Ce blog est destiné à stimuler l'intérêt du lecteur pour des questions de société auxquelles tout citoyen doit être en mesure d'apporter des réponses, individuelles ou collectives, en conscience et en responsabilité !
6 Janvier 2014
De 2003 à 2013, cet universitaire grec a servi d'interface entre l’Union européenne et ses citoyens. Un temps pressenti au poste de Premier ministre de son pays, il évoque pour Slate son bilan de médiateur, sa vision de l’Europe et la situation en Grèce.
Il est parti comme il est arrivé, dans une relative discrétion. Après dix ans au poste de médiateur européen, auquel il avait été élu par le Parlement européen en 2003, Nikiforos Diamandouros a raccroché en juillet 2013, laissant son siège à l'Irlandaise Emily O’Reilly.
Dix ans à Bruxelles, loin de son pays, la Grèce, où il enseigna les sciences politiques avant d’endosser, déjà, les habits du premier «médiateur de la République grecque». Une décennie passée à observer de loin la colère montante de ses concitoyens tout en tentant de réduire le fossé grandissant entre les citoyens européens et leurs institutions.
Avouons-le d’emblée, le médiateur européen ne jouit pas d’une notoriété flamboyante. Mais le nombre de citoyens qui s’adressent à lui —environ 20.000 chaque année depuis 2009— augmente depuis que la crise a fait sentir ses effets.
Le médiateur a peu de pouvoirs mais son influence n’est pas négligeable. Il reçoit des plaintes de citoyens, d’associations ou d’entreprises pour «mauvaise administration» des institutions européennes, puis formule des recommandations. En 2012, 82% d’entre elles ont été suivies.
C’est sur le front de la transparence que le médiateur européen se bat régulièrement: un tiers des plaintes qu’il reçoit concernent ce thème. Nikiforos Diamoandouros souligne les «énormes progrès réalisés dans ce domaine»:
«La transparence est devenue une notion juridique en 2001. On a assisté à un renversement complet, un passage d’une culture administrative du secret à une culture de la transparence. A quatre exceptions près [lorsque la divulgation des documents peut porter atteinte à la sécurité publique, à la défense et aux affaires militaires, aux relations internationales ou à la politique monétaire, financière ou économique, NDLR], tous les documents des institutions européennes sont par définition publics. La plupart des administrations ont compris que l’on avait changé d’époque.»
En témoigne, par exemple, le succès que le médiateur engrangea en 2010 auprès de l’agence européenne des médicaments. «L’agence a accepté de changer ses règles et de rendre publics les rapports relatifs aux contre-indications des médicaments», se remémore-t-il aujourd'hui.
Nikiforos Diamandouros invoque au passage le changement radical de la culture de service au sein des institutions, pointant l’empreinte –longtemps pesante– de la fonction publique à la française: «La fonction publique européenne a été influencée par le modèle français des années 50, celui où l’on parle d’administrés, pas de citoyens. C’est un modèle où l’administration sait mieux que l’usager ce qui est bon pour lui. Ce modèle a abouti à une sorte de langue de bois.» Et la langue de bois, le bla-bla européen, reste, selon lui, un chantier d’importance:
«L’Union européenne doit simplifier la langue qu’elle utilise. Elle doit écrire d’une manière différente, elle doit chercher à se faire comprendre.»
Autre domaine sur laquelle une plus grande transparence est nécessaire, celui des lobbies. «C’est un des thèmes pour lesquels beaucoup de progrès sont attendus», affirme Nikiforos Diamandouros. Car le rôle réel des lobbies reste bien trouble aux yeux du grand public.
Encore récemment, leur influence a pu être ressentie lorsqu’une télévision flamande a révélé que, dans le cadre des discussions sur la directive relative à la protection des données, de nombreux amendements non favorables à la protection de la vie privée, déposés par l’assistant de l'eurodéputé belge Louis Michel, avaient été copiés de recommandations de lobbies représentant de grandes entreprises.
Nikiforos Diamandouros ne diabolise pas pour autant ces groupes d’intérêt: «Le lobbying fait partie de la vie démocratique, estime-t-il. Le plus important concerne la manière d’agir des lobbies, les règles qu’ils doivent respecter et la manière dont ils les respectent.»
Afin de cadrer ces pratiques, la Commission et le Parlement européen ont créé en 2011 un «registre de la transparence» où près de 6.000 structures sont actuellement inscrites. Un registre qui implique, pour les organisations qui y sont présentes, d’indiquer les finalités qu’elles poursuivent, le personnel engagé à cette fin et les sommes consacrées aux activités de lobbying.
Ces groupes de pression s’engagent à respecter un code de conduite assez basique (où l’on s’engage par exemple à ne pas «divulguer d’informations fausses»), dont la violation peut éventuellement entraîner une radiation du registre. L’inscription sur ce registre n’entraîne pas vraiment d’avantages, à part peut-être de donner à ses membres une image de groupes jouant le jeu de la transparence.
L’initiative n’est pas sans faille. Pour Nikiforos Diamandouros, «sa principale faiblesse est qu’il n’est pas obligatoire de s’y inscrire. Certaines entreprises, ou même des ONG, affirment qu’elles ne sont pas des lobbies. Si la base volontaire ne fonctionne pas, peut-être faudrait-il rendre l’inscription obligatoire.» Mais les sujets de discorde concernent aussi les informations consignées dans le registre, à commencer par les sommes que les lobbies engagent dans leurs «activités» de pression.
Mais l’enjeu des lobbies est bien plus vaste que cette seule question du registre. Les liens entre groupes de pression et fonctionnaires européens, par exemple, étaient dans la ligne de mire de l’ancien médiateur.
Ce dernier a lancé l’an passé, suite à une plainte d’ONG et de différents observatoires (Corporate Europe Observatory, Greenpeace, LobbyControl et Spinwatch), une enquête sur la pratique dite des «portes tournantes», ces potentiels conflits d’intérêt touchant des personnes dont le parcours professionnel alterne, dans un même secteur, entre fonction publique européenne et entreprises privées.
«Un gros problème, vexatoire pour l’Union européenne, surtout pour la Commission», s’emporte Nikiforos Diamandouros. S’agit-il de pratiques très répandues? La nouvelle médiatrice devrait dévoiler les résultats de l’enquête ces prochains mois.
Pendant ses dix ans au poste de médiateur européen, Nikiforos Diamandouros a aussi été au premier rang pour constater la «déception, la désillusion des citoyens envers les institutions», envers qui la crise économique a joué un rôle de «révélateur des faiblesses structurelles».
Avec le chômage, la dette et les faillites ou quasi-faillites d'Etats et de banques, le «défaut de naissance de l’Union européenne» a fait un retour remarqué:
«L‘édifice d’origine, constitué d’une très forte intégration économique et d’une très faible intégration politique, est bâti sur un déséquilibre, d’autant plus fort en période de crise. Si nous ne parvenons pas à renforcer l’intégration politique, ce déséquilibre va s’accentuer.»
Et pour l’ancien médiateur, les citoyens, d'une certaine manière, sont demandeurs de plus d'Europe:
«Les gens regrettent que l’Europe n’ait pas fait davantage face à la crise.»
S'il souligne les efforts menés pour une union bancaire ou une gouvernance économique, il regrette qu'on fasse souvent croire que l'Europe est fédérale, «alors que ce n’est pas du tout le cas. Dans un Etat fédéral, on peut mener une politique économique et fiscale, on peut partager des revenus. Aujourd’hui, l’Union européenne, c’est 28 Etats, et certains qui ne veulent pas payer pour ceux qui n’ont pas la capacité d’exporter.»
Car c’est bien ce «modèle économique fondé sur les exportations» que dénonce l’ancien médiateur de l’Union européenne:
«On dit aux Etats du sud, dont la Grèce, qu’il faut améliorer la compétitivité et faire des exportations. C’est une idée raisonnable… sauf que tous les pays ne peuvent pas suivre une politique basée sur les exportations. Certains doivent importer. Le modèle allemand ne peut pas être reproduit dans toute l’Union européenne.»
La Grèce, Nikiforos Diamandouros y est aujourd’hui de retour —même s’il n’avait jamais vraiment quitté le pays, où l'attendait sa famille. Selon lui, la crise économique et financière n’aurait fait qu'y révéler d’autres crises, plus profondes:
«Il y a eu pendant des dizaines d’années, en Grèce, des politiques suivies par tous les gouvernements qui ont abouti à cette situation tragique. Avec la crise économique, c’est la crise de la structure de l’Etat qui est apparue au grand jour. Un modèle étatique non rationnel, non méritocratique, basé sur le clientélisme.»
Dans ce contexte, «la Grèce a fait faillite et a reçu une aide vraiment considérable de l’Europe, qui n’est pas allée sans contreparties. Mais il n’y avait pas d’autres options. Bien sûr, il subsiste d’autres questions: on peut ne pas trouver bonne l’application de quelques aspects de la politique de la troïka, on peut vouloir la changer.»
C’est notamment aux «couches vulnérables de la population» que pense Nikiforos Diamandouros, «car beaucoup de gens souffrent en Grèce». Même si un frémissement semble aujourd’hui se produire. «La situation donne l’impression d’arriver à la fin de cette grande torture, affirme l’ancien médiateur. Nous verrons à la fin de 2014 si l’économie est équilibrée ou même si nous bénéficions d’un tout petit peu de croissance pour faire des investissements et permettre un changement politique.»
Et, qui sait, peut-être que Nikiforos Diamandouros ne sera pas étranger à ce changement politique, lui qui fut pressenti au poste de Premier ministre en 2011 et qui, aujourd'hui, se définit comme un «citoyen actif et ouvert aux possibilités qui se présenteront».
Source : http://www.slate.fr/story/81723/nikiforos-diamandouros-mediateur