Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Archives

Publié par De La Boisserie

1. Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Force est de constater que la situation générale des systèmes de défense nationaux s’est fortement dégradée, malgré les réformes, transformations, restructurations qui ont pu être entreprises ici ou là. La disponibilité opérationnelle des capacités existantes comme la mise à la disposition des forces des nouvelles capacités ont été significativement affectées par l’incapacité des Etats à financer la totalité des investissements pourtant inscrits dans leur programmation militaire, là où il en existe.

Depuis quelques mois, les lacunes capacitaires et les baisses budgétaires soulignées par divers responsables recouvrent et renforcent les exigences déjà exprimées dans certaines capitales ou au sein des institutions européennes en la matière, au point de faire dire au président Nicolas Sarkozy lors de l’intervention qu’il a prononcée le 31 août 2011 en ouverture de la 19ème Conférence des Ambassadeurs :

« […] ne nous voilons pas la face : au-delà de la Libye, incontestablement l'Europe est menacée d'une forme de « rétrécissement stratégique ». Que voit-on ? Une baisse continue des efforts de défense ; l’invocation d’un « soft power » qui sert en vérité à quoi ? Cette invocation, c'est le paravent au renoncement ; et, trop souvent, c'est le paravent à l'aveuglement face à des menaces qui sont bien réelles. […] Il n'y aura pas de défense digne de ce nom en Europe sans des capacités militaires robustes et de vraies politiques industrielles et technologiques. C’est tout le sens des décisions prises par le Conseil européen pendant la Présidence française et du partenariat franco-britannique. Mais à eux seuls, la France et le Royaume-Uni représentent la moitié des budgets de défense et les 2/3 de la recherche de défense. Unis comme jamais depuis le Traité de Lancaster House, nos deux pays sont pratiquement les seuls en Europe à atteindre la norme de 2% du PIB consacrés à la défense. Il n'y a pas d’Europe qui peut exister si elle ne donne pas les moyens d'exécuter une politique qui ne peut pas simplement être la politique du discours, du verbe et de la parole. Beaucoup reste à faire pour que l’Europe soit à la hauteur de l'ambition qu’elle s'est fixée à elle-même. La France, elle, reste déterminée à assumer toutes ses responsabilités. […] »

En l’état actuel de l’Union, le financement public des dépenses d’investissement relatives aux programmes d’équipements de défense intervenant en appui du plan de développement des capacités militaires et du plan de rattrapage capacitaire adoptés par le Conseil repose de manière exclusive sur la capacité des Etats membres à planifier, programmer, et financer lesdites dépenses à partir de leur propre budget de défense.

Après analyse fine de la situation à l’instar de celle réalisée par le parlement français lors des travaux préparatoires à l’adoption de la loi de finance initiale pour l’exercice 2011[4], il s’avère que, s’agissant de la France, le schéma financier prévu par la loi de programmation militaire ne pourra pas être respecté en l’état.

Or, une telle situation se retrouve également dans d’autres pays membres de l’Union occupant une place significative dans le paysage de la PSDC, y compris au Royaume-Uni[5].

Depuis le début de l’année 2011, et surtout au fil du déroulement de la campagne de Libye, les institutions européennes –et en particulier le Parlement européen – ont désormais pris conscience qu’un tel défi politique est d’autant plus critique que l’Union aspire à devenir un véritable acteur global dans le monde.

L’ampleur de l’impact probable de la crise financière et de celle de la dette souveraine sur le maintien de cette capacité des Etats à financer de telles dépenses d’investissement pose la question des éventuelles mesures compensatoires collectives permettant de pallier l’incapacité éventuelle de ces Etats à poursuivre, au niveau requis par leurs propres engagements européens (et transatlantiques) en la matière, leurs investissements en faveur de la préparation du futur dans ce domaine. Il n’est en particulier aucunement question de mettre en place des mesures qui permettraient à certains Etats membres de se doter de capacités ab initio, mais bien de garantir un filet de sécurité financier pour pérenniser, dans un cadre de coopération européenne, des compétences déjà existantes. Les services du ministère de la Défense considèrent que des programmes de démonstrateurs à l’échelle européenne pourraient compter parmi les bénéficiaires de telles mesures.

L’ensemble de ces éléments concourt à conduire les Européens - sans exception - à imaginer de nouvelles pistes pour permettre aux différents cadres budgétaires pluriannuels, nationaux et européen, d’offrir les leviers d’efficacité, les économies d’échelle comme les flexibilités nécessaires à l’action publique en regard des contraintes et des aléas budgétaires (et plus généralement, financiers) qui ne manqueront pas de se présenter au cours des prochaines périodes de programmation pluriannuelles, tant au niveau national qu’au niveau européen.

L’Otan réfléchit également à certains des aspects de cette question centrale du financement des investissements indispensables à ses besoins capacitaires, des besoins qui coïncident pour une bonne part avec ceux de l’Union européenne.

Ces préoccupations communes ont motivé des contacts entre l’Otan, l’Agence européenne de défense et la Commission européenne au cours de l’année 2011.

Les Etats comme les institutions européennes sont conduits à imaginer des solutions palliatives à la fois empreintes de pragmatisme et suffisamment robustes du point de vue politique eu égard à l’importance cruciale de ces questions pour l’avenir de leurs politiques de sécurité, de défense et d’armement, autant que pour « l’autonomie compétitive »[6] de la base technologique et industrielle européenne qui leur est attachée, en prenant pleinement acte de ce que les décisions financières peuvent avoir une répercussion immédiate sur la disponibilité et le contrat opérationnel des forces.

S’inscrivant dans le prolongement de la relance de la dynamique politique amorcée en 2008 à propos du développement des capacités militaires de l’Union et confirmée lors du Conseil européen de décembre 2010, le lancement par le Conseil du processus « pooling and sharing » pour les capacités militaires de l’Union témoigne d’une volonté politique nouvelle en faveur d’une consolidation des instruments capacitaires requis par la PSDC.

Or, nombreux sont ceux qui, au sein du Parlement européen notamment, ont pris conscience de la nécessité d’étayer un tel processus par un second visant à créer :

- les conditions politiques et juridiques permettant de rechercher et de mettre en place des solutions financières, au niveau de l’Union, garantissant :

  * de maintenir l’effort d’investissement des Etats membres soucieux d’atteindre les objectifs collectifs qu’ils se sont fixés dans le cadre du processus capacitaire attaché à la PSDC (cf. supra) ;

  * de valoriser, notamment au travers de programmes de démonstrateurs technologiques, les investissements consentis depuis plusieurs décennies à la R&T et à la R&D tant au niveau national qu’au niveau communautaire ;

  * enfin, d’anticiper et de prévenir les impacts territoriaux, économiques et sociaux, des rationalisations, convergences, mutualisations et autres spécialisations rendues nécessaires par le second objectif détaillé ci-après ;

- l’environnement le plus favorable à une consolidation maîtrisée de la BITD européenne qui lui garantirait son « autonomie compétitive », en agissant sur les financements des investissements que consacrent les Etats membres à la stimulation et à l’organisation de l’offre du marché européen des équipements de défense par leur programmation militaire (la demande), sans attendre la mise en œuvre des dispositions du Traité de Lisbonne relatives à la coopération structurée permanente – CSP - qui s’y rapportent tout en en respectant néanmoins l’esprit[7] (notamment l’alinéa a) de l’article 2 du protocole n°10 sur la CSP[8]).

La question centrale porte ici sur l’analyse des intentions de l’Union européenne de recourir ou non à une nouvelle ingénierie financière dans le domaine des investissements de défense.

Une telle hypothèse de travail conduit naturellement à rechercher si les conditions politiques, économiques et financières sont aujourd’hui réunies pour rendre possible, dans un cadre approprié, l’ouverture, dans le budget général de l’Union européenne, de lignes budgétaires nouvelles au profit de la Politique européenne des capacités et de l’armement évoquée dans le Traité de Lisbonne – PECA[9]– et dont le Parlement européen a demandé le lancement. Il convient aussi d’être attentif aux conditions dans lesquelles ces lignes seraient utilisées et de vérifier que la création de ces lignes n’aura aucune conséquence sur les budgets nationaux de défense.

Et ce à la faveur du contexte exceptionnel qui résulte de l’inscription dans le même agenda européen des négociations inhérentes à la fois :

- à la réforme du cadre budgétaire de l'Union en tant que tel - une réforme qui vise en particulier à adapter le budget européen à la nouvelle réalité politique et institutionnelle issue de la mise en œuvre du Traité de Lisbonne - ;

- à la réforme du système des ressources propres de l’Union européenne ;

- et, enfin, à l’établissement du prochain cadre budgétaire pluriannuel de l’Union 2014-2020.

Tout en prenant acte de ce que, eu égard au contexte budgétaire et financier qui privera encore pendant plusieurs années les Etats comme les acteurs économiques d’une part importante des ressorts financiers – budgétaires et non budgétaires - indispensables à leur activité d’investissement, trois axes stratégiques semblent devoir être simultanément promus dans la future économie générale du budget général de l’Union :

- ’utilisation de formules permettant de faire jouer au budget de l’Union un effet de levier en faveur d’une plus grande mobilisation de l’investissement privé (garanties, prêts bonifiés, capital risque/intervention en fonds propres) ;

- la recherche de nouvelles ressources propres, en veillant à ce qu’elles ne viennent pas amputer la capacité des Etats à lever des ressources nationales nouvelles qui pourraient être particulièrement bien adaptées au financement des dépenses attachées aux politiques nationales ;

- un recours plus marqué aux instruments de flexibilité[10].

2.       Limites de l’exercice

Alors que jusqu’à une date récente il était d’usage de considérer dans les milieux concernés que « nécessité faisant loi », une « sanctuarisation » de facto des dépenses d’investissement en équipements de défense lors des débats budgétaires nationaux offrait des garanties suffisantes quant à la disponibilité des ressources publiques correspondantes, rien n’autorise aujourd’hui à considérer comme acquise la disponibilité effective des crédits correspondants inscrits dans les budgets nationaux de défense.

Rien n’autorise non plus à considérer comme acquise l’apparition, au niveau de l’Union, de nouvelles sources de financement en mesure de compenser par des mesures et instruments appropriés (qui restent à imaginer) les actions sous-financées dans les Etats membres. Tout simplement parce que :

- aucun des documents qui ont trait au prochain cadre financier pluriannuel de l'UE objets de la Communication de la Commission européenne en date du 29 juin 2011 et intitulée « Un budget pour la stratégie Europe 2020 »[11] n'évoque ouvertement la possibilité d’innovations importantes pouvant laisser espérer le déclenchement d’un processus européen permettant de doter la politique européenne des capacités et de l’armement (PECA) des instruments financiers et des ressources qui lui seront nécessaires à l’échéance 2014. Pour autant, ces textes proposent quelques dispositifs financiers visant à « améliorer la prévention et la résolution des crises, et à renforcer laction de l'UE en matière de prévention et de résolution des crises, de maintien de la paix et de renforcement de la sécurité internationale, notamment par l’amélioration des capacités de l’UE en matière de préparation aux crises » quand bien même, simultanément, il y est également précisé que « le budget consacré à la politique étrangère et de sécurité commune appuiera les actions dénuées d’implications militaires ou dans le domaine de la défense. »

- à ce jour, les autorités polonaises, qui exercent la présidence du Conseil de l’Union depuis le 1er juillet 2011 n’ont pas jugé utile de proposer au Conseil de prendre une initiative en la matière,

le Traité de Lisbonne accroissant le nombre de domaines politiques éligibles au budget de l’Union, une compétition plus vive se développera indubitablement entre les protagonistes de ces différents domaines lors des négociations préalables à l’entrée en vigueur du prochain cadre financier pluriannuel de l’Union,

- enfin, si la lettre des chefs d’Etat et de gouvernement fixant un plafond au montant des contributions nationales au budget de l’Union constituées par les prélèvements sur recettes fiscales (ressource RNB) soulève la question cruciale du volume des ressources qui seront effectivement disponibles au niveau de l’Union à compter de 2014[12], la position d’un plus grand nombre encore de gouvernements en défaveur des volumes de dépenses inscrits dans les propositions de la Commission en date du 29 juin ajoute encore à l’incertitude de voir ces mêmes gouvernements demander l’apparition, au cours des négociations à venir, de nouvelles sources de dépenses.

Un certain pragmatisme politique s’impose donc : si tant est qu’une décision politique d’ouvrir le cadre budgétaire de l’Union, ainsi que les instruments financiers qui y seront associés, au financement des dépenses d’investissement relatives au déploiement opérationnel et programmatique de la PECA soit effectivement prise dans les enceintes appropriées, les volumes de crédits publics européens disponibles seront limités. En première estimation, il semble qu’ils pourraient néanmoins se situer dans une fourchette s’établissant entre 1 et 2 milliards d’euros annuellement si ce sujet était effectivement introduit dans la négociation relative à l’établissement du prochain cadre financier pluriannuel de l’Union.

Tenant compte des réserves et contraintes évoquées ci-avant, quelques pistes ouvertes par certains acteurs européens ont pu être identifiées au cours de cette étude. S’attachant à concilier solidarité européenne et souveraineté en même temps qu’efficience de l’action publique et efficacité de la dépense publique, elles sont présentées dans la seconde partie du présent rapport.

Il est intéressant de relever que, selon ces mêmes acteurs européens, l’ensemble de ces voies d’action, si tant est qu’elles soient non seulement examinées mais qu’elles fassent ensuite l’objet d’un accord au sein du Conseil et du Parlement, pourrait même trouver place dans un « cadre stratégique commun[13] » dédié spécifiquement à la PECA (voir ci-après).

3.       Les raisons qui ont conduit à ne pas voir apparaître de dispositions financières au profit des volets économiques et capacitaires de la PSDC dans les propositions initiales de la Commission relatives au prochain cadre financier pluriannuel de l’Union

L’absence de telles dispositions dans les documents officiels publiés par la Commission européenne le 29 juin 2011 tient essentiellement aux facteurs suivants :

- bien que dans son premier discours sur l’Etat de l’Union qu’il a prononcé le 7 septembre 2010 devant le Parlement européen à Strasbourg, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, se soit montré un ardent défenseur de la PSDC[14], et malgré le très fort intérêt des Commissaires Barnier et Tajani pour ces questions, aucune initiative n’a émané des services de la Commission appelant à inscrire dans les propositions formelles de cette institution des dispositions appropriées en regard des préoccupations objet de la présente étude ;

- aucun des Etats membres de l’Union n’a à aucun moment, à titre individuel, sollicité la Commission européenne pour qu’elle inscrive quelques dispositions de cette nature dans lesdites propositions ;

- au niveau européen, ni le comité politique et de sécurité de l’Union (COPS), ni le comité des représentants permanents (COREPER), ni le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l’Union, Catherine Ashton, ni l’Agence européenne de défense (pourtant appelée par le traité à jouer un rôle important dans l’établissement de la PECA), ni le Conseil (que ce soit dans son format « Affaires étrangères » pourtant compétent en matière de PSDC ou dans un autre format « Affaires économiques et financières » ou « Affaires générales »), ni le Conseil européen, de sa propre initiative[15], n’ont à aucun moment sollicité la Commission européenne pour qu’elle inscrive quelques dispositions de cette nature dans lesdites propositions ;

- bien qu’il se soit pourtant attaché depuis l’été 2010 à identifier les défis politiques auxquels l’Union aura à faire face à l’horizon 2014 en mobilisant le cas échéant de nouvelles ressources et de nouvelles dépenses, le Parlement européen n’a pas cru nécessaire d’interpeller la Commission européenne et le Conseil pour qu’ils s’emploient à œuvrer à l’édification d’un cadre financier approprié à la nature des enjeux en pareilles matières, comme le confirme l’absence d’une quelconque mention de ce défi politique dans le rapport intitulé « Investir dans l’avenir : un nouveau cadre financier pluriannuel (CFP) pour une Europe compétitive, durable et inclusive » établi par sa « commission spéciale sur les défis politiques et les ressources budgétaires pour une Union européenne durable après 2013 » ;

- enfin, les consultations entreprises dans le cadre de la présente étude ont permis de constater qu’aucune instance gouvernementale française en charge du pilotage des différents volets de ce dossier (ministère de la défense, ministère des affaires étrangères et européennes, ministère en charge des finances, du budget et de l’industrie, secrétariat général pour la défense et la sécurité nationale, secrétariat général pour les affaires européennes, notamment), d’une part, et qu’aucune instance représentative des industries de défense et d’armement, d’autre part, ne s’est manifestée jusqu’ici pour que soient prises en compte de telles préoccupations dans l’agenda attaché à l’établissement du prochain cadre financier pluriannuel de l’Union. Il est à noter que que ce manque d'intérêt des autorités françaises à l'égard des opportunités qui pourraient émerger sur un tel registre au sein de l'Union européenne se retrouve également dans le document préparatoire à l'actualisation du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (cf. Eléments d'une analyse critique du document préparatoire à l’actualisation du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale).

4.       Les signes annonciateurs d’un certain frémissement, tardif mais réel

Une réponse politique pourrait être apportée à cette situation à la faveur à la fois de la conjonction de plusieurs initiatives politiques majeures - d’ores et déjà inscrites à l’agenda européen ou qui restent à y être inscrites - et d’un agenda politique européen propice à de nouvelles initiatives.

Sur ce dernier point, force est de relever que, pour le Parlement européen dont les nouvelles compétences en la matière lui confèrent désormais un rôle décisif, et comme le souligne Alain Lamassoure qui y préside la commission des budgets, aucun accord politique sur les dépenses qui seront inscrites dans le prochain cadre financier pluriannuel de l’Union ne pourra intervenir avant un accord politique sur les recettes correspondantes.

En outre, tenant compte de cette position politique particulièrement marquée à la veille d’échéances électorales majeures en France puis en Allemagne, force est également de relever à la fois qu’aucun accord politique ne pourra être conclu au niveau européen sur les dépenses avant les prochaines élections fédérales allemandes et la constitution d’un nouveau gouvernement (donc au plus tôt à la fin de l’automne 2013), et qu’aucun accord politique ne pourra raisonnablement intervenir quant à la nature et au montant des ressources allouées à ce cadre financier avant les prochaines élections françaises et la constitution d’un nouveau gouvernement (donc au plus tôt à l’automne 2012).

S’agissant du premier point (initiatives politiques en cours ou possibles), la Commission européenne n’ayant pas introduit des dispositions appropriées dans la communication qu’elle a publiée le 29 juin 2011, plusieurs opportunités politiques sont aujourd’hui envisagées pour remédier le cas échéant à cette situation.

Prenant appui sur une adhésion du Collège de la Commission aux constats établis ci-dessus, et prenant acte des appels formulés par le Parlement européen à ces différents égards, le discours sur l’Etat de l’Union qu’a prononcé le 28 septembre 2011[16] le président de la Commission européenne devant le Parlement européen, a offert une nouvelle occasion à José Manuel Barroso de réaffirmer l’importance que son institution attache à des avancées significatives de l’Union dans le domaine de la PSDC, et plus particulièrement dans ses volets économique et industriel.

Une coproduction parlementaire préalable autour des objectifs assignés à ces différents processus, notamment dans le cadre des travaux qui pourraient être engagés au sein des commissions spécialisées « budget/finances » et « défense & sécurité » de la Conférence des organes spécialisés prévue à l'article 10 du Titre II du protocole n°1 sur le rôle des parlements nationaux au sein de l'Union européenne[17], pourrait créer les conditions politiques indispensables à une prise en compte effective de ce défi politique majeur lors des exercices nationaux et européens dédiés à ces dossiers.

Dans cette optique, prenant appui sur la résolution du Parlement européen sur le développement de la politique de sécurité et de défense commune après l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne adoptée le 11 mai 2011[18] (date trop tardive dans l’agenda européen pour que la Commission ait pu prendre en compte, dans ses travaux relatifs à l’établissement de ses propositions formelles pour le prochain cadre financier pluriannuel, certaines des requêtes exprimées dans ce document en faveur de la PECA) ainsi que sur les conclusions du rapport de SWP portant sur les « Impacts de la crise financière sur les budgets de défense en Europe » (cf. supra), la sous-commission « défense & sécurité »[19] a lancé, sous la conduite de son vice-président polonais Krzysztof Lisek, un exercice visant à établir un « rapport d’initiative » sur ce même sujet. Son adoption très probable en séance plénière lors de la session de décembre 2011, sous présidence polonaise, constituera un acte politique majeur qu’il conviendra de considérer à sa juste mesure, et partant, de ne pas minimiser.

Dès lors, certains acteurs européens pensent que, si le Conseil et le Parlement européen en formulaient la demande expresse au cours des négociations à venir dans le cadre d’une relance volontariste du projet politique européen, des réponses structurantes aux défis présentés ci-avant pourraient être apportées au niveau de l’Union au moyen d’une ouverture appropriée du cadre financier pluriannuel de l’UE pour la période 2014-2020 et/ou d’un aménagement de certains des instruments spéciaux qui lui sont attachés.

Sur la base de l’ensemble de ces éléments, la Commission européenne pourrait alors élaborer, sous la forme d’une communication au Conseil et au Parlement européen, une proposition-cadre établissant un « cadre stratégique commun » approprié à l’établissement ainsi qu’à la mise en œuvre effective des actions structurelles et des dispositions programmatiques attachées à la PECA.

Un tel cadre stratégique, en synergie avec les autres cadres stratégiques communs qui seront mis en place à partir de 2014, permettrait alors à l’Union de soutenir les efforts budgétaires de ses Etats membres en faveur des investissements en équipements requis par les différents processus capacitaires attachés au volet militaire de la PSDC ainsi que des investissements requis par l’environnement et le soutien de la PSDC, tout en créant les conditions d’un environnement juridique favorable à des consolidations de l’offre comme de la demande sur le marché européen des équipements de défense (en prolongement des actions déjà engagées par ailleurs).

5.       Rendez-vous clés

a)      Programmés (déjà inscrits à l’agenda de l’Union européenne)

Les réunions informelles du Conseil réuni en format « Défense » comme les réunions du Comité directeur de l’Agence européenne de défense programmées au cours du second semestre 2011 offrent un cadre privilégié pour aborder les enjeux objets de la présente étude. Encore faudrait-il que les ministres de la Défense disposent d’un fond de dossier cohérent à cet égard.

b)      Non programmés (et qu’il est envisagé d’inscrire à l’agenda de l’Union européenne)

Parmi les Etats membres qui disposent d’une programmation militaire pluriannuelle, la France s’est fixé comme objectif de préparer une nouvelle loi de programmation qui ne pourra pas ignorer les impacts prévisibles de la persistance des crises financières et de la dette souveraine sur l’évolution des budgets d’investissement en matière de défense. Dans ce contexte, certains acteurs européens imaginent que la recherche de solutions palliatives sera alors encouragée (y compris des solutions européennes). Cet exercice national pourrait alors favoriser le déclenchement d’un processus plus large visant à l’établissement d’un Livre blanc européen dédié à la PSDC.

2° Les travaux budgétaires attachés au « semestre européen » au cours du premier semestre 2012 offrant une occasion supplémentaire pour mettre à plat de manière collective, et, le cas échéant, coordonner les processus d’élaboration des éléments relatifs aux dépenses d’investissement que les Etats membres entendent inscrire dans leur projet de loi de finances pour l’exercice 2013, les ministères de la Défense pourraient tirer parti d’une telle dynamique pour établir un mécanisme européen de concertation spécifiquement dédié au volet « défense » de ce dossier.

3° Conformément à la demande exprimée formellement d’abord, au début de l’année 2011, par Alain Juppé, alors ministre d’Etat, ministre de la Défense, puis par le Parlement européen dans sa résolution du 11 mai dernier (cf. supra), la tenue d’un Conseil européen dédié spécifiquement aux questions de sécurité, de défense et d’armement permettrait aux chefs d’Etat et de gouvernement européens d’évoquer cette question cruciale du financement par l’Union de tout ou partie des volets programmatiques de la politique européenne des capacités et de l’armement évoquée dans le traité, et de prendre les décisions qu’ils jugeraient alors nécessaires au cours des négociations attachées à l’établissement du prochain cadre financier pluriannuel de l’Union.

Dans l’hypothèse où l’agenda européen en permettrait la tenue, ce sommet des chefs d’Etat et de gouvernement pourrait s’attacher en particulier à définir les objectifs stratégiques, les lignes directrices, les principes d’action et le cadre programmatique attachés à l’établissement d’une véritable politique européenne des capacités et de l’armement au sein de l’Union européenne. Le Conseil européen de décembre inscrivant traditionnellement à son ordre du jour les questions ayant trait à la PSDC, le président du Conseil européen, les autorités polonaises ainsi que le Secrétariat général du Conseil pourraient inscrire ce dossier à l’ordre du jour des travaux du Conseil européen de décembre 2011.

4° L’idée se fait jour de lancer, à l’échelle de l’Union, au niveau et selon des modalités appropriés, un débat politique centré sur l’ensemble des questions tournant autour des ressources financières dont l’Union européenne doit pouvoir disposer pour relever l’ensemble des défis politiques qui se poseront à elle dans les années et décennies à venir (NB : il est parfois évoqué l’idée d’une conférence interparlementaire ou d’une convention européenne dont le mandat pourrait être centré sur ces questions ainsi que, le cas échéant, sur la question des financements des investissements qui relèvent pour tout ou partie de la responsabilité financière de l’Union).

5° Bien que l’ordre du jour des premiers travaux des réunions interparlementaires relatives aux questions budgétaires et financières qui débutent en octobre 2011 porte sur des préoccupations d’une toute autre nature, il est envisagé d’y voir inscrire, le moment venu, des préoccupations voisines de celles objet de la présente étude.

Ce n’est qu’à la faveur de la mise en synergie, le moment venu, de ces différentes dynamiques politiques que pourront être esquissés les voies et moyens que l’Union pourrait le cas échéant emprunter pour répondre aux enjeux évoqués supra aux niveaux d’efficacité et d’efficience attendus.

Le calendrier des présidences tournantes est favorable à la concrétisation de telles hypothèses, la Pologne exerçant cette responsabilité institutionnelle au cours du second semestre 2012, ainis qu'au cours du premier semestre 2012 en raison de l'opt-out danois s'agissant des questions relatives à la PSDC, Chypre exerçant cette responsabilité au cours du second semestre 2012.

Tous les acteurs au sein des différentes instances européennes ont bien conscience que l’ensemble des dispositions législatives, réglementaires, programmatiques, budgétaires et financières devront être finalisées avant la date d’adoption définitive du cadre budgétaire pluriannuel post 2013, afin que les Etats membres comme l’Union elle-même puissent effectivement engager leur processus de convergence dans le domaine de la PECA dès 2014.

Le calendrier européen offre la possibilité qu’une initiative soit prise par un ou plusieurs Etats membres en faveur de ces questions. On peut noter que nombre d’acteurs européens de premier plan attendent un signe de la France.

Dans la perspective de ces différents rendez-vous, l’élaboration de la position nationale relative au prochain cadre financier pluriannuel qui sera présentée et négociée prochainement suppose de procéder au préalable à l’identification des cibles visées en même temps que des limites de l’exercice du point de vue national comme du point de vue européen. A cette fin, il conviendra d’identifier et de discriminer les hypothèses de financement des dépenses d’investissement, d’origine budgétaire ou non budgétaire, qui pourraient être ainsi proposées aux Etats membres (types d’intervention financière, origine et nature des ressources, montants en jeu, modalités et conditions d'affectation et d'emplois des ressources, impacts éventuels sur les processus de planification, de programmation, d'acquisition, principes en jeu, etc.), tout en dégageant les contraintes que pourrait faire peser sur les bénéficiaires de ces nouvelles formes d’intervention financière leur mise en place effective au cours de la prochaine période de programmation financière de l’Union.

 

[2] Cf. l’annexe 1.

[4] Cf. notamment le rapport du député François Cornut-Gentille (http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/budget/plf2011/a2862-tvii.pdf) dans lequel on peut lire : « Depuis plusieurs décennies, aucune loi à caractère financier, qu’il s’agisse des lois de finances ou des lois de programmation, n’a été scrupuleusement respectée. Les correctifs apportés en cours d’exécution (gel, annulation et report de crédits, diminution des commandes publiques, report calendaire, variation annuelle du référentiel…) sont légion et ont, au fur et à mesure des exercices budgétaires, construit un modèle manquant sensiblement de cohérence opérationnelle et de rationalité budgétaire. »

[5] Cf. notamment le rapport du think tank allemand SWP intitulé « The impact of the financial crises on european defence » qui a été réalisé à la demande des services du Parlement européen

(http://www.swp-berlin.org/fileadmin/contents/products/fachpublikationen/Moelling_Brune_EU_Studie_2011_Teil1_ks.pdf)

[6] « L’autonomie compétitive », expression consacrée initialement par la DGA pour qualifier sa stratégie, est un concept que certains acteurs européens tentent désormais de faire prévaloir à leur niveau.

[7] La CSP constitue de facto un cadre de convergence sur les registres politique, stratégique, budgétaire qui a vocation à donner un caractère structurel à ces réformes. Cet instrument structurant de portée contraignante autant pour l’Union que pour les Etats participants à la CSP sur une base volontaire, est apparu aux rédacteurs et signataires des traités comme étant le seul susceptible d’intensifier en même temps que de redynamiser les processus d’intégration, de convergence et de réforme dans des domaines aussi exigeants que ceux de la défense et de l’armement.

[8] Article 2 du protocole n°10 sur la CSP :

Les États membres qui participent à la coopération structurée permanente s'engagent, pour atteindre les objectifs visés à l'article 1er :

 a) à coopérer, dès l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, en vue d'atteindre des objectifs agréés concernant le niveau des dépenses d'investissement en matière d'équipements de défense, et à réexaminer régulièrement ces objectifs à la lumière de l'environnement de sécurité et des responsabilités internationales de l'Union;

 b) à rapprocher, dans la mesure du possible, leurs outils de défense, notamment en harmonisant l'identification des besoins militaires, en mettant en commun et, le cas échéant, en spécialisant leurs moyens et capacités de défense, ainsi qu'en encourageant la coopération dans les domaines de la formation et de la logistique;

 c) à prendre des mesures concrètes pour renforcer la disponibilité, l'interopérabilité, la flexibilité et la capacité de déploiement de leurs forces, notamment en identifiant des objectifs communs en matière de projection de forces, y compris en réexaminant, éventuellement, leurs procédures de décision nationales;

 d) à coopérer afin de s'assurer qu'ils prennent les mesures nécessaires pour combler, y compris par des approches multinationales et sans préjudice des engagements les concernant au sein de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord, les lacunes constatées dans le cadre du «Mécanisme de développement des capacités»;

 e) à participer, le cas échéant, au développement de programmes communs ou européens d'équipements majeurs dans le cadre de l'Agence européenne de défense.

[9] Par nature transversale à plusieurs domaines politiques (PSDC, politique industrielle, politique de recherche et technologie, politique de concurrence, politiques sectorielles, politique commerciale et politique structurelle, etc.), son élaboration comme sa mise en œuvre opérationnelle requièrent une approche européenne à la fois structurée et globale.

[10] Cf. l’annexe 3

[11] Cf. http://ec.europa.eu/budget/biblio/documents/fin_fwk1420/fin_fwk1420_fr.cfm

[12] Les dépenses du budget de l’Union sont quant à elles juridiquement plafonnées à 1,24 % du RNB consolidé.

[13]Rappelons ici que l’appellation « cadre stratégique commun » est un terme consacré par l’usage dans les institutions européennes.

[14] « Ne nous leurrons pas : sans politique de défense commune, nous ne posséderons pas, dans le monde, l’influence dont nous avons besoin. J’ai la conviction que le moment est venu de s’atteler à ce défi » a-t-il déclaré, au détour d’un paragraphe sur la politique étrangère commune.

[15] Un tel engagement politique formel du Conseil européen en faveur d’une initiative structurée ambitieuse de l’Union européenne en la matière aurait pourtant dû être favorisé à la fois par la triple nature politique, économique et financière de la problématique examinée dans ce dossier, ainsi que par le statut particulier du Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l’Union, qui occupe à la fois les responsabilités de président du Conseil « affaires étrangères », de vice-président de la Commission et de « chef » de l’Agence européenne de défense.

[16] « […] Soyons également réalistes et reconnaissons que pour que l'Europe exerce toute son influence, si l'Europe veut vraiment être une puissance, il nous faut renforcer la Politique étrangère et de sécurité commune. Il faut qu'elle soit crédible. Il faut qu'elle s'appuie sur une dimension de sécurité et de défense commune si on veut vraiment compter dans le monde. Loin est le temps où certains pouvaient s'opposer à l'idée d'une défense européenne par crainte qu'elle puisse nuire à l'Alliance atlantique. Vous avez déjà remarqué, aujourd'hui ce sont les Américains, eux-mêmes, qui nous demandent de faire plus en tant qu'Européens. Le monde a changé, le monde est en train de changer fondamentalement. Est-ce que nous voulons vraiment compter dans le monde ?

C'est pourquoi au moment où les budgets de défense sont sous pression, nous devons faire davantage ensemble avec les moyens dont nous disposons. La Commission prend en cela sa part de responsabilité en poursuivant ses efforts vers un marché unique de la défense et en mettant à profit les compétences qui lui sont conférées par le traité pour développer une base industrielle européenne de défense. […] Ne soyons pas naïfs, le monde est en train de se transformer et si l'Europe veut compter dans le monde et défendre les intérêts de ces citoyens, il nous faut la dimension politique et la dimension de défense si on veut compter et influencer l'avenir du monde. […] »

[17] Titre II : Coopération interparlementaire

Article 9

Le Parlement européen et les parlements nationaux définissent ensemble l'organisation et la promotion d'une coopération interparlementaire efficace et régulière au sein de l'Union.

Article 10

Une conférence des organes parlementaires spécialisés dans les affaires de l'Union peut soumettre toute contribution qu'elle juge appropriée à l'attention du Parlement européen, du Conseil et de la Commission. Cette conférence promeut, en outre, l'échange d'informations et de meilleures pratiques entre les parlements nationaux et le Parlement européen, y compris entre leurs commissions spécialisées. Elle peut également organiser des conférences interparlementaires sur des thèmes particuliers, notamment pour débattre des questions de politique étrangère et de sécurité commune, y compris la politique de sécurité et de défense commune. Les contributions de la conférence ne lient pas les parlements nationaux et ne préjugent pas de leur position.

[18] Dans cette résolution, le Parlement européen :

 - réaffirme que […] une volonté politique forte, commune et de longue durée doit intervenir, qui utilise pleinement les possibilités offertes par le Traité de Lisbonne, et que la définition progressive d'une politique de défense commune capable de conduire à une défense commune doit être axée sur le renforcement de la capacité de l'UE à répondre aux crises et à assurer une consolidation de la paix à long terme, mais surtout sur l'assurance de l'autonomie stratégique de l'Europe et de sa capacité à agir ; demande que soit organisé un Conseil européen extraordinaire sur la sécurité et la défense européennes ; réitère sa demande de rédaction d'un livre blanc de la sécurité et de la défense européennes, sur la base d'un processus incluant tous les acteurs concernés de l'Union et se fondant sur les rapports nationaux sur la sécurité et la défense établis par tous les États membres suivant un modèle commun qui permette la comparaison directe des points forts et des points faibles en matière de capacités effectives et d'hypothèses de planification (point 28) ;

 - souligne que le traité fait référence à une politique européenne des capacités et de l'armement qui doit être définie avec la participation de l'AED et demande à cette fin que les institutions, organes et États membres de l'UE participent à l'élaboration et à la mise en œuvre de cette politique (point 40).

Cf. http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&reference=P7-TA-2011-0228&language=FR&ring=A7-2011-0166

[19] Que préside actuellement le député européen français Arnaud Danjean.

 

Voir également :

 * De la prise en compte des investissements de défense dans le prochain cadre financier pluriannuel de l’UE : éléments d’analyse complémentaires et pistes envisagées

 * http://www.fenetreeurope.com/php/page.php?section=chroniques&id=1045

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article