Intervention de M. Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, au Parlement européen (Bruxelles, 27 octobre 2011)
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L'ensemble des institutions et des gouvernements de l'Union ont engagé un capital politique considérable pour s'attaquer à la crise de la dette. D'une série de crises nationales de la dette, la situation était en train d'évoluer vers un problème systémique qui menaçait la stabilité de toute la zone euro. Il importait de contenir cette menace. C'est ce que nous avons fait.
La nuit dernière, un pas politique essentiel a été franchi, qui requiert certes encore, comme après toute réunion de ce type, une suite technique et juridique.
On se plaint parfois de ce que les marchés ne donnent pas aux démocraties le temps nécessaire pour que les décisions puissent être prises. Ce n'est pas tout à fait faux. Mais je suis profondément convaincu que les marchés nous donneront le temps qu'il faut lorsqu'ils verront que nos objectifs sont clairs et que notre détermination ne fait pas de doute.
C'est pourquoi nous avons pris, hier et dimanche dernier, d'importantes décisions sur les cinq fronts où une action est nécessaire.
1. Une solution durable pour la Grèce: nous souhaitons placer la Grèce sur une trajectoire qui lui permette, d'ici 2020, de ramener le ratio de sa dette publique à 120 % de son PIB.
Depuis juillet, les conditions du marché se sont dégradées. Le nouveau programme prévoit un effort supplémentaire de la part du secteur public. Un nouveau programme de l'UE et du FMI, qui pourrait atteindre 100 milliards d'euros, sera mis en place d'ici la fin de l'année.
Est également prévue une contribution volontaire des créanciers privés qui avaient octroyé des prêts à la Grèce. Ceux-ci ont marqué la nuit dernière leur accord sur cette contribution,
qui représente une décote nominale de 50 % sur la valeur notionnelle de la dette grecque.
2. Un pare-feu suffisant pour éviter la contagion, grâce à un accord permettant de multiplier par cinq la capacité du fonds de secours que constitue le Fonds européen de stabilité financière (FESF). L'effet de levier pourrait porter la capacité d'intervention du Fonds à environ 1 000 milliards d'euros, dans certaines hypothèses relatives aux conditions de marché, à la configuration de cette structure et à la réactivité des investisseurs aux politiques économiques.
Nous avons arrêté deux stratégies pour le FESF. La première vise à fournir un rehaussement de crédit pour les obligations souveraines émises par les États membres.
Dans le cadre de la deuxième stratégie, le Fonds pourrait mettre en place une ou plusieurs entités ad hoc pour financer ses opérations. Chacune de ces deux options pourrait avoir un effet de levier de 4 ou 5. Il sera possible d'y recourir simultanément, afin de donner plus de vigueur à la stratégie de financement.
3. Nous encourageons le rétablissement de la confiance dans le secteur bancaire européen.
Nous avons approuvé une action coordonnée visant à recapitaliser les banques dans toute l'Europe. Le ratio de fonds propres constitués d'actifs les plus solides sera porté à 9 %, ce qui permettra aux banques de faire face aux chocs, ce qui est très important dans les circonstances exceptionnelles actuelles. Les garanties apportées par les États pour améliorer le financement à long terme permettront de préserver le flux de crédit en faveur de l'économie réelle, ce qui est essentiel pour les perspectives de croissance.
4. La consolidation budgétaire doit se poursuivre dans les États membres qui requièrent des finances publiques plus viables et davantage de réformes structurelles.
À cet égard, le sommet de la zone euro se félicite que l'Italie se soit clairement engagée à réaliser ces objectifs et à respecter le calendrier qu'elle s'est fixé. Ces mesures ambitieuses, notamment celles visant à renforcer la compétitivité et à libéraliser l'économie, doivent à présent être mises en oeuvre. Nous félicitons également l'Italie de s'être engagée à parvenir à un budget en équilibre d'ici à 2013. Nous prenons note du plan visant à porter l'âge de la retraite à 67 ans d'ici à 2026; les modalités pour y parvenir devraient être mises au point avant la fin de cette année.
5. Et enfin, un train de mesures prises au niveau de l'Union afin de stimuler la croissance, sur lesquelles je reviendrai plus tard.
J'ai beaucoup travaillé, avec tous les membres du Conseil européen et en particulier le président de la Commission européenne, pour parvenir à ce résultat.
Réunis, ces cinq éléments constituent un ensemble de mesures complet. Ils sont étroitement liés; ainsi, les problèmes bancaires et les tensions découlant de la dette souveraine s'alimentaient mutuellement; de même, renouer avec la croissance est le meilleur moyen de réduire la dette publique. Tout est dans tout, et vice versa.
Mesdames, Messieurs les Parlementaires, permettez-moi un petit retour en arrière.
Je souhaiterais souligner le fait que les décisions prises lors des quatre réunions au sommet qui ont eu lieu depuis dimanche s'inscrivent dans un processus qui dure depuis plus d'un an. Pendant tout ce temps, notre mission a été double: réagir à la crise du moment et éviter qu'une nouvelle crise n'éclate.
Prendre des mesures d'urgence (comme la mise sur pieds d'un fonds de secours), tout en élaborant, pas à pas, une nouvelle gouvernance économique pour aider à l'avenir, à prévenir les problèmes. Vous avez, vous aussi, participé à ce processus, notamment en votant la législation sur la surveillance du secteur financier, et plus récemment, le paquet "gouvernance économique". Grâce à vos débats et au travail accompli au sein de vos commissions, de nombreuses idées ont vu le jour, qui ont façonné ce processus et, dans certains cas, ont amélioré le résultat de manière décisive.
D'où vient l'accélération que nous avons connue ces derniers mois? Avant l'été, l'union monétaire aussi se trouvait dans une situation difficile. C'est pourquoi j'ai convoqué un sommet de la zone euro le 21 juillet, au cours duquel un ensemble de mesures important a été arrêté pour réduire l'endettement de la Grèce et mettre fin au risque de contagion grâce à une utilisation plus flexible du FESF. La réaction politique immédiate a été positive.
Toutefois, pendant l'été, des doutes se sont installés au sujet de la mise en oeuvre de ces mesures. Bien qu'ils se soient avérés non fondés (les dix-sept parlements ont dûment approuvé le train de mesures dans les trois mois), le mal était fait. Le marché est devenu plus volatile, et ce au moment même où le jeu dangereux qui se déroulait au Congrès américain au sujet des risques de défaut des États-Unis attisait encore les tensions. La spéculation des marchés peut parfois se transformer en prédiction autoréalisatrice.
En outre, le climat économique dans lequel nous avons dû travailler depuis juillet a changé.
La croissance économique mondiale connaît un ralentissement considérable, pas seulement en Europe, mais aussi aux États-Unis et dans certains pays émergents.
Il a fallu prendre des mesures supplémentaires, tant pour la Grèce et pour arrêter la contagion que pour faire face aux faiblesses du système bancaire.
Je souhaiterais également souligner que la stimulation de la croissance constitue un volet essentiel de l'ensemble des mesures. Le Conseil européen de dimanche en a longuement discuté, et a adopté des mesures visant à stimuler la croissance et à créer des emplois.
Au-delà de la crise du moment, nous avons toujours gardé à l'esprit une perspective plus globale. En fin de compte, seule une croissance économique soutenue peut induire le retour de la confiance, la création d'emplois et la résorption des dettes.
Mesdames, Messieurs les Parlementaires, Monsieur le Président, permettez-moi de faire quelques remarques de nature générale et institutionnelle en ce qui concerne toutes les mesures économiques.
Premièrement: l'Union européenne a entrepris une réforme de la gouvernance économique aux multiples facettes. Ceux qui se focalisent sur l'un ou l'autre aspect et s'empressent d'en dénoncer l'insuffisance devraient prendre du recul et tenter de percevoir les rapports qui existent entre les différents éléments.
C'est la combinaison de la pression institutionnelle, de celle exercée par les pairs et de celle des marchés qui nous aidera à éviter de retomber dans les difficultés que nous connaissons.
Ces trois formes de pression ont été renforcées.
Tout d'abord la pression institutionnelle, grâce à la surveillance du secteur financier et à l'ensemble des mesures législatives renforçant la surveillance budgétaire et macroéconomique. Je suis très satisfait de ce résultat et des améliorations que vous y avez apportées. Nous avons fait un pas supplémentaire, la nuit dernière, en décidant que, pour les États membres de la zone euro faisant l'objet d'une procédure pour déficit excessif, la Commission et le Conseil auront la possibilité d'examiner les projets de budgets nationaux et de rendre un avis sur ces projets avant leur adoption par le parlement national concerné.
La pression exercée par les pairs est elle aussi devenue plus efficace, non seulement grâce aux nouveaux instruments, comme le semestre européen, mais aussi en raison des évènements. Aujourd'hui, aucun gouvernement ne peut se permettre de sous-estimer l'impact que la dette publique d'un autre pays de la zone euro ou l'existence d'une bulle dans un de ces pays pourraient avoir sur sa propre économie: il serait sanctionné par les électeurs. Si l'on compare la situation d'aujourd'hui à celle d'il y a dix ans, la pression que les dirigeants peuvent exercer les uns sur les autres est devenue nettement plus forte, comme on a pu le constater tout récemment.
Troisièmement, la pression exercée par les marchés a également augmenté. Ceux-ci ne traiteront plus jamais les dettes souveraines dans la zone euro comme si elles se valaient toutes. Les marchés étaient assoupis durant la première décennie de l'euro, et, même si leur réaction actuelle est excessive, ils ne se rendormiront pas.
Permettez-moi d'insister sur le fait que ces trois types de pression visant à induire un comportement responsable se renforcent mutuellement. En fait, une puissante interaction est déjà à l'oeuvre. Connaissant certaines de vos craintes, je serai encore plus explicite : la pression politique au sein du Conseil européen ou du Conseil n'annule pas la pression exercée au niveau institutionnel ou par les marchés. Au contraire, elle renforce l'effet de ces dernières. Le président de la Commission et moi-même en avons fait l'expérience.
Nous avons tous le même objectif: des budgets sains, des dettes moins importantes, une croissance durable. C'est le résultat qu'attendent les citoyens.
Deuxième remarque d'ordre institutionnel, à propos des sommets de la zone euro. D'aucuns ont exprimé la crainte que ces sommets n'entraînent des divisions entre les États membres.
Mon raisonnement est simple. Il est parfaitement normal que ceux qui partagent une même monnaie aient à prendre en commun certaines décisions concernant cette monnaie. En fait, la crise actuelle trouve notamment son origine dans le fait que chacun, ou presque, a sous-estimé la mesure dans laquelle les économies de la zone euro sont liées, et c'est à cela que nous remédions aujourd'hui. De plus, la politique monétaire est au coeur de la politique économique et les dix-sept États membres de la zone euro partagent une politique monétaire commune. Pourtant, il nous faut une palette de mesures politiques. La politique monétaire à elle seule ne suffit pas pour répondre à la situation. Nous ne pouvons pas avoir une monnaie commune, une politique monétaire commune, et laisser tout le reste à la discrétion des États. C'est pour cela que les dix-sept États membres de la zone euro devront aller plus loin.
Et pour être tout à fait clair: la zone euro n'est pas une dérogation par rapport à l'Union européenne, elle en fait partie intégrante. Le traité est sans ambigüité: ce sont les États membres qui n'ont pas adopté l'euro qui sont désignés par les termes "États membres faisant l'objet d'une dérogation". Et, bien sûr, la plupart d'entre eux rejoindront le moment venu la zone euro.
Toutefois, il est fondamental de préserver l'intégrité du marché unique entre les vingt-sept États membres. La cohésion de l'Union s'en trouve assurée et c'est la base même de notre prospérité. Nous devons donc faire en sorte les deux configurations restent aussi étroitement liées que possible, dans un esprit de confiance.
Pour ma part, je ferai tout ce que je peux pour éviter que des divisions ne surviennent entre les dix-sept et les vingt-sept. J'ai l'intention d'organiser des sommets de la zone euro, si possible immédiatement après un Conseil européen, mais, à n'en pas douter, la Commission et le Parlement continueront à jouer leur rôle.
Troisième et dernière remarque d'ordre institutionnel : les chefs d'État ou de gouvernement des États membres de la zone euro ont décidé de réfléchir "aux moyens de renforcer davantage la convergence économique au sein de la zone euro, d'améliorer la discipline budgétaire et d'approfondir l'union économique, y compris en envisageant la possibilité d'apporter des modifications limitées au traité". Le Conseil européen plénier reviendra sur cette question en décembre, en se fondant sur le rapport intermédiaire que j'établirai en coopération étroite avec le président de la Commission, M. Barroso, et le président de l'Eurogroupe, M. Juncker. Bien sûr, le Parlement aura son mot à dire sur toute proposition visant à réviser les traités, ainsi d'ailleurs que d'autres mesures éventuelles.
Je souhaite que nous discutions d'abord de ce que nous devons faire avant de discuter de la manière de le faire. Nous devrions, pour commencer, examiner les objectifs, et ensuite seulement, élaborer les instruments juridiques nécessaires pour les atteindre. Modifier les traités n'est pas chose aisée. Il est possible de les améliorer, et il peut être utile de donner à la population et aux marchés une indication sur ce que nous nous proposons de faire à moyen terme. Mais modifier le traité n'est pas la bonne manière de réagir à une crise financière qui nous assaille. Il ne faut donc pas se tromper dans les échelles de temps.
Cela m'amène à ma conclusion, à propos de l'usage que nous faisons du temps. On reproche souvent à l'Union européenne de réagir "trop peu et trop tard".
Les marchés peuvent se permettre de fonctionner à la vitesse d'un clic de souris. Les processus politiques, même les plus rapides, ne peuvent pas produire de résultats aussi rapidement. D'un point de vue politique, parvenir à ce que, en deux mois et demi, dix-sept parlements nationaux approuvent l'ensemble des mesures décidées en juillet est impressionnant, même si, à l'aune des marchés, c'est lent.
Les parlementaires que vous êtes, vous qui avez pu disposer de plusieurs mois pour mener à bien les négociations concernant le paquet "gouvernance économique", apprécierez sans nul doute à quel point il importe de permettre aux parlements d'examiner et de négocier soigneusement les textes.
Par ailleurs, il vient un moment où l'exigence d'aller toujours plus vite n'est tout simplement plus crédible. En politique, il faut du temps pour impliquer tout le monde, pour réunir les intérêts divers en un ensemble solide. Le temps est le ciment du responsable politique.
Cela étant, il est fondamental que nous mettions en place des règles et des procédures grâce auxquelles nous pourrons, à l'avenir, anticiper et éviter les problèmes. Et il est également essentiel que nous élaborions des procédures d'urgence permettant une réaction plus rapide et plus souple.
Améliorer la capacité de l'Europe à agir est le meilleur gage de confiance mutuelle que nous puissions donner à la population, aux marchés, et à nous-mêmes.