Ce blog est destiné à stimuler l'intérêt du lecteur pour des questions de société auxquelles tout citoyen doit être en mesure d'apporter des réponses, individuelles ou collectives, en conscience et en responsabilité !
19 Février 2010
Monsieur le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies,
Mes chers compatriotes,
Chers amis haïtiens,
Il y a un peu plus d’un mois maintenant, le 12 janvier, à 16h53, en moins d’une minute, la nature a infligé à Haïti et à son peuple la pire blessure de son histoire.
Des centaines de milliers de vies ont été englouties, brisées ou mutilées dans cette effroyable tragédie.
Parmi elles, 30 de nos compatriotes ont péri. 3 sont encore portés disparus. Des gendarmes de la Mission des
Nations Unies, des enseignants ; des jeunes gens engagés volontaires, des femmes et des hommes de religion. Tous portés par le même idéal : servir Haïti, ce pays qu’ils ont tant aimé, au prix
même de leur vie.
Je vous demande d’observer une minute de silence, à la mémoire de toutes ces victimes, avec une pensée particulière pour leurs familles et pour leurs proches.
[Minute de silence.]
Mes chers compatriotes,
Chers amis haïtiens,
Aujourd’hui, je veux vous le dire avec solennité, mais du fond du cœur : nous nous sentons citoyens d’Haïti.
Ce drame, par sa violence inouïe, par son amplitude, nous a profondément touchés. Ce drame a endeuillé l’humanité toute entière.
Les images atroces, insoutenables, des corps prisonniers dans le béton, mutilés, défigurés, continueront longtemps à vous hanter.
Ces images nous ont bouleversés. Ces milliers de vies emportées, cette désolation. Avec le ministre, il m’a été donné, ce matin, de les partager dans la peine avec le Président Préval, et à travers lui, avec toute la nation haïtienne.
Port-au-Prince est une ville martyre. Je veux vous dire l’émotion qu’a soulevée dans toute la France cette vision d’un peuple démuni sur lequel le sort s’acharne.
Je veux aussi vous dire l’admiration et le respect de tous ceux qui à travers le monde ont assisté à cette incroyable leçon de courage et de dignité donnée par le peuple haïtien. Meurtrie, au cœur d’une nuit qui semble ne jamais devoir finir, la nation haïtienne est demeurée debout.
J’ai tenu à vous réunir ici, sur les lieux-mêmes où vous avez compté les premières victimes, françaises et haïtiennes, sur les lieux-même où se sont organisés les premiers secours, sur les lieux-même où notre petite communauté a su faire bloc autour de notre ambassadeur auquel je tiens, avec Bernard KOUCHNER et Alain JOYANDET, à rendre un hommage tout particulier.
Ensemble, soudés dans l’épreuve, vous avez montré de la France le meilleur visage : le visage de la générosité, de l’action et de l’efficacité.
Longtemps, nos compatriotes garderont en mémoire le sourire radieux des secouristes français pour chaque vie sauvée. Pour chacune de ces vies que vous avez su extraire des décombres, ces vies sauvées donnent un sens à votre engagement et à votre vie à vous.
Nous n’oublierons pas le travail harassant, opiniâtre, dévoué, des équipes de médecins français, chirurgiens, urgentistes, infirmiers, de l’ensemble des personnels de santé. J’ai vu ce matin le travail que vous êtes capable de faire dans l’hôpital de campagne déployé dès les premiers jours au Lycée français.
Je veux rendre hommage au concours déterminant des armées françaises. Au soutien sans faille des Forces Françaises des Antilles. Aux innombrables rotations aériennes depuis nos départements ultra-marins. A l’engagement des forces terrestres, à la mobilisation des navires « Siroco » et « Francis Garnier » de la Marine nationale, qui ont acheminé près de 2000 tonnes de fret humanitaire. Je veux rendre hommage à nos gendarmes, à nos policiers. A l’engagement remarquable des détachements du service militaire adapté de Guadeloupe et de Martinique qui ont pris une part décisive aux secours.
Je veux également saluer la communauté des ONG, notamment des ONG françaises. Beaucoup d’entre vous étiez présents en Haïti depuis longtemps. D’autres sont venus vous rejoindre au lendemain du séisme. En tout cas vous vous êtes portés les premiers sur le front des secours et de l’aide.
Beaucoup de nos grandes entreprises se sont mobilisées dans la phase d’urgence, je pense à EDF qui a rétabli l’éclairage public au Champ de Mars, Suez et Veolia qui ont réparé des conduites d’eau. Plusieurs centaines de milliers d’Haïtiens ont aujourd’hui accès à de l’eau potable grâce à des ONG et grâce à des entreprises françaises.
La solidarité des Français a permis de collecter 65 millions d’euros.
Enfin, je veux rendre hommage à l’action des Nations Unies, qui ont payé un très lourd tribut à la catastrophe: Monsieur le Représentant spécial, transmettez au Secrétaire général de l’ONU et à toutes les familles des personnels des Nations Unies disparus, transmettez le salut fraternel de la France.
Au-delà de l’urgence, que pouvons-nous faire pour aider ce pays qui nous est si cher ?
Ma présence en Haïti, la première d’un chef d’Etat français depuis l’indépendance, revêt une résonance particulière.
Il ne s’agit pas seulement dans mon esprit de tourner le dos au passé, celui d’une histoire commune riche mais d’une histoire douloureuse. Ne nous voilons pas la face. Notre présence ici n’a pas laissé que de bons souvenirs. Les blessures de la colonisation et, peut-être pire encore, les conditions de la séparation ont laissé des traces qui sont encore vives dans la mémoire des Haïtiens.
Je suis venu dire au peuple haïtien et à ses dirigeants que la France, qui était la première sur le terrain après la catastrophe, restera solidement à leurs côtés pour les aider à se relever et à ouvrir une nouvelle page, heureuse, de leur histoire. La France sera à la hauteur de ses responsabilités, de son histoire partagée et de son amitié avec Haïti.
Mais à ceux qui, tirant argument du dénuement actuel des Haïtiens, caresseraient l’idée d’une tutelle internationale sur Haïti, je veux dire sans ambiguïté que le peuple haïtien est meurtri, que le peuple haïtien est épuisé, mais que le peuple haïtien est debout. L’aide internationale devra être massive, devra s’inscrire dans la durée. Mais c’est aux Haïtiens et à eux seul de définir un véritable « projet national » et ensuite de le conduire, parce que c’est de leur pays et de leur avenir qu’il s’agit. Le rôle de la communauté internationale, et celui de la France, c’est d’aider les Haïtiens à reprendre le contrôle de leur destin.
Il faut également que la reconstruction profite à tous et à tous les territoires : pas seulement à une petite partie de la population qui se partage déjà ses richesses ; pas seulement à la « République de Port-au-Prince » contre le « pays du dehors » : si le bilan humain et matériel du séisme est si lourd, c’est parce que 2 millions de Haïtiens et l’essentiel de l’activité économique étaient concentrés dans cette ville hypertrophiée qui avait été conçue pour à peine 300 000 habitants.
Enfin, l’effort de reconstruction devra créer les conditions en Haïti d’un développement durable, endogène, pour libérer progressivement les Haïtiens d’une dépendance à l’égard de l’aide internationale qui a étouffé l’initiative et l’activité d’un peuple dont chacun célèbre pourtant, à travers le monde, la créativité et le dynamisme.
Le 12 janvier, il n’y a pas que le sol qui a tremblé. Les lignes de la société haïtienne ont bougé. Le réveil est infiniment douloureux. Mais nous vivons un moment charnière, un moment de vérité pour Haïti.
A la place du chaos et des pillages qu’on nous prédisait, on a vu des foules s’organiser, on a vu des foules se recueillir dans le calme et la dignité. Le peuple des mornes a occupé la ville, pacifiquement. Les mots que l’on croyait ici oubliés depuis longtemps ont ressurgi : solidarité, intérêt général, projet national.
Mes chers compatriotes, un peuple comme celui-là ne peut pas mourir. Soyez fiers de l’avoir secouru. Soyez fiers d’être encore à ses côtés au moment où il reprend le contrôle de son destin. La France, et je l’annoncerai dans quelques instants, fera un effort exceptionnel pour aider nos amis haïtiens.
Vive la France ! Vive la République et vive Haïti !