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Publié par ERASME

Aucun de ses prédécesseurs n'a été aussi puissant. Il n'a pas de rival capable de lui faire de l'ombre, sa cote de popularité reste forte plus de trois ans après le début de son second mandat, et il n'hésite pas à tenir la dragée haute à son alliée indispensable, l'Amérique de Barack Obama : il est le "roi Bibi", son surnom est le titre d'une couverture récente du magazine Time. En une semaine, Benyamin Nétanyahou, premier ministre d'Israël, vient d'encaisser deux rapports accablants sur son exercice solitaire du pouvoir. Tout autre chef de gouvernement aurait été ébranlé, forcé en tout cas de rendre des comptes. Pas lui. Plusieurs de ses ministres sont épinglés, leur "responsabilité spéciale" stigmatisée par le contrôleur de l'Etat, Micha Lindenstrauss. Ils haussent les épaules...

Le premier verdict concerne l'épisode du Mavi-Marmara, ce paquebot turc de la "flottille pour Gaza", pris d'assaut par les commandos israéliens, le 31 mai 2010, au prix de la mort de neuf passagers. M. Nétanyahou et son ministre de la défense, Ehoud Barak, ont agi, pour l'essentiel, seuls, sans écouter les avertissements des services de renseignement et de l'armée, sans concertation avec les ministres concernés.

Le premier ministre répond vertement qu'Israël, grâce à lui, "jouit d'un niveau de sécurité inconnu depuis des années". Les critiques alors se focalisent : si c'est ainsi que le duo Nétanyahou-Barak, que l'on sait va-t-en-guerre à propos de l'Iran, envisage un bombardement des sites nucléaires de Téhéran, au risque d'embraser le Proche-Orient, alors le "roi Bibi" risque de ressembler au docteur Folamour...

Mais une critique chasse l'autre. M. Lindenstrauss tire une seconde salve : cette fois, son rapport concerne l'incendie du mont Carmel, en décembre 2010, qui a fait 44 morts. Le ministre de l'intérieur, Eli Yishai, le ministre des finances, Youval Steinitz, l'armée israélienne, la police, les services des pompiers, font l'objet d'accusations graves : manque de préparation, errements de la chaîne de commandement, hostilité entre ministres aux dépens de la sécurité.

Chacun a fermé les yeux, s'est défaussé sur son voisin. La responsabilité du premier ministre est engagée... Des sanctions ? Rien. Ni démission, ni reproche, ni blâme, autres que ceux de la presse. Glissent les critiques sur le premier ministre "Téflon" d'Israël ! Fort d'une majorité de 94 sièges sur 120 à la Knesset, M. Nétanyahou est persuadé qu'il peut affronter tous les orages, toutes les condamnations, intérieures et internationales. Celles-ci n'ont pas manqué à l'occasion de la mise en oeuvre de la politique d'expulsion et de détention massive des immigrés africains illégaux.

Après les Soudanais du Sud, la justice israélienne a donné son feu vert à l'expulsion de 2 000 Ivoiriens. Quelques jours avant, leur président, Alassane Ouattara, avait rencontré M. Nétanyahou. Et exprimé sa confiance : le gouvernement israélien "ne va pas contraindre des gens à retourner chez eux, vu l'histoire des déplacements du peuple juif..." Espoir déçu : la presse s'insurge, le gouvernement expulse...

Le front social s'agite, laissant présager une réédition de l'été 2011, lorsqu'un demi-million d'Israéliens étaient descendus dans la rue pour dénoncer la vie chère ? Les autorités israéliennes ne s'inquiètent pas : les jeunes "révolutionnaires" israéliens se refusant à placer leurs revendications sur le plan politique, ils vont peut-être compromettre leurs vacances, mais pas la stabilité du gouvernement.

Mais que faire de ce pouvoir politique sans précédent, qui devrait permettre de l'audace, puisque M. Nétanyahou peut désormais faire abstraction de la surenchère de ses alliés extrémistes ? Une chose est sûre : le premier ministre est privé d'excuses pour expliquer à l'administration Obama qu'il ne peut prendre des risques pour la paix avec les Palestiniens, faute d'une majorité politique suffisante pour l'accompagner dans une décision historique.

Il est dommage que l'anniversaire du 14 juin 2009 soit passé inaperçu. Ce jour-là, M. Nétanyahou, dans un discours à l'université Bar-Ilan de Tel-Aviv, acceptait, pour la première fois, la création d'un "Etat palestinien démilitarisé, côte à côte avec l'Etat juif". Ce ballon d'essai avait été lancé dix jours après l'"adresse au monde musulman" de M. Obama.

Toujours est-il que le programme de son parti, le Likoud, n'a pas été modifié, et que le gouvernement n'a pas jeté les fondations de deux Etats vivant "côte à côte". Un accord de paix avec les Palestiniens est "crucial", notamment " pour empêcher un Etat binational ", martèle "Bibi l'homme de paix". Pour toute habitation de colon dont la Cour suprême ordonne la destruction, nous en construirons dix de plus, répond "Bibi le bâtisseur" !

Tout-puissant sur le plan intérieur, M. Nétanyahou l'est-il autant à l'extérieur ? Depuis l'affaire du Mavi-Marmara, Israël a perdu son seul allié stratégique dans la région, la Turquie, et la nouvelle Egypte du président islamiste Mohamed Morsi laisse planer l'idée d'une révision du traité de paix de 1979. Autour d'Israël, les dominos tombent, et l'axe de ses ennemis se renforce : Iran, Syrie, Liban, Turquie, Egypte, Gaza... Pour se protéger, Israël a construit des murs sur ses frontières avec la Cisjordanie, avec le Liban, la Syrie, l'Egypte, bientôt la Jordanie. Est-il encore temps pour le "roi Bibi" (Le roi "Bibi" et son énigme, par Alain Frachon (Le Monde)) de rompre avec le cycle de la force, et d'utiliser son pouvoir politique pour esquisser des gestes de paix, plutôt que de se préparer, encore, à la guerre ?

lzecchini@lemonde.fr

 

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