Chaque heure en France, un suicide (par Juliette Demey - JDD - 5 février 2012)
Trois fois plus de morts par suicide que sur la route, aucun observatoire indépendant, des budgets microscopiques... Les associations réclament un plan d’urgence.
Un septuagénaire endetté tue sa femme avant de se donner la mort. Un garçon de 12 ans se jette sous un train. L’épouse du ministre de l’Éducation Luc Chatel met fin à ses jours… Des cas médiatisés, mais combien d’autres passés sous silence? Le suicide est la cause de 10.499 morts en 2009 selon l’Inserm. C’est trois fois plus que les accidents de la route. Des chiffres stables, mais "sous-estimés de 10 à 20 %. Quelqu’un qui nage trop loin en mer, qui se jette en voiture contre un arbre, échappera aux statistiques", note le sociologue Nicolas Bourgoin. Il y aurait donc entre 11.000 et 12.000 morts chaque année. Dans son service de médecine légale au CHU de Saint-Étienne, le Pr Michel Debout estime la progression de 5 à 10 % depuis trois ans. Pour lutter contre ces morts "évitables", un programme interministériel d’action a été présenté en septembre : 49 mesures, dotées d’un budget de 15 millions d’euros. À l’occasion des Journées nationales de la prévention du suicide, qui débutent mardi, la secrétaire d’État à la Santé, Nora Berra, fera le point sur leur avancement. L’Union nationale pour la prévention du suicide, qui regroupe 35 associations, salue un plan "qui va dans le bon sens. Mais son budget reste ridicule, 30 fois inférieur à celui de la Sécurité routière", regrette Thérèse Hannier, sa présidente. État des lieux en quatre points.
Trois hommes pour une femme
Le suicide a un sexe : les hommes sont trois fois plus nombreux à se donner la mort. Mais les femmes effectuent deux fois plus de tentatives, en particulier celles de 15 à 19 ans et de 40 à 59 ans. Cette différence s’explique notament par le mode opératoire plus violentchoisi par les hommes : ils se suicident plus par pendaison et armes à feu, tandis que les femmes optent pour les médicaments. Environ 250.000 tentatives sont recensées chaque année selon l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes). Fait troublant, "70% des suicidants ont consulté un médecin ou un psychiatre dans le mois précédent", confie le Dr Matthieu Lustman, généraliste et sociologue.
L’énigme des enfants
Depuis le début de l’année, plusieurs enfants ont mis fin à leurs jours, dont un garçon de 11 ans, qui s’est pendu après une réprimande. "Ces passages à l’acte nous interrogent. Pour l’instant, les statistiques ne montrent pas de hausse. Chez les moins de 14 ans, on observe une trentaine de cas de suicide par an : 37 cas en 2009, après un pic à 42 décès en 2000", confie Thérèse Hannier, qui préside l’association Phare Parents-Enfants. Jeux dangereux ou intention réelle de mourir? Selon le psychiatre et psychanalyste Boris Cyrulnik, la conscience de la mort viendrait entre 6 et 9 ans. Pour Thérèse Hannier, "il s’agit toujours d’un acte impulsif pour mettre fin à une souffrance. On retrouve la même précocité dans d’autres pratiques, comme la scarification ou l’alcoolisation". Une chose est sûre, plus l’âge augmente, plus le taux de suicides s’élève.
L’impact de la crise
Selon une étude publiée dans The Lancet, le taux de suicides a bondi de 40 % en Grèce depuis 2008. Et en France, quel est le prix humain de la crise? Le chômage et la précarité étant des facteurs de risque connus, le Pr Debout estime que, depuis 2008, "avec 648.500 chômeurs de plus, 10.780 tentatives auraient eu lieu, ayant abouti à 750 morts de plus en trois ans". À l’Inpes, François Beck note qu’entre 2005 et 2010, le taux annuel des tentatives de suicide a crû de 0,3 % à 0,5 %. "C’est minime, mais c’est une tendance."
L’absence de données
Violences subies, dépression, isolement, chômage, ruptures, addictions : les facteurs de risques sont multiples, s’entremêlent et varient au cours de la vie. Les agriculteurs, les policiers, les ouvriers non qualifiés, les travailleurs du secteur social, de la santé sont ceux qui se suicident le plus. Le quart Nord-Ouest de la France est aussi le plus touché (Bretagne, Normandie, Nord). "Mais on a très peu de données sur le parcours personnel des suicidants. Difficile donc de mettre en place une prévention efficace", martèle Jean-Claude Delgenes, du cabinet Technologia, spécialisé en gestion de crises. Il réclame la création d’un observatoire indépendant. Il faut en outre "deux à trois ans à l’Inserm pour recouper les données", explique le cabinet de Nora Berra. Une version électronique du certificat de décès, plus détaillée et plus réactive, devrait être mise en place courant 2012.
Source : http://www.lejdd.fr/Societe/Actualite/Enquete-sur-les-suicides-en-France-484154