Matignon fixe à ses ministères de sévères objectifs d'économies, par Anne Eveno (Le Monde)
Une fois encore, le mot rigueur demeure tabou. Le gouvernement lui préfère le terme "effort". Le mot revient huit fois dans le communiqué d'une page et demie diffusé jeudi 28 juin en fin d'après-midi par Matignon. Les services du premier ministre annonçaient que Jean-Marc Ayrault venait d'envoyer à ses ministres les lettres de cadrage.
Cette étape, traditionnelle dans l'élaboration d'un budget, permet de préciser les orientations qui présideront à la construction du projet de loi de finances pour 2013 ainsi qu'à celle du budget pluriannuel 2013-2015. Et, alors que se déroule à Bruxelles un sommet crucial pour l'avenir de l'Europe, Matignon fixe au gouvernement de sévères objectifs d'économies dans le but de montrer sa volonté de redresser les comptes publics, avec comme cible un déficit ramené à 3 % du PIB.
Les ministres ne seront pas surpris : le 25 juin, M.Ayrault avait donné le ton en annonçant le gel en valeur des dépenses de l'Etat (hors pensions et charges de la dette) sur la période 2013-2015.
UNE NORME PLUS RUDE QUE SOUS FILLON
Pour tenir cet objectif, les ministres vont devoir réduire de 15 % leurs dépenses de fonctionnement sur trois ans (7 % en 2013 par rapport à 2012, 4 % en 2014 par rapport à 2013 et 4 % en 2015 par rapport à 2014). Prévues pour se monter à 19 milliards d'euros en 2012, ces dépenses servent par exemple à financer les achats de matériel, à entretenir les locaux, à financer voitures et logements de fonction...
Cette norme est plus rude que celle annoncée par François Fillon pour la période 2011-2013 où il était question de baisser les dépenses de fonctionnement de 10 % (hors ministère de la défense) dont 5 % en 2011. Au terme de la première année, le résultat n'a pas été au rendez-vous : les dépenses de fonctionnement n'ont reculé que de 2 % en 2011.
Le gouvernement entend également s'attaquer aux dépenses d'intervention. D'un montant net de 57 milliards d'euros, elles recouvrent deux types de dispositifs. Les dépenses dites de "guichet" qui sont, comme les bourses ou les aides au logement, versées automatiquement dès lors que le bénéficiaire du dispositif répond aux conditions définies par la loi. Pour ces dépenses, qui représentent 38 milliards d'euros et sur lesquelles il est difficile d'agir, Matignon indique qu'il "faudra les maîtriser" sans plus de précisions.
En revanche, pour les 19 milliards de dépenses dites "discrétionnaires" (subventions, aides,...) l'autre composante des dépenses d'intervention, le régime sera identique à celui annoncé pour les dépenses de fonctionnement.
RÉDUCTION D'EFFECTIFS DANS LES MINISTÈRES NON PRIORITAIRES
Concernant les effectifs, la nouvelle règle est celle de la stabilité globale. A coté des créations d'emplois – 65 000 sur cinq ans – réservées aux missions prioritaires définies par François Hollande pendant la campagne – éducation, justice, police et gendarmerie –, il y aura donc des suppressions de postes. Les ministères non prioritaires devront réduire – en moyenne – de 2,5 % par an leurs effectifs.
Soucieux de montrer que l'effort demandé sera "juste" et "partagé", Matignon précise dans une formule toute technocratique que cette réduction de 2,5 % des effectifs portera "sur l'ensemble des ministères, y compris sur les ministères qui interviennent dans un domaine prioritaire pour leurs emplois situés en dehors de ce champ" prioritaire. Autrement dit, le ministère de l'intérieur – ministère prioritaire dans ses missions de police – devra tout de même couper dans ses effectifs, dans les préfectures par exemple.
Ces principes, qu'ils concernent les effectifs ou les grands postes de dépenses, devront être déclinés par les opérateurs de l'Etat que sont par exemple Météo France ou l'ADEME. A charge pour les ministres de répartir le poids de l'effort "entre son administration et les opérateurs qui lui sont rattachés" indiquent les services du premier ministre.
Munis de cette lettre de cadrage en guise de viatique, les ministres disposent de quelques semaines pour faire leurs propositions d'économies aux deux locataires de Bercy, Pierre Moscovici et Jérôme Cahuzac. Au terme de ces discussions, le Premier ministre tranchera et enverra fin juillet à chacun des membres du gouvernement une lettre plafond qui lui fixera avec précision les moyens qui seront les siens pour la période 2013-2015.