Du retour au premier plan dans l'agenda international du dossier nucléaire iranien
Depuis plusieurs semaines, de multiples dépêches contradictoires circulent évoquant à la fois les conclusions sévères du rapport de l'AIEA sur le dossier nucléaire iranien et les risques d'une opération militaire sur des sites nucléaires iraniens à l'initiative de l'Etat d'Israël, avec un possible assentiment des Etats Unis et du Royaume Uni (cf. notamment à cet égard Selon l'AIEA, l'Iran a travaillé sur la conception d'une arme nucléaire (Atlantico) ; M. Nétanyahou attaque la presse après des fuites sur d'éventuelles frappes contre l'Iran, par Laurent Zecchini (Le Monde).
Ce retour aussi soudain que prévisible du dossier nucléaire iranien au coeur de l'agenda international appelle quelques observations.
1 - Ce nouveau rapport de l'AIEA doit être considéré avec une certaine prudence, eu égard à la fois à son contenu et à l'agenda de son établissement et de sa publication.
Que dit, aujourd'hui, l'AIEA sur l'Iran ? Dans son dernier rapport, remis le 8 novembre, l'agence de vérification de l'ONU fait part de ses "sérieuses préoccupations" à propos de travaux iraniens "spécifiquement liés à l'arme nucléaire". Elle détaille pour la première fois les recherches menées par la République islamique sur des composants en uranium métal, des explosifs et le dessin d'une ogive nucléaire. Bref, la quête par l'Iran de la technologie et du savoir nécessaires à la production de l'arme suprême est constatée. Ce qui n'est pas démontré, en revanche, c'est l'existence d'une décision politique iranienne pour aller au seuil de sa capacité nucléaire - voire jusqu'au bout du processus. C'est là, depuis une dizaine d'années, le grand suspense de cet imbroglio.
Il est utile de mettre ce rapport en perspective avec la position tout aussi éclairée (sinon autorisée) de l'ancien chef du service des renseignements israéliens, le Mossad, Méir Dagan, lequel a estimé à plusieurs reprises au cours de l'année 2011 qu'une attaque israélienne contre les installations nucléaires de l'Iran était injustifiée à ce stade. Il a affirmé qu'une telle attaque ne se justifiait qu'en dernier recours, estimant que tel n'est pas le cas, vu que, selon lui, l'Iran ne se doterait pas d'une capacité nucléaire avant 2015 compte tenu d'une série de retards. M. Dagan avait déjà estimé dans le passé qu'Israël ne devait lancer une opération militaire contre l'Iran " que s'il avait le couteau sur la gorge ". Fin décembre 2010, le ministre israélien des Affaires stratégiques Moshé Yaalon a également affirmé que de récentes "difficultés" rencontrées par le programme nucléaire iranien avaient retardé de plusieurs années l'éventuelle accession de Téhéran à la bombe atomique.
S'agissant de la date de sa publication, force est de relever qu'elle s'inscrit au coeur d'une fenêtre calendaire tout à fait singulière dans l'agenda international ! (voir ci-après)
2 - L'Etat d'Israël traverse actuellement une série de crises sociales et politiques internes qui ébranlent la très fragile cohésion politique nationale en même temps qu'elles concourent à déligitimer un gouvernement en proie à des contradictions et à des postures qui irritent bien au-delà du seul territoire israélien !
Le peuple israélien n'a jamais été aussi inquiet pour sa sécurité depuis la création de l'Etat d'Israêl comme en témoigne la demande régulière de seconds passeports des Israéliens (cf. Les Israéliens se ruent sur les seconds passeports, par Franklin Lamb), ou encore l'émergence de mouvements contestataires aussi organisé que déterminé au sein de la diaspora juive.
Le 3 mai 2010, au Parlement européen, en présence de l'eurodéputé Daniel Cohn-Bendit, de Zeev Sternhell, de Avi Primor, d'Elie Barnavi et d'autres personnalités juives européennes, des membres de la communauté juive européenne ont lancé officiellement un appel pour sauver Israël non passeulement de la menace d' " ennemis extérieurs " mais aussi des dangers qui pèsent sur le pays du fait de la persistance d'une politique d'occupation et de pratiques menées par l'actuel gouvernement - coalition de droite et d'extrême droite - " qui sont une erreur politique et une faute morale " (*).
3 - L'Etat d'Israël pâtit plus que jamais d'un réel affaiblissement diplomatique en raison de son isolement, en dehors du soutien quasi inconditionnel - et qui ne surprend plus personne - des Etats-Unis et du Royaume-Uni, ainsi que du soutien diplomatique appuyé - et là, la chose est nouvelle - d'une Allemagne qui n'hésite pas à se désolidariser de la France pour apparaître comme un nouvel acteur stratégique neutre - et donc crédible - dans la région, voire même comme le recours diplomatique ultime au sein de l'Union européenne si les circonstances l'exigeaient, face à la très volontariste initiative diplomatique de l'Autorité palestinienne en quête de reconnaissance d'un Etat palestinien à l'ONU. C'est peut-être d'ailleurs là qu'il faut la principale motivation israélienne à remettre sur la table sa menace d'attaque de sites nucléaires iraniens.
La situation géopolitique nouvelle créée dans la région par "les printemps arabes" ne s'oppose moins que jamais au réhaussement de l'option d'une initiative militaire israélienne de caractère stratégique, les Etats arabes dans le voisinage d'Israël étant plus que jamais dans l'incapacité de faire valoir leur capacité à mobiliser des moyens militaires dans un conflit régional.
Ensuite, la rapide émergence de la Turquie comme acteur stratégique résolu à "jouer ses cartes" dans la région - et les tensions nouvelles qui en résultent en Méditerranée - crée les conditions d'une vulnérabilité stratégique nouvelle pour un Etat d'Israël qui avait jusqu'ici trouvé dans ce Pays un partenaire stratégique essentiel (cf. notamment à ce sujet les travaux de Mustafa Kibaroglu, qui est notamment l'auteur de Global Security Watch - Turkey : A Reference Handbook (avec Aysegul Kibaroglu, Praeger Security International, 2009).
Enfin, le conflit en Lybie a favorisé le retour en Méditerranée de moyens militaires de l'OTAN, créant ainsi des conditions nouvelles qui participent à apporter à l'Etat d'Israël les quelques garanties de sécurité supplémentaires qu'elle attendait de l'Alliance.
3 - En cherchant à remettre la menace nucléaire iranienne au coeur de l'agenda stratégique international, avec le concours, fortuit ou non, d'une AIEA qui a modifié sa propre dynamique d'inspection et de communication après le départ de Mohamed El Baradei à la tête de cette organisation internationale, l'Etat d'Israël cherche probablement à obtenir de la manière la plus déterminée qui soit de nouvelles garanties internationales de réassurance stratégique pour sa propre existence de la part des Etats occidentaux "nucléaires". Et elle semble y parvenir tout en divisant les Européens (cf. Nucléaire iranien : premières dissensions parmi les Etats européens )!
4 - Ce retour de la menace nucléaire iranienne est d'ores et déjà instrumentalisé par les thuriféraires qui des programmes antimissiles stratégiques, qui de la dissuasion nucléaire, qui cherchent les uns comme les autres à réhausser la crédibilité de ce type de menace pour justifier en pleine période d'austérite budgétaire des demandes extrêmement pressantes d'investissements publics dans les principaux Etats membres de l'OTAN ! Les lobbies militaro-industriels sont à l'oeuvre !
Il est important de relever qu'à ce stade, le dossier nucléaire iranien est traité au Conseil de sécurité des Nations sous le régime du chapitre VI de la Charte des Nations Unies (Chapitre VI : Règlement pacifique des différends), et non sous le régime du chapitre VII (Chapitre VII : Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression).
5 - Enfin, trois années à peine après l'opération "Plomb durci", laquelle n'a surpris que ceux qui s'étaient "gentiment" voilé la face, il peut être utile de réexaminer les hypothèses qui ont alors prévalu quant à ses "motivations" !
Alors peut-être y trouverions-nous quelques analogies avec certaines de celles qui peuvent expliquer cette nouvelle donne ! (cf. Poursuite des combats par Tsahal : 5 hypothèses passées au crible de l'analyse (1) ainsi que Poursuite des combats par Tsahal au Proche Orient : 5 hypothèses soumises au crible de l'analyse (2) ) !
Pour autant, ni Israël, ni l'Iran, ni quiconque d'autre dans le monde ne peut se croire légitime à créer les conditions d'un conflit de haute intensité stratégique dans cette région du monde alors même que l'interpénétration des économies comme la globalisation stratégique qui placent l'ensemble des acteurs sur un plan d'égalité face aux incertitudes induites par la très grande variété des défis globaux susceptibles de rompre durablement les délicats équilibres économiques, stratégiques, écologiques, monétaires, etc. ne peuvent laisser espérer une quelconque "victoire " d'un camp au détriment d'un autre en même temps qu'un tel conflit participerait à précipiter une modification substantielle de la géographie politique du monde, tou au moins aux Proche et Moyen Orient (cf. à cet égard notamment Géopolitique fiction : et si les printemps arabes annonçaient un vaste chantier de reconfiguration des Etats et des frontières au sud et à l'est de la Méditerranée ? ) !
Les gouvernements israéliens qui se succèdent devraient prendre toute la mesure des effets destructeurs de leurs manoeuvres et gesticulations de toutes natures non seulement pour la prospérité et la sécurité de l'Etat d'Israël mais plus encore, pour son existence même tant le peuple juif lui-même s'interroge sur la durabilité du projet sioniste tant qu'il sera inspiré par des considérations d'un autre temps qui le condamnent à terme !
Quant aux autorités politiques et religieuses iraniennes, elles seraient bien inspirées de rechercher par les voies qui leur semblent les mieux appropriées pour identifier "une bonne foi" pour toutes ce qu'est la véritable voie de la raison !
Plus que jamais, L’UE et les USA doivent changer leur politique sur le nucléaire iranien !
Le peuple israélien, et au-delà des frontières d'Israël, le peuple juif dans son ensemble, comme les autres peuples de la région attendent autrechose que ces manoeuvres politico-diplomatique machiavéliques, et en tout premier lieu qu'on leur offre de nouvelles raisons d'espérer et une véritable perspective d'avenir ! (cf. à cet égard Retour sur images : Sept messages pour redonner de l'espoir et une perspective au Proche Orient).
Quant à la question des armes nucléaires et de leur détention, elle constitue plus que jamais un sujet de débat pour la démocratie (cf. Les armes nucléaires, un sujet de débat pour la démocratie ? Le point de vue de Michel Rocard ).
Voir également les articles des rubriques Le dossier nucléaire iranien ; Prolifération nucléaire et désarmement stratégique et Palestine et Processus de Paix au Proche Orient .
(*) Ce mouvement, baptisé 'Appel à la Raison' : J Call (www.jcall.eu), rappelle le mouvement J Street créé aux Etats-Unis pour combattre l'influence de la droite dure israélienne sur l'opinion américaine (www.jstreet.org).
Les signataires, plus de 2500 personnes, d'Europe et aussi d'Israël, font savoir : " Citoyens de pays européens, juifs, nous sommes impliqués dans la vie politique et sociale de nos pays respectifs. Quels que soient nos itinéraires personnels, le lien à l'Etat d'Israël fait partie de notre identité. L'avenir et la sécurité d'Israël est à nouveau en danger. Loin de sous-estimer la menace de ses ennemis extérieurs, nous savons que ce danger se trouve aussi dans l'occupation et la poursuite ininterrompue des implantations en Cisjordanie et dans les quartiers arabes de Jérusalem Est ", qui, outre de constituer une " erreur politique et une faute morale (...) alimentent un processus de déligitimation inacceptable d'Israël en tant qu'Etat. " (cf. Retour sur images : "Raison garder" contre "Appel à la Raison" : la communauté juive européenne est partagée sur le soutien à apporter à la politique israélienne).