Le traité de Lisbonne : un traité imparfait qui fera néanmoins progresser l'Union politique sur les registres de la défense des libertés et de la sécurité (2)
Pour le premier volet de cet article : Le traité
de Lisbonne : un traité imparfait qui fera néanmoins progresser l'Union politique sur les registres de la défense des libertés et de la sécurité (1)
... mais cette tentative de mise en articulation et en cohérence est rendue particulièrement complexe par
les imperfections du traité (insuffisances, incohérences, incertitudes).
Cependant, cette tentative de mise en articulation et en cohérence est rendue particulièrement complexe comme le montrent d'autres articles de ce blog qui figurent dans la rubrique Le traité de Lisbonne dans tous ses états .
Au-delà des dispositions de nature strictement institutionnelles qui figurent au traité, l’Union doit encore fixer, avant la mise en oeuvre du traité, les principes, les objectifs et les règles sur la base desquels
ses institutions s’organiseront pour oeuvrer à la fois en toute sécurité et en toute responsabilité, au profit
des missions et en vertu des compétences qui leur sont assignées par le traité [7].
De telles innovations soulèvent entre autres interrogations celle de la gouvernabilité effective des politiques et des actions que l’Union a mission d’établir et de mener dans de tels domaines ; au point de
conduire l’Union soit à la paralysie, soit à des initiatives prenant pour base légale la clause de flexibilité
objet de l’article 352 TFUE afin d’établir les actes requis pour lui permettre d’atteindre ses
objectifs, soit encore à s’en remettre fréquemment à sa Cour de Justice pour statuer dans les
matières où le droit primaire établi par le traité donne lieu à des décisions qui peuvent être
sources de contestation de la part de parties concernées, et/ ou de contentieux entre ces
dernières.
Dans un traité qui multiplie la référence à des concepts dont la signification et la portée ne sont ni harmonisées ni homogènes selon le domaine où ils sont utilisés, interroger leur origine constitue en soi une
nécessité première qui ne semble pas avoir été prise en compte par les rédacteurs du traité. Alors que
la notion de « sécurité européenne » est absente du traité, et que ce dernier omet toute référence à
la « stratégie européenne de sécurité », l’introduction des notions de « sécurité nationale » et d’«
agression armée d’un territoire » qui ne font l’objet d’aucune définition commune en Europe, comme
la variété des qualificatifs attachés aux notions d’intérêts et d’objectifs, suffisent à
elles-seules à illustrer cette nécessité.
Un tel manquement juridique ne saurait rester sans effet sur les marges d’initiatives de l’Union elle-même comme de ses Etats membres induites par la possibilité d’interprétations différenciées en l’absence de clarification formelle par la Cour de Justice de l’Union européenne ; un vide qui porte atteinte à
la portée juridique immédiate des éléments du droit primaire établi par le traité qui visent à offrir
aux citoyens de l’Union des garanties juridiques communes pour la protection des valeurs
fondamentales visées à l’article 2 TUE sur lesquelles se fondent l’Union (cf. notamment les
dispositions de l’article 7 TUE qui sont consacrées au cas spécifique où non seulement il existerait
un risque de violation de ces valeurs par un Etat membre, mais où l’existence d’un tel risque serait
effectivement constaté).
A l’exception du registre de la protection civile pour lequel l’Union ne dispose que d’une compétence à mener des actions d’appui, de complément ou de coordination (et on peut se demander quelles en sont les raisons), les Etats ont attribué à l’Union au travers du traité de Lisbonne une « compétence
partagée » pour l’ensemble des domaines et matières ayant trait aux dimensions de la Sécurité qui figurent
au traité. Or, telle qu’elle est définie, cette forme de compétence est porteuse d’ambiguïtés, quand
bien même le traité tente d’en limiter les effets en stipulant à son égard : « les Etats membres
exercent leur compétence dans la mesure où l’Union n’a pas exercé la sienne » ; «
les Etats membres exercent à nouveau leur compétence dans la mesure où l’Union a décidé
d’exercer la sienne » ; « lorsque l’Union mène une action dans un certain domaine,
le champ d’application de cet exercice de compétence ne couvre que les éléments régis par
l’acte de l’Union en question et ne couvre donc pas tout le domaine ».
S’agissant plus spécifiquement de la PESC, domaine pour lequel la compétence de l’Union couvre l’ensemble des questions relatives à la sécurité de l’Union, il est spécifié à l’article 40 TUE : « La mise en oeuvre de la PESC n’affecte pas l’application des procédures et l’étendue des attributions des institutions
prévues pour l’exercice des compétences de l’Union visées aux articles 3 à 6 du traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne. De même, la mise en oeuvre des politiques visées auxdits
articles [8] n’affecte pas l’application des procédures et l’étendue respective des attributions des
institutions prévues par les traités pour l’exercice des compétences de l’Union au titre du
présent chapitre [celui relatif à la PESC] ».
Or, la multiplication des présidences [9] et des cadres de procédures (ordinaire, spéciales) institués par le traité de Lisbonne, quand bien même elle trouve des justifications juridiques et techniques incontestables, est de nature à participer sinon à une neutralisation des initiatives, tout au moins, à nourrir
des tentations de conférer de manière aléatoire à un cadre de décisions et de procédures plutôt qu’à
un autre la responsabilité de l’initiative et de la proposition, au risque de conduire à des
procédures visant à l’annulation par la Cour de Justice de l’Union de décisions qui auraient été
prises dans un cadre qu’elle jugerait inapproprié parce que non conforme à son interprétation des
dispositions du droit primaire établi par les traités, en vertu des compétences que lui confère en
la matière l’article 263 TFUE. Et ce, quand bien même le traité confirme la validité des principes
de coopération loyale, d’attribution, de subsidiarité et de proportionnalité qui régissent la
relation entre l’action que mène l’Union et celle qui relève de la responsabilité de ses
Etats-membres.
Aux difficultés évoquées ci-dessus s’en ajoutent d’autres, de nature plus fondamentalement politique, tenant notamment à la multiplication des possibilités d’initiatives à géométrie variable sous des régimes divers ainsi qu’à la prolifération des clauses dérogatoires (opt out / opt in) qui exonèrent
certains Etats membres de toute obligation de se conformer aux règles, principes, objectifs et actes
décidés par l’Union, et partant, interdisent à celle-ci, à ses Etats membres, à ses acteurs
économiques et sociaux, à ses citoyens comme à ses partenaires internationaux, de tirer pleinement
avantage du modèle original d'unité juridique et politique qui constitue pourtant le déterminant
premier du projet politique qui fonde le processus de construction européenne : « une Union sans
cesse plus étroite ».
Même si l’Union s’est engagée dans une dynamique ambitieuse pour faire face aux défis internes de la Sécurité, il lui faut encore bâtir l’assise de son action.
Conformément aux dispositions des articles 52 et 107 de la Charte des Nations Unies qui permettent à des Etats de s’organiser collectivement, et, corrélativement, des dispositions appropriées du Traité sur l’Union européenne, cette dernière s’est engagée dans un processus ambitieux visant à permettre
l'émergence progressive, au côté de l’Union économique et monétaire, d'un Espace européen de liberté,
de sécurité et de justice articulé sur une sorte de Pacte démocratique et juridique non écrit et
inspiré par une Ethique dont la finalité première est la constitution des attributs nécessaires à
l’exercice et à la protection d’une citoyenneté européenne pleine et entière, en engageant un
processus de convergence et d’harmonisation des systèmes de droit nationaux sur la base du principe
de la reconnaissance mutuelle (Tempere - 1999).
Cet espace se construit en ayant recours de façon croissante à la méthode communautaire. Car au-delà des accélérations concrètes que celle-ci autorise, la dimension démocratique de cette méthode au niveau
européen permet d’assurer une assise populaire et une adhésion des citoyens aux principes d’action
requis pour assurer la défense des droits fondamentaux et des libertés, individuelles et publiques,
face au terrorisme et à d’autres sources d’insécurité qui mettent en péril la vie et l’intégrité des
personnes physiques ou morales, privées ou publiques, et/ou la sécurité du patrimoine commun autour
desquels, et pour lesquels, l’Union s’est construite, agit et entend continuer d’oeuvrer à l’avenir
; et ce, malgré les limites que lui imposent en pareilles matières un traité de Lisbonne encore
partiellement inadapté à la nature des enjeux comme les contraintes qu’induit immanquablement le
respect de décisions et/ou d’arrêts pris par les juridictions internationales en regard d’un Droit
international universellement opposable.
En proposant une esquisse du cadre conceptuel, politique, juridique et opératoire des réponses que l'UE entend apporter aux questions de sécurité à l’intérieur de l’ELSJ, en plein respect des valeurs et des
droits fondamentaux qui déterminent le fondement moral et éthique du droit applicable sur un tel registre,
le programme de La Haye (2004) contribue non seulement à nourrir la réflexion stratégique sur le
registre de la Sécurité en dehors des champs de la Sécurité extérieure et de la Défense, mais bien
davantage, pose les premiers jalons d’un « concept européen global de Sécurité », préalable
indispensable à l'établissement, le moment venu, d'un éventuel concept stratégique de l'Union pour sa politique de Sécurité.
Ses principes inspirent les nombreuses initiatives prises depuis son adoption dans des domaines variés, au premier rang desquelles celles qui sont dédiées à la lutte contre le terrorisme.
Pour autant, et alors même que les dispositions du traité
de Lisbonne visant à doter l’UE d’une compétence nouvelle dans le champ économique, dans celui de la
PESC, dans celui de la codification pénale, et dans le champ opérationnel de la police attaché aux
affaires criminelles, augurent d’une réelle volonté politique des Etats membres de recourir à des
solidarités concrètes sans lesquelles aucun progrès ne sera possible sur les registres concernés,
les corpus institutionnel et juridique attachés à la lutte contre le terrorisme, à la lutte contre
la criminalité organisée, à la lutte contre la traite des êtres humains, à la politique d'immigration ou à la politique d'asile connaissent encore de profondes divergences de registres entre les Etats membres. Ces différences de registres affectent l'effectivité autant que l'efficacité de l'action de la
puissance publique à plusieurs niveaux : celui de la Sécurité intérieure et de la Sécurité nationale au sein
des Etats, celui de la Sécurité à l’intérieur des frontières de l’espace Schengen, et, bien plus
globalement, celui de la Sécurité et la Stabilité de l'espace régional que constituent l’Union et
son voisinage.
L’heure est venue de clarifier les assises politique, institutionnelle, conceptuelle et éthique du droit commun sur la base duquel s’élaboreront demain les politiques au sein et au service de l’ELSJ. Un certain
nombre d’appels ont été formulés en ce sens par des personnalités politiques européennes de premier
plan.
En outre, l’introduction d’une clause de sortie de l’Union (cf. l’article 50 TUE) ajoute à ces difficultés un élément supplémentaire qui appelle à s’interroger sur la capacité de l’Union de préserver ses intérêts et atteindre ses objectifs stratégiques dans l’hypothèse où l’un de ses Etats membres, en se retirant,
la priverait soudainement du bénéfice de capacités stratégiques non substituables ou non
compensables.
Eu égard au caractère irréversible de telles évolutions, certains suggèrent de systématiser cette diversité de facto et d'en tirer les conséquences qui s'imposent dans la formation de cercles concentriques -
partial membership - avec des droits correspondant aux obligations attachées à une interdépendance
voulue, décidée, organisée et assumée au sein de l’Union.
Se pose alors la double question de la « gouvernabilité » et de la « gouvernance » effectives de l’ensemble des institutions, des politiques, des initiatives, des instruments et des organes qui ont trait aux
dimensions politique, stratégique et sécuritaire des politiques et des actions internes et externes de
l’Union, tout au long du processus décisionnel dans un contexte où la différenciation deviendrait
peu ou prou la règle et où la logique intergouvernementale l’emporterait sur la logique
communautaire.
La nouvelle attribution et la nouvelle répartition des compétences établies par le traité doivent encore être étayées par des actes politiques, des dispositions juridiques et des processus comitologiques
appropriés à la nature spécifique des domaines ayant des implications fortes en matière de sécurité ou
dans les domaines stratégiques, militaires ou diplomatiques (cf. notamment à cet égard l'article de
ce blog intitulé L'entrée en vigueur du traité de Lisbonne requiert un certain nombre d'initiatives et de clarifications
institutionnelles préalables ).
Cette recherche de cohérence et d'efficacité globales des politiques et actions de l'Union sur le double registre des Affaires étrangères et des
différentes dimensions - interne, externe et globale - de la Politique de sécurité appelle également une nouvelle structuration de la Commission, plus pyramidale, mais qui devra néanmoins
respecter la collégialité en même temps que l'esprit de la nouvelle logique politique, institutionnelle et fonctionnelle du nouveau traité (cf. notamment à cet égard l'article de
ce blog intitulé : Propositions en faveur d'une structuration pyramidale, cohérente et équilibrée de la Commission
européenne ).
Elle requiert enfin une traduction appropriée dans le cadre budgétaire pluriannuel de l'Union.
[7] règlements intérieurs et règlements de sécurité spécifiques aux institutions, règlements relatifs aux échanges de personnels et aux transferts de données classifiées entre les institutions, principes et règles comitologiques qui gouverneront les décisions de l’Union
[8] Noter au passage que l’on n’évoque ici que les « politiques visées » et non les « actions visées » alors que les traités distinguent
clairement par ailleurs « politiques » et « actions » ; dans le domaine de l’ELJS, par exemple, bien que l’Union ne dispose pas de
politique en matière de sécurité intérieure ou, a fortiori, en matière de sécurité nationale, les dispositions du TFUE qui s’y
rapportent autorisent néanmoins qu’elle mène des actions sur de tels
registres.
[9]
Président permanent du Conseil européen, Président permanent de la Commission européenne, Président permanent du Conseil des affaires
étrangères, Président permanent de l’Eurogroupe, Président tournant du Conseil des affaires générales, Président tournant des autres formations du Conseil