Dossier iranien vu de Chine : Non au diktat américain ! par Ye Hailin (Dongfang Zaobao - Shangaï)
Même si la Russie rejoint les Etats-Unis dans leur volonté d’infliger de sévères sanctions à l’Iran, cela ne veut
pas dire que la Chine doive leur emboîter le pas de peur d’être isolée. Les décisions chinoises ne se prennent pas – et ne doivent pas se prendre – ailleurs qu’à Pékin !
Renforcer les sanctions infligées à l’Iran et même les maintenir à leur état actuel est discutable d’un point de vue moral. Le ronron des centrifugeuses en fonctionnement à Natanz
constitue-t-il un acte de prolifération nucléaire contraire à la sécurité de la région, ou est-il le symbole du droit au nucléaire pour protéger son indépendance et son autonomie ? Les
positions de Tel-Aviv et de Damas d’une part, de Riyad et de Téhéran d’autre part sont bien différentes sur ce point, sans parler de celles de Washington et de Moscou.
Pourquoi la détention de l’arme nucléaire par Israël (à titre non officiel) et par l’Inde (à titre officiel) n’est-elle pas considérée comme mauvaise,
alors que l’Iran est stigmatisé simplement parce qu’il possède une force nucléaire civile (pour l’instant du moins, et rien ne prouve que ce ne sera pas aussi le cas à l’avenir) ? En prenant
beaucoup de recul, demandons-nous pourquoi l’Iran ne pourrait-il pas posséder l’arme nucléaire ? En définitive, est-ce la monopolisation du nucléaire ou la prolifération du nucléaire qui
garantit qu’une guerre froide restera “froide” et n’évoluera pas vers un conflit nucléaire ? Où est la limite entre une “bonne” prolifération nucléaire et une “mauvaise” prolifération ?
L’arme nucléaire est-elle plus sympathique lorsqu’elle est détenue par des pays hindouistes et juifs que lorsqu’elle est entre les mains de pays musulmans ? Difficile à dire !
Par-delà les considérations éthiques aux limites floues, intéressons-nous à une autre question peu débattue par les Américains : le renforcement des
sanctions infligées à l’Iran peut-il amener Téhéran à renoncer à ses projets nucléaires ? La logique de fond des sanctions est la suivante : conduire le pays visé à abandonner la
poursuite de certains objectifs en lui imposant une situation qui lui cause davantage de préjudices que les bénéfices qu’il pourrait escompter s’il atteignait ses objectifs. Quels sont les
bénéfices escomptés dans le cas du programme nucléaire iranien ? La sécurité et la dignité du pays. Alors que les Iraniens vivent depuis des milliers d’années entourés de forces hostiles,
la possession de l’arme nucléaire améliorerait de façon notable la sécurité du territoire iranien de la Méditerranée à la mer d’Oman, de la Caspienne à la mer Rouge, et permettrait à la religion
chiite de devenir un phare de l’islam mondial. Selon leur étendue, les dispositions prises contre l’Iran peuvent simplement avoir pour effet d’empêcher les Iraniennes d’acheter du parfum ou au
pays de vendre son pétrole. Or qui aurait l’audace d’évoquer un embargo sur les exportations de pétrole iranien ? Les Iraniens attachent de l’importance à l’honneur de leur pays, alors que
les étrangers veulent parler argent avec Téhéran. Cette affaire nous montre avec force que notre compréhension du problème repose sur des malentendus.
Certes, même si le renforcement des sanctions est contestable d’un point de vue moral
et leur efficacité incertaine, la Chine n’agira pas nécessairement sans concertation avec les autres et ne cherchera pas forcément à se mettre en avant, si elle peut en tirer une contrepartie sur
le plan diplomatique. A propos de contrepartie, si la Chine acceptait de renforcer les sanctions infligées à l’Iran, elle perdrait une source d’approvisionnement en pétrole et serait accusée de
courtiser les Etats-Unis par tous les pays antiaméricains. Qu’obtiendrait donc la Chine en définitive ? Le titre provisoire d’enfant sage et responsable, et rien d’autre ! Le jeu en
vaut-il la chandelle ?
Ye Hailin est Chercheur à l’Institut du Pacifique de l’Académie des sciences sociales
de Chine.
Cet article a été publié dans
l'édition de l'hebdomadaire Courrier International en date du 18 au 24 mars 2010.