Euro : les marchés ne croient pas aux promesses, par Clément Lacombe et Philippe Ricard (Le Monde)
A peine une semaine après le conseil européen des 8 et 9 décembre, les marchés ont un nouvel accès d'angoisse. Pour la première fois depuis le 11 janvier, l'euro est tombé, mercredi 14 décembre, sous les 1,30 dollar, à 1,2983 dollar. " Dans ce marché de fin d'année, avec des volumes en baisse, il semble qu'il y ait une défiance de plus en plus élevée vis-à-vis de tous les actifs libellés en euros ", note René Defossez, stratège chez Natixis.
Mercredi toujours, les Bourses ont plongé (- 3,33 % à Paris), les taux versés par l'Italie pour emprunter se sont encore tendus, les différences de rendements (spread) entre les obligations des Etats membres se sont un peu creusées alors qu'elles étaient restées stables depuis le sommet... " La baisse de l'euro est le seul point positif depuis une semaine, une bouffée d'air pour l'activité économique, note Michel Juvet, directeur chez la banque suisse Bordier. Pour le reste, la rupture avec les politiques a été tellement entamée que les marchés ne croient plus guère à leurs paroles. "
INCERTITUDES
Et à ce problème de crédibilité s'ajoutent des interrogations sur le contenu même de l'accord, censé renforcer la discipline budgétaire à l'intérieur de la zone euro et améliorer les pare-feu à la crise. Olivier Blanchard, le chef économiste du Fonds monétaire international (FMI), a indiqué, mercredi lors d'une conférence à New York, que celui-ci restait "insuffisant" pour éteindre la crise, même si des progrès ont été réalisés.
" Les marchés attendaient deux choses : un renforcement des fonds de secours et un achat massif de dette publique par la Banque centrale européenne (BCE), note-t-on à Bruxelles. Or, la BCE n'agit pas de façon décisive, et les progrès se font au compte-gouttes sur les pare-feu censés enrayer la contagion. "
Les discussions achoppent encore sur le renforcement du Fonds européen de stabilité financière (FESF), et sur les moyens de son successeur, le Mécanisme européen de stabilité (MES), même s'il a été convenu que ce dernier serait opérationnel d'ici à juillet 2012. L'Allemagne refuse, entre autres, d'additionner les forces de frappe des deux instruments et s'en tient au compromis initial : les sommes engagées par le FESF (près de 200 milliards pour la Grèce, l'Irlande et le Portugal) doivent être déduites de l'enveloppe mobilisable par le MES (500 milliards d'euros au maximum).
Autre source d'inquiétude, la restructuration de la dette grecque en cours de négociation avec les banques prend du retard. Or, elle conditionne la mise en oeuvre du second plan d'aide à Athènes...
Pour ne rien arranger, l'incertitude persiste au sujet du traité intergouvernemental promis par les dix-sept pays de la zone euro ainsi que par la quasi-totalité des pays hors de l'union monétaire, à l'exception du Royaume-Uni. Les directeurs du Trésor des Dix-Sept ont fait, mercredi, un premier tour de piste et les négociations s'accéléreront la semaine prochaine.
Les avis divergent en particulier sur le champ d'application du futur traité, ou sur son caractère contraignant pour les pays candidats à l'euro qui le signeraient. Avant de lever ses réserves et de confirmer, ou pas, sa participation, la République Tchèque a indiqué qu'elle jugerait sur pièce.
Les marchés s'inquiètent de surcroît des difficultés que le nouveau traité pourrait rencontrer en phase de ratification, après sa signature au mieux en mars 2012. Sous pression de l'opposition, le premier ministre irlandais, Enda Kenny, n'a pas exclu un référendum dans son pays, tout en précisant que la décision serait prise après consultation des gardiens de la Constitution. Les Pays-Bas, la Suède et le Danemark pourraient aussi connaître quelques difficultés pour ratifier le nouveau traité, en raison de problèmes de coalition. Pour contourner l'obstacle, il est imaginé d'introduire une clause qui permette au futur accord d'entrer en vigueur sans attendre d'être ratifié partout.
Et, à ces inquiétudes, s'ajoutent la menace d'une dégradation imminente de la note de certains pays de la zone euro par l'agence Standard & Poor's, à commencer par le triple A de la France...
Autant de tensions qui ramènent l'Italie dans le collimateur. La péninsule a dû verser, mercredi, des taux d'intérêts records pour emprunter à cinq ans. Et sur le marché obligataire secondaire (celui de la revente), les rendements des emprunts italiens à dix ans grimpent jour après jour : ils atteignaient 6,75 % jeudi matin, plus très loin des 7,244 % du 25 novembre... Or l'Italie est le pays de la zone euro qui devra le plus emprunter sur les marchés en 2012. Rien qu'entre février et avril, quelque 91 milliards d'euros d'obligations italiennes arriveront à échéance, des emprunts qu'il faudra refinancer...
Voir également :
* Un accord utile mais qui ne peut être considéré comme l'alpha et l'omega !
* Prochain sommet européen entre fin janvier et début février 2012