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6 Novembre 2012
Si le terme de paupérisation utilisé dans certains médias français est sans doute excessif, il n’en est pas moins évident que la crise budgétaire pèse de plus en plus sur la défense française. En témoigne les propos du chef d’état-major des armées, l’amiral Edouard Guillaud lors de son audition, le 10 octobre, par la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale. Voici de larges extraits tirés du compte-rendu officiel de cette audition.
« Le modèle défini par le Livre blanc de 2008 n’est plus soutenable, malgré les efforts que l’État a consentis pour la défense et ceux des armées pour s’optimiser. Depuis 15 ans et la fin de la conscription, l’outil de défense est dimensionné en moyenne à 32 milliards constants en valeur de 2012. Le nouveau budget triennal programme 29 milliards pour 2015, soit quasiment 10 % de moins. (…) Il faut en conséquence repenser nos ambitions. »
« En juillet, j’avais évoqué devant vous les grandes lignes de l’exécution de la LPM (loi de programmation militaire) pour 2009-2014, laquelle a été globalement conforme jusqu’en 2011, du moins en ce qui concerne les paiements et donc la livraison des matériels. Quant aux commandes, les contraintes de la programmation budgétaire triennale 2011-2013 nous ont déjà obligés à reporter la plupart des lancements de programmes nouveaux. En tout état de cause, 2012 marque une rupture, dont nous savons qu’elle est irréversible. Commençons par la période 2009-2011. Malgré un certain nombre de dépenses non programmées que nous avons dû financer, nous avons bénéficié de 98 % des ressources attendues, les 2 % manquants représentant tout de même 1,9 milliard, soit près de deux années de production du Rafale ou dix avions ravitailleurs MRTT (Multi Role Tanker Transport), ou encore l’intégralité du programme MUSIS (Multinational Space Based Imaging System), successeur du satellite d’observation Hélios. »
« Nos difficultés ont débuté dès l’été 2010. La programmation budgétaire triennale pour 2011-2013 a exercé sur la programmation une pression substantielle. Elle a décalé d’un à trois ans la plupart des programmes futurs : avion ravitailleur MRTT, lance-roquettes unitaire (LRU), rénovation des Mirage 2000D, flotte logistique. Entre 2010 et 2012, le budget de fonctionnement a été réduit de 7,5 % et l’activité de préparation opérationnelle a diminué progressivement, avec la baisse des crédits d’entretien programmé des matériels sur la période. Les opérations extérieures restant prioritaires, on n’est plus très loin d’une armée à deux vitesses – une partie faisant la guerre, l’autre non –, ce qui n’est jamais une bonne solution. Je l’avais souligné lors de ma précédente audition. On en voit les effets, chez certains de nos partenaires européens, sur le moral, le recrutement et la qualité des hommes. »
« À partir de 2012, la trajectoire des ressources diverge encore plus nettement de la trajectoire de référence tracée en 2008. La pression budgétaire s’est accrue après la révision des prévisions de croissance, compte tenu de l’obligation de redresser les comptes publics. En tenant compte des lois de finances rectificatives et du gel de crédits supplémentaires intervenu en juillet, les crédits de 2012 sont désormais en recul de 1,2 milliard par rapport à l’annuité initialement prévue. Conjugué à l’écart cumulé de 1,9 milliard de la fin de 2011 et sans préjuger des conditions de la fin de gestion de 2012, le recul dépassera les 3 milliards à la fin de l’année. »
« Pour 2012, la fin de la gestion est sous tension. Sont déjà formellement identifiés les surcoûts des OPEX et la hausse du carburant opérationnel, pour un total de 250 millions. (…) Les économies décidées imposent de geler le recrutement de 2 000 personnes en 2012 et de diminuer de nouveau, en 2013, des mesures catégorielles. (…) Le moral est déjà fragile, je l’ai souligné en juillet. Ce ne sont pas ces mesures qui vont l’améliorer. »
« Parmi d’autres opérations d’armement, ont été maintenus en 2012 et 2013 la commande de 34 hélicoptères NH-90 dans la version transport destinée à l’armée de terre, le lancement du standard F3-R du Rafale, le lancement du MRTT et la réception de la frégate multi-missions (FREMM) Aquitaine. Les économies réalisées sur les équipements représentent 850 millions. Au total, la diminution des engagements atteint 5,5 milliards en 2012 et 2013, dont près de 4,5 pour les seules opérations d’armement, le reste se répartissant entre les petits équipements des armées et l’infrastructure. Sur deux ans, elle représente plus de la moitié d’une annuité du titre V. Ces décalages, qui préservent les choix futurs, impliquent dans l’immédiat des aggravations ou de nouvelles réductions temporaires de capacité, sans parler de la prolongation d’équipements à bout de souffle : les cloisons intérieures de certains avions sont dans un triste état ; dans la coque de certains navires, l’épaisseur du métal n’est plus que d’un centimètre en comptant les couches de peinture ; le châssis de certains blindés montre des faiblesses… Il faudra aussi limiter, dans une moindre mesure, la protection des forces ou leurs capacités de déploiement. C’est le cas pour les hélicoptères et les avions de transport tactique, les véhicules logistiques terrestres et plus globalement les véhicules blindés VAB et VBL de l’armée de terre, et les bâtiments de soutien et d’assistance hauturiers (BSAH) en métropole ou outre-mer. Dès lors, sur le terrain, les problèmes risquent d’être logistiques plutôt que tactiques. Sur le théâtre afghan, nous laisserons détruire une quarantaine de véhicules de l’avant blindés en mauvais état, dont l’âge moyen est 32 ans. »
« J’en viens au projet de loi de finances (PLF) pour 2013, qui est de transition. Le décrochage des ressources amorcé dès 2011, avec l’impossibilité de consommer les ressources exceptionnelles des cessions de fréquences, s’amplifie. Le modèle sous-tendu par la LPM en cours était bâti, entre autres, sur une prévision d’augmentation en volume des ressources de 1 % par an à partir de 2012. Dans les faits, le budget de la défense diminuera de 4 % en valeur sur la période 2012-2015. Au résultat, la divergence cumulée entre les ressources prévues aujourd’hui et la programmation initiale atteint 10 milliards pour 2013-2015, soit presque une année de masse salariale du ministère hors pensions ou la totalité du programme des six sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) Barracuda. Si l’on prolonge la tendance actuelle, on obtiendra en 2020 un écart de 40 milliards en valeur de 2012, soit 130 % du budget total d’une année. Un tel écart n’est pas de l’ordre de l’ajustement. Il nous impose de revisiter nos ambitions. Pour mémoire, l’effort de défense était, aux normes OTAN – c’est-à-dire hors pensions et hors gendarmerie –, de 2 % du PIB en 1997, avant de se stabiliser ces dix dernières années entre 1,6 % et 1,7 %. En 2012, il est de 1,55 %. À l’horizon de 2015, il dépassera à peine 1,3 %. »
Cet article a éte initialement publié dans le numéro 557 d'EUROPE, DIPLOMATIE &DEFENSE en date du 1er novembre 2012.