Nanoproduits : le principe de précaution préconisé
Des chaussettes antibactériennes aux nanoparticules d'argent; du ciment autonettoyant
au dioxyde de titane; une crème solaire au même dioxyde de titane; un antiagglomérant pour sucre de table à la silice… Ce sont les quatre produits passés à la loupe par l'Agence française de
sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset), qui a rendu, mercredi 24 mars, un avis très attendu sur les "risques liés aux nanomatériaux pour la population générale et dans
l'environnement". Verdict : en l'état actuel des connaissances, "le risque ne peut pas être évalué, il ne peut donc pas être exclu".
Cette formulation a minima laissera sur leur faim ceux – consommateurs, industriels,
associations – qui espèrent que soient identifiés des risques précis, avec des seuils de dangerosité. Mais en pointant l'insuffisance des données aujourd'hui disponibles, elle invite clairement à
la mise en œuvre du principe de précaution. En 2008, l'Afsset avait déjà préconisé ce principe pour les personnels de l'industrie et de la recherche, en recommandant d'"éviter ou
minimiser" leur exposition aux nanoparticules. Elle l'étend cette fois à l'ensemble de la population et du milieu naturel. En se fondant sur des exemples
concrets.
"Avec les nanomatériaux, il est impossible d'en rester aux généralités. Il faut les examiner au cas
par cas, produit par produit, usage par usage, souligne Martin Guespereau, directeur général de l'Afsset. Selon la formulation et la matrice où il est incorporé, chaque nanomatériau acquiert une réactivité et un comportement
différents." Quatre produits ont donc été retenus, parce que largement utilisés et représentatifs des différentes voies d'exposition directe: cutanée, par inhalation ou par
ingestion.
- Le cas des chaussettes antibactériennes : Dans certaines chaussettes, des
nanoparticules d'argent sont intégrées aux fibres pour éliminer les mauvaises odeurs. L'expertise conclut que, "pour l'homme, l'exposition cutanée est non négligeable", même si "les
risques sanitaires ne peuvent pas être estimés".
Le passage de la barrière cutanée pourrait être facilité en cas de peau endommagée. Or ces particules
peuvent induire un "stress oxydant" provoquant une altération des cellules.
Quant à l'impact environnemental, l'agence calcule, sur la base d'un
Français sur dix converti aux chaussettes antitranspiration et de 10 paires achetées par an, que leur lavage entraînerait le relarguage annuel de 18 tonnes de nanoargent dans les milieux
aquatiques. Une dispersion qui "devrait faire l'objet d'une attention particulière", le caractère biocide de ces particules présentant "un danger avéré chez certaines espèces
animales".
- Le cas du ciment autonettoyant : le ciment, lui, acquiert, grâce à
l'adjonction de dioxyde de titane nanométrique, des propriétés autonettoyantes et assainissantes, par décomposition des dépôts organiques. La voie d'exposition est ici l'inhalation. Les experts
notent que "les personnes souffrant d'une pathologie respiratoire constituent des populations sensibles".
Des inflammations
pulmonaires et des tumeurs ont été déclenchées chez des rats, avec de très fortes doses, il est vrai.
L'action sur les écosystèmes, où l'usure des bâtiments entraîne une dissémination du dioxyde de titane, reste très mal connue. Des œdèmes des filaments branchiaux ont été observés chez des
poissons.
- Le cas des crèmes solaires : C'est encore du dioxyde de titane nanométrique qui entre dans
la composition des crèmes solaires comme agent filtrant les rayons ultraviolets. Les fabricants ont toujours affirmé que ces nanoparticules ne franchissent pas la barrière cutanée. Or, relève
l'Afsset, "certaines études récentes montrent qu'elles peuvent se retrouver dans la couche profonde de l'épiderme".
Les peaux lésées
(blessées, allergiques ou brûlées), ou celles des enfants sont particulièrement vulnérables. Chez des souris, ces particules peuvent atteindre la rate, le cœur et le foie, et causer des lésions
pathologiques. Les rejets dans le milieu naturel sont estimés, pour la France, à 230 tonnes par an, mais l'impact de ces substances, dans leur formulation cosmétique, reste à
étudier.
- Le cas du sucre en poudre : Quant au sucre en poudre, le consommateur ignore qu'il peut –
comme le sel de table – contenir de la nanosilice évitant l'agglomération des grains.
Les éventuels dangers
sanitaires de cet additif sont inconnus. Chez le rat, une administration orale à forte concentration peut avoir des effets toxiques sur le foie. Pour les écosystèmes, il n'existe aucune
donnée.
Analyser le rapport bénéfice-risque
Face à tant d'incertitudes, l'Afsset insiste sur la nécessité de "faire progresser les connaissances sur la caractérisation, l'exposition et la
dangerosité potentielle des nanomatériaux". En attendant, elle recommande de mettre en place un "étiquetage compréhensible" informant de la présence de nanomatériaux dans les
produits, avec leur toxicité et les risques d'exposition.
Des fiches descriptives fournies par les industriels et rassemblées
dans une base de données assureraient "une traçabilité". Ce qui constituerait une première en Europe.
Pour "limiter
l'exposition des consommateurs et de l'environnement", les experts préconisent en outre de privilégier, à performances et coût égaux, des produits sans nanoparticules, et de restreindre le
recours aux nanoproduits à "faible utilité". A leurs yeux, "une analyse socio-économique du rapport bénéfice-risque" s'impose.
A la société de décider si des chaussettes inodores valent vraiment de répandre des tonnes de substances biocides dans la nature.