La relance du Processus de Paix : une négociation atypique, par Michel Roche
Les grandes négociations internationales ont toutes un point commun : celui de commencer lorsque les principes d’un accord sont sur la table. Les négociateurs interviennent alors pour organiser et formaliser cet accord. Ce qui se passe actuellement entre Israël et les Palestiniens donne le sentiment que l’on s’apprête à jouer contre la règle. On verra si ça marche ou bien si la réalité reprend ses droits, rappelant ainsi que la règle même si elle n’est pas écrite ne souffre pas d’exception.
M. Nethanyahou s’est fait imposer par Washington une négociation dont tout le monde sait qu’il ne veut pas. Aussi assiste-t-on à ce scenario probablement unique dans l’histoire récente, où l’une des parties parvient à repousser toute référence reconnue sur quoi pourrait s’ouvrir la négociation et notamment les résolutions des Nations Unies : qu’elles portent sur la ligne verte, les colonies ou les réfugiés. Et pour bien monter sa mauvaise humeur le gouvernement israélien a lancé une nouvelle campagne de construction dans les Territoires Occupés, y compris à Jérusalem-est, tout en sachant que c’est une provocation pour son partenaire de négociation. Selon la formule d’un bon connaisseur cité par Reuters : "Mr. Netanyahu ne pleurera pas si les négociations échouent, mais il va pleurer s’il est considéré comme le responsable de leur échec".
Telle devrait être selon toute probabilité la ligne de force de cette étrange négociation. Une autre singularité veut que le partenaire palestinien n’ait pratiquement plus rien à négocier, c’est-à-dire à céder ; M. Mahmoud Abbas risquerait un suicide politique (sans oublier probablement les risques physiques) s’il s’écartait du plan de Paix Arabe. Il a pour lui la légalité internationale, mais il est en position de grande faiblesse face à Israël ; de manière paradoxale, c’est probablement sa carte maîtresse. Il lui suffira de peu parler. Le parrain américain est là comme médiateur à travers l’ancien ambassadeur en Israël, M. Indyck, dont la personnalité peut rassurer M. Netanyahou, mais dont rien ne permet de penser qu’il sera autre chose que le fidèle exécutant des instructions de la Maison Blanche. Dans ces conditions la négociation risque fort de se dérouler principalement entre Israël et Washington ; et plus que sur l’avenir de la Palestine c’est sur celui d’Israël qu’elle semble devoir porter. Pour cela, Washington qui a pris le risque politique de l’engager, va devoir faire prendre conscience à
ses interlocuteurs israéliens de certaines réalités.
Sur la relation entre les deux alliés, il n’est pas inutile de faire un rapide retour en arrière. L’an dernier,M. Netanyahou avait cru pouvoir imposer à Washington son propre calendrier sur le dossier iranien. Il a dû déchanter et surtout son arrogance face au président américain a provoqué une réaction dont il continue probablement à sous-estimer la portée. Washington n’a jamais admis qu’un de ses partenaires puisse prétendre lui dicter une politique. Le temps de la médiatique et accommodante Mme Clinton appartient au passé et les hommes qui entourent le président ne cachent pas leur volonté d’apprécier la relation avec Israël à l’aune des propres intérêts de l’Amérique. Or Washington qui a décidé de se réengager au Proche Orient a pris conscience que la poursuite du non règlement de la question palestinienne n’est pas dans son intérêt. L’Amérique a en effet un déficit d’image très sérieux dans l’ensemble du monde arabe et elle ne peut plus en ignorer le coût politique. Le soutien inconditionnel à Israël pèse lourd dans cette situation, d’autant que les frustrations des opinions arabes vis-à-vis des Occidentaux se focalisent en priorité sur la question palestinienne. Les révoltes arabes depuis 2011 n’ont fait qu’aggraver les choses.
En décidant de lancer des nouvelles constructions dans le s Territoires Occupés, avant même le début des négociations, M. Netanyahou a probablement rassuré la frange nationaliste de l’opinion israélienne, mais il a commis une faute dans l’optique de la négociation : alors qu’il était parvenu à éviter une discussion de principe sur la légalité des implantations, il ramène le dossier au premier plan. Les réactions de M. Kerry sont d’ailleurs tout à fait intéressantes : d’une part, le Secrétaire d’Etat minimise la portée du geste en déclarant que la décision ne doit pas faire échouer la négociation, mais d’autre part il rappelle que les constructions dans les Territoires Occupés en 1967 sont illégales. Venant de Washington le langage est tout à fait inhabituel. On comprend que les Palestiniens aient protesté mollement, car ils ont dû être rassurés par cette affirmation de principe.
Or ceci intervient après deux rappels à l’ordre sur la légalité internationale. Le premier a vu la Cour Suprême des Etats Unis déclarer que la question de savoir si Israël peut être mentionné dans un passeport dès lors qu’une naissance s’était produite dans les Territoires Occupés est une question d’ordre juridique, et ceci a amené une cour fédérale à se prononcer contre cette mention. Les réactions israéliennes ont été très discrètes et il est vrai que cette décision n’a pas de portée internationale. Mais cette décision de justice est hautement symbolique et elle contribuer à renforcer la main de l’administration. En Europe, la Commission a adopté une directive excluant les colonies des programmes européens. Cette directive a été très mal accueillie en Israël, habitué à plus de complaisance de la part des gouvernements européens. Le gouvernement israélien a accusé l’Union Européenne de compliquer les négociations, et il a envisagé de prendre des mesures de rétorsion. Une telle réaction montre à la fois le désarroi des responsables israéliens et la façon dont ils sont déconnectés des réalités.
Durant des décennies Israël s’est en effet efforcé de construire un droit s’écartant des principes internationalement reconnus, y compris par lui, pour légitimer sa présence dans les Territoires Occupés. C’est cet édifice qui est menacé aujourd’hui, y compris par les Occidentaux et ceci fait que M. Netanyahou a probablement tout autant le dos au mur que M. Abbas et peut être même plus.
Mais la principale difficulté de la négociation se trouve probablement en Israël lui-même. Après des années durant lesquelles les gouvernements israéliens ont délibérément tourné le dos à la réalité pour se réfugier dans une légalité virtuelle inspirée de la Bible, il faudra des explications douloureuses pour sortir de l’ambiguïté. Or le temps ne joue pas en faveur d’Israël comme le montre la campagne pour le boycott des produits fabriqués dans les colonies qui est en train d’évoluer en boycott de l’Etat d’Israël, lui-même. Comment faire comprendre à M. Netanyahou que la directive européenne qu’il déteste exprime une réalité et que la légitimité d’Israël passe par la reconnaissance de cette réalité ? Qu’elle réussisse ou qu’elle échoue, la négociation avec les Palestiniens n’a probablement d’autre but.
Michel Roche, Consultant indépendant, est Associé au Groupe d’analyse de JFC Conseil. (http://www.jfcconseilmed.fr/les-analyses.html )
Voir également sur ce blog :
*
Proche Orient : Et si malgré les provocations et les violences quotidiennes, nous étions proches de la solution politique et territoriale tant attendue !
* Council conclusions on the Middle East Peace Process (Brussels,
22 July 2013)