales, Président tournant
des autres formations du Conseil

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article