Google et les transhumanistes, par Laurent Alexandre (Le Monde)
Le transhumanisme est encore quasi inconnu en France. Le terme "transhumanisme" remonte aux années 1950, mais sa popularisation date des années 1990. C'est à cette période que les chercheurs commencent à cerner les promesses de la convergence NBIC. Les nanotechnologies (N), la biologie (B), l'informatique (I) et les sciences cognitives (intelligence artificielle et sciences du cerveau) (C) progressent et convergent, en ce sens que les découvertes dans un domaine servent aux recherches dans un autre. Cette synergie décuple la puissance de la recherche et permet des avancées spectaculaires.
Dans ce contexte, les transhumanistes soutiennent une vision radicale des droits de l'humain. Pour eux, un citoyen est un être autonome qui n'appartient à personne d'autre qu'à lui-même, et qui décide seul des modifications qu'il souhaite apporter à son cerveau, à son ADN ou à son corps au fil des avancées de la science. Ils considèrent que la maladie et le vieillissement ne sont pas une fatalité. La domestication de la vie pour augmenter nos capacités est l'objectif central des transhumanistes. Selon eux, l'humanité ne devrait avoir aucun scrupule à utiliser toutes les possibilités de transformation offertes par la science. Il s'agit de faire de l'homme un terrain d'expérimentation pour les technologies NBIC : un être en perpétuelle évolution, perfectible et modifiable jour après jour par lui-même.
L'homme du futur serait ainsi comme un site Web, à tout jamais une "version béta", c'est-à-dire un organisme-prototype voué à se perfectionner en continu. Cette vision pourrait sembler naïve. En réalité, un lobby transhumaniste est déjà à l'oeuvre, qui prône l'adoption enthousiaste des NBIC pour changer l'humanité. Ce lobby est particulièrement puissant sur les rives du Pacifique, de la Californie à la Chine et à la Corée du Sud, soit - et ce n'est pas un hasard - à proximité des industries NBIC, qui deviennent le coeur de l'économie mondiale. L'entrisme des transhumanistes est impressionnant : la NASA et Arpanet, ancêtre militaire américain d'Internet, ont été aux avant-gardes du combat transhumaniste.
Aujourd'hui, Google est devenu l'un des principaux architectes de la révolution NBIC et soutient activement le transhumanisme, notamment en parrainant la Singularity University qui forme les spécialistes des NBIC. Le terme Singularity désigne le moment où l'esprit humain sera dépassé par l'intelligence artificielle, censée croître exponentiellement dès les années 2045. Ray Kurzweil, le "pape" du transhumanisme, dirige en personne cette université. Ce spécialiste de l'intelligence artificielle est convaincu que les NBIC vont permettre de faire reculer la mort de façon spectaculaire dès le XXIe siècle. Il a été embauché par Google comme ingénieur en chef pour faire du moteur de recherche la première intelligence artificielle de l'histoire.
Google s'intéresse également au séquençage ADN au travers de sa filiale 23andMe, dirigée par la femme de Sergei Brin, le cofondateur de Google. Sergei Brin a appris qu'il avait de très fortes chances de développer la maladie de Parkinson - car il est porteur de la version mutée du gène LRRK2 - en faisant analyser son ADN par sa filiale. De quoi accentuer son intérêt pour les NBIC ! On aura compris que Google nous emmène vers une civilisation transhumaniste.
Laurent Alexandre est Chirurgien urologue, Président de DNAVision
Source : http://www.lemonde.fr/sciences/article/2013/04/18/google-et-les-transhumanistes_3162104_1650684.html
Pour en savoir plus sur le transhumanisme voir notamment http://fr.wikipedia.org/wiki/Transhumanisme
Pour en savoir plus sur les NBIC, voir notamment sur ce blog :
* Les neuf technologies du futur qui vont changer le monde (Up' Magazine)
* Du besoin de gouvernance des activités bio et nanotechnologiques convergentes
* Options for strenghening Responsible Research and Innovation (EU Report)
* http://www.weforum.org/content/pages/risk-and-responsibility-hyperconnected-world
* Evolution des Neurosciences : conséquences pour la défense, par Patrice Binder (Rapport CGARM 2012)
* Introduction à la cyberstratégie, par Olivier Kempf
* L'embryon, objet de valeurs, par Philippe Brunet (Le Monde)
Prenons garde des pièges que nous tend cette nouvelle religion de l'innovation à tout crin !
"Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde." (Albert Camus)
"La démocratie est d'abord un état d'esprit" (Pierre Mendès France)