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Publié par Patrice Cardot

« Aucun problème ne peut être résolu sans changer l’état d’esprit qui l’a engendré »

Ratifié par les 27 Etats membres de l'Union européenne, le Traité de Lisbonne est entré en vigueur le 1er décembre 2009.

L'Etat français l'a ratifié en 2008 après un vote largement majoritaire du Congrès.

Alors que certains Etats ont préalablement consulté leur Cour constitutionnelle pour apprécier la compatibilité du Traité de Lisbonne avec leur propre Constitution ou Loi fondamentale, il n'en a pas été véritablement de même en France. Les questions soumises au Conseil constitutionnel à son égard n'ont pas véritablement porté sur le fond du Traité.

Est-on vraiment certain que ce nouveau traité était totalement compatible avec la Constitution française dans sa version d'alors lorsqu'il a été ratifié par le Congrès réuni à Versailles en février 2008 ?

Le document ci-joint (qui a été établi en novembre 2007) présente les principaux arguments de cette thèse : Trait--de-Lisbonne-et-R-vision-de-la-Constitution-fran-aise.pdf Traité-de-Lisbonne-et-Révision-de-la-Constitution-française.pdf !

Dans l'hypothèse où cette argumentation serait effectivement convaincante, (elle le fut pour l'ancien Premier ministre Michel Rocard lorsqu'il en fut saisi et après qu'il eut interrogé de manière informelle le Conseil constitutionnel, puis lorsqu'il s'exprima en faveur de la création d'un Conseil de sécurité nationale : http://www.iris-france.org/docs/pdf/conseil-securite-national.pdf ), il serait des plus opportun que les autorités nationales compétentes en pareille matière saisissent la fenêtre d'opportunité qu'offre l'inscription prochaine à l'agenda du Parlement du projet de réforme de la Constitution de la Vème République, pour engager les travaux requis afin de remédier aux lacunes identifiées !

L'organisation de l'Etat dans ce domaine régalien de la plus haute importance doit être non seulement améliorée mais connue et compréhensible des citoyens français autant que de tout observateur international ! 

Il y a va de la sécurité juridique du corpus juridique fondamental - la Constitution de la République - qui établit le contrat à la fois politique et social entre les citoyens, la nation et l'Etat sur le registre de la sécurité si souvent présentée comme la première des libertés.

Si rien ne fut entrepris en ce sens lors des précédentes réformes entreprises depuis 2008. (cf. la loi constitutionnelle n° 2008‑724 du 23 juillet 2008 - cf. http://www.assemblee-nationale.fr/connaissance/constitution.asp) malgré les alertes sur l'urgence d'un grand débat démocratique sur ces enjeux, la stratégie de sécurité nationale a néanmoins fait l'objet de l'inscription de dispositions particulières s'y rapportant dans le code de Défense en vigueur (Code de la défense ) !

Dans un article publié dans le numéro 845 (2021/10) de la revue Défense nationale, Alexis Deprau, docteur en droit, spécialisé en droit du renseignement, souligne la persistance de cette lacune :

" si la France dispose d’une approche de la stratégie de sécurité nationale, aucune définition officielle n’a encore été apportée sur la sécurité nationale, ni aucune prise en compte n’a été officialisée dans le texte constitutionnel, quand bien même cette notion recouvre tous les domaines propres à la sécurité et à la défense." (cf. De la nécessité d’une définition de la sécurité nationale

Dans un autre article publié dans le même numéro de la revue Défense nationale, Bertrand Warusfel, docteur en droit, avocat et professeur agrégé des universités, appelle à ce que l'Etat poursuive le processus de consolidation démocratique de la sécurité nationale française : 

" Concernant le périmètre d’intervention de la sécurité nationale, nous disposons désormais de l’appréciation de la Cour de justice de l’Union européenne en octobre 2020, dont les termes ont été repris mot pour mot par le Conseil d’État en 2021 : « Cette responsabilité correspond à l’intérêt primordial de protéger les fonctions essentielles de l’État et les intérêts fondamentaux de la société, et inclut la prévention et la répression d’activités de nature à déstabiliser gravement les structures constitutionnelles, politiques, économiques ou sociales fondamentales d’un pays, et en particulier à menacer directement la société, la population ou l’État en tant que tel, telles que notamment des activités de terrorisme. »

L’affirmation politique de ce concept induit alors sa reconnaissance juridique comme motif d’intérêt public justifiant la mise en œuvre d’un droit dérogatoire dotant les autorités publiques de moyens spéciaux pour faire face aux dangers et aux crises qui peuvent affecter la collectivité nationale.

Ces moyens juridiques particuliers peuvent être de deux natures : les uns permanents, les autres exceptionnels.

Les mesures permanentes relèvent de la logique de la prévention (c’est-à-dire de prérogatives visant à limiter l’exposition de la nation aux menaces et à renforcer la résilience). Parmi les mesures spéciales permanentes de sécurité nationale, on peut citer la protection du secret de la défense nationale, le régime des activités de renseignement ou les règles encadrant la fabrication et le commerce des matériels de guerre.

De leurs côtés les « régimes d’application exceptionnelle » (comme le dénomme le Code de la défense) regroupent les moyens de gestion des crises nationales, qu’il s’agisse de l’état d’urgence (que le Conseil d’État a bien décrit dans son rapport annuel 2021 comme « la démocratie sous contrainte ») ou des pouvoirs contraignants de cyberdéfense que le Code de la défense reconnaît au Premier ministre pour riposter à « une attaque informatique qui vise les systèmes d’information affectant le potentiel de guerre ou économique, la sécurité ou la capacité de survie de la nation » .

À travers ces différents domaines d’intervention, la sécurité nationale exerce bien sa fonction juridique qui est de pouvoir, en fonction des événements, « justifier la mise en œuvre par le pouvoir exécutif de prérogatives spéciales entraînant des limitations à l’exercice des libertés publiques » .

C’est bien d’ailleurs ce qu’a validé la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt précédemment cité où elle a considéré – en particulier – que, bien que contraire au droit commun de la protection des données personnelles, la conservation généralisée des données de connexion des abonnés aux réseaux de communication électronique pouvait être justifiée pour une période limitée et renouvelable dès lors qu’un État justifie d’une menace grave à sa sécurité nationale (situation dans laquelle la France considère se trouver toujours en raison des risques persistants d’actions terroristes).

Du bon usage démocratique de la sécurité nationale

Mais par-delà cette consécration juridique, la notion de sécurité nationale fait encore débat car elle est considérée par une partie de la doctrine comme constituant un instrument de « sécuritisation » de la politique. Elle aurait ainsi pour effet de faire prévaloir systématiquement la dimension sécuritaire sur tous autres aspects des questions sociales ou collectives.

Par ailleurs, certaines pratiques gouvernementales contestables ont pu alimenter la suspicion de la société civile, qu’il s’agisse de la prolongation exagérée de l’état d’urgence antiterroriste de 2015, de la curieuse déclaration de guerre au nouveau virus de la Covid début 2020 ou encore de l’hebdomarisation – et donc la banalisation – des conseils de défense (notamment depuis le début de la crise sanitaire). Enfin, la tentative gouvernementale de contrecarrer l’accès aux archives classifiées au-delà du délai légal de cinquante ans a entretenu la crainte d’une dérive sécuritaire incontrôlée (obligeant la saisine et la censure du Conseil d’État , suivie d’une réforme législative en urgence en juillet 2021) .

Ce serait pourtant faire un faux procès à un concept que de le charger intrinsèquement d’une image et d’un objectif contraire aux principes de notre démocratie. Bien au contraire, assurer la protection par l’État de la sécurité des citoyens, de leurs territoires et de toute la société qu’ils forment ensemble s’inscrit dans la droite ligne de l’article 12 de notre Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui prescrit que « la garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique ; cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux à qui elle est confiée ».

On trouve bien là les deux volets de la protection légitime de la sécurité nationale. Tout d’abord, il s’agit d’une « nécessité » pour la démocratie, car sans sécurité de la nation instituée, pas de garantie des droits des citoyens. Mais ensuite, il importe toujours de s’assurer que cette force attribuée à l’État pour notre sécurité collective n’est pas dévoyée et détournée de son strict objectif.

C’est là qu’interviennent les garanties démocratiques qui doivent nécessairement accompagner le bon usage des moyens de sécurité nationale, comme l’affirme depuis longtemps la longue jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière. La première est que toutes les prérogatives de sécurité nationale soient explicitement prévues et précisées par la loi (et donc également soumises au contrôle de constitutionnalité). Ainsi, la France a pris pendant longtemps un risque juridique réel en ne soumettant aucunement ses activités de renseignement à un régime législatif, avant d’adopter la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement qui – bien qu’encore trop centrée sur le seul contrôle de la mise en œuvre de certains moyens de renseignement technique – établit enfin un dispositif légal et juridictionnel, dont la CEDH devrait nous dire en 2022 s’il est plus ou moins totalement conforme à ses standards.

La seconde garantie essentielle réside dans l’existence de mécanismes de contrôle indépendant permettant de détecter d’éventuels abus et d’en protéger le citoyen. Cette exigence a été également reprise explicitement par la Cour de justice dans son arrêt d’octobre 2020, laquelle a exigé que les injonctions qui pourraient être émises par l’État pour un motif de sécurité nationale devraient pouvoir « faire l’objet d’un contrôle effectif, soit par une juridiction, soit par une entité administrative indépendante, dont la décision est dotée d’un effet contraignant ».

Cette exigence d’un contrôle indépendant en matière d’appréciation de la proportionnalité des mesures de sécurité nationale est sans doute l’un des points sur lesquels la France va encore devoir évoluer prochainement. En effet, la pratique française ancienne avait toujours été d’empêcher l’accès d’un quelconque juge à des documents ou informations classifiés, ce qui réduisait d’autant la capacité des juridictions d’apprécier les motifs que l’administration peut soulever pour justifier telle mesure de sécurité nationale. La création en 1998 de la Commission du secret de la défense nationale (CSDN) n’avait que très imparfaitement aidé à résorber la difficulté.

Pourtant cette opposition systématique du secret de défense aux juridictions est largement en désaccord avec les pratiques de nombreux autres États et avec la jurisprudence de la CEDH qui préconise au contraire que, lorsque cela est nécessaire, un juge indépendant puisse consulter des pièces classifiées .

Mais la voie a déjà été entrouverte en France par la loi relative au renseignement de 2015, qui a instauré un contrôle juridictionnel, complétant le contrôle indépendant, mais consultatif de la CNCTR. Il a fallu pour ce faire ouvrir, pour la première fois, une brèche dans la tradition ancestrale et permettre à une formation spécialisée du Conseil d’État d’accéder aux dossiers classifiés concernant la mise en œuvre des techniques de renseignement pour en apprécier la légalité. Cela s’est accompagnée de certaines restrictions dans le caractère contradictoire de la procédure mais, sous réserve de quelques aménagements, on peut parfaitement imaginer que ce dispositif soit élargi à d’autres contentieux touchant la sécurité nationale (notamment pour pouvoir judiciariser loyalement des informations recueillies clandestinement par les services de renseignement en matière d’antiterrorisme ou d’ingérences étrangères).

Le chantier de la consolidation démocratique de la sécurité nationale française est donc encore ouvert. En parallèle, l’adaptation ou le renforcement de certains organes de coordination devrait se poursuivre autour du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) tant, comme le rappelait Camille Grand dans son article précité, « la variété des outils pouvant concourir à la sécurité nationale impose à l’État un travail de coordination permanent afin de mobiliser des acteurs n’appartenant pas à la communauté de défense »". (cf. De la défense à la sécurité nationale)

  

Voir également :

La sécurité juridique : un principe démocratique au service des citoyens ! Plaidoyer en faveur de sa bonne application au niveau européen !       

 * La France a désormais son 'Conseil de défense et de sécurité nationale'

 * De la Sécurité nationale dans le Traité de Lisbonne - première partie - (nouvelle édition)

 * De la Sécurité nationale dans le Traité de Lisbonne - deuxième partie - (nouvelle édition)

 * De la Sécurité nationale dans le Traité de Lisbonne - troisième partie - (nouvelle édition) 

 * De la Sécurité nationale dans le Traité de Lisbonne - quatrième partie - (nouvelle édition)

 * De la souveraineté nationale en vertu des dispositions de la Constitution de la République française     

 

 

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