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Publié par Patrice Cardot

Bon nombre de partisans du schéma institutionnel européen en vigueur mettent en avant l'argument selon lequel la démocratie progressera à l'issue du scrutin électoral européen de la fin mai 2014, au prétexte que les citoyens européens pourront 'choisir' le futur président de la Commission européenne, sous-entendant pas là qu'ils pourront dès lors choisir 'la' politique européenne de leur choix !

Sans les accuser de malveillance et d'insincérité à l'égard des électeurs européens, il importe quand même de remettre les choses en perspective !

Tout d'abord, comment est désigné le Président de la Commission européenne avec le Traité de Lisbonne ?  

Le Traité de Lisbonne modifie le mode de désignation du président de la Commission, en renforçant le poids du Parlement européen dans le processus.

Les chefs d'Etat et de gouvernement proposeront au Parlement européen, un candidat à la présidence de la Commission, "en tenant compte des élections au Parlement européen" (cf. à cet égard Réunion des chefs d’État européens prévue dans la foulée des élections européennes, par Laurens Cerulus (Euractiv.fr)). Le candidat devra ensuite être élu par le Parlement européen à la majorité des membres qui le composent (soit 376 députés sur 751).

C'est cet extrait qui constitue la véritable nouveauté du Traité. Selon plusieurs observateurs, il impliquerait que, désormais, le Président de l'exécutif bruxellois devrait être de la même couleur politique que le parti arrivé en tête des élections européennes. Une procédure qui se rapproche de celle existant dans les régimes parlementaires, comme le note Alain Lamassoure, député européen du groupe PPE.

Le Conseil européen garde la possibilité juridique de proposer un candidat indépendamment du résultat des élections, mais il est très probable que le Parlement le refuse.

Cette référence renforce l'enjeu politique lié au scrutin européen, traditionnellement marqué par une forte abstention (près de 57 % en 2009).

Le candidat du parti remportant les élections européennes sera-t-il automatiquement désigné Président de la Commission?

Selon M. Lamassoure, "oui, si la victoire est suffisamment nette".

Le Parlement européen ne pourra toutefois pas prendre l'initiative de proposer aux chefs d'Etat et de gouvernement un candidat à la Présidence de la Commission ; son rôle se limite à un droit de véto qu'il peut exercer sur le candidat proposé par le Conseil européen (réunissant les chefs d'Etat et de gouvernement). Dans ce cas, le Conseil européen est tenu de proposer un nouveau candidat dans le délai d'un mois.

Mais en pratique, l'influence du Parlement sera d'autant plus grande que les partis politiques européens (et notamment le groupe majoritaire au sein de l'hémicycle) sauront s'organiser pour suggérer au Conseil européen le nom d'un candidat à la présidence de la Commission.    

"Les partis politiques européens l'ont bien compris", explique M. Lamassoure, "chacun s'organise pour annoncer à l'avance le nom de son candidat, si bien que le vainqueur sera désigné en fait par le corps électoral lui-même".

Le Parti socialiste européen (PSE) a déjà désigné son candidat, le 6 novembre, en la personne de Martin Schulz, l'actuel président du Parlement européen.

Le Parti populaire européen (PPE) a choisi de désigner Jean-Claude Junker plutôt que l'excellent Commissaire Michel Barnier.

Europe Ecologie Les Verts a annoncé le nom de ses deux candidats, le Français José Bové et l'Allemande Ska Keller, à l'issue des primaires en ligne le 29 janvier et l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe (ADLE) a désigné le Belge Guy Verhofstadt le 1er février, lors de son Congrès électoral à Bruxelles. Le parti populaire européen (PPE) désignera quant à lui, son candidat lors de son Congrès à Dublin les 6 et 7 mars.

La chancelière allemande Angela Merkel estime en revanche qu'il n'existe aucun "lien automatique" entre le parti qui remporte les élections européennes et le prochain président de la Commission européenne.

Le Président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, s'est lui aussi prononcé contre la "politisation" de la désignation du président de la Commission, estimant qu'elle serait source de déception, sauf à renforcer les pouvoirs de la Commission vis-à-vis des Etats membres. (voir à cet égard http://www.euractiv.fr/sections/elections-2014/juncker-et-schulz-tombent-bras-raccourcis-sur-van-rompuy-301725?utm_source=EurActiv+Newsletter&utm_campaign=6200ec3c38-newsletter_derni%C3%A8res_infos&utm_medium=email&utm_term=0_da6c5d4235-6200ec3c38-55414033)

Cette politisation a-t-elle d'ailleurs un sens quand J-C Junker et M. Schulz affirment lors de leur premier débat qu'ils ne voient guère de différence entre leurs programmes ...

Extrait : " Avec l'eurosceptique Grande-Bretagne et d'autres pays opposés aux deux principaux candidats considérés comme fédéralistes européens, rien n'est dit que l'un d’eux deviendra président de l'exécutif européen. Lors du débat, l'un des présentateurs a posé la question suivante aux candidats : « Qu'est-ce qui vous distingue ? » Après un instant d'hésitation, Martin Schulz a répondu : « Je ne sais pas ce qui nous distingue [...] Le candidat du PPE [Jean-Claude Juncker] est assez proche de mon programme, mais savoir si le PPE est très proche de Jean-Claude Juncker, c'est une autre question. »." cf. http://www.euractiv.fr/sections/elections-2014/juncker-et-schulz-debattent-sans-passion-de-leurope-301487?utm_source=EurActiv+Newsletter&utm_campaign=7c8db100e1-newsletter_derni%C3%A8res_infos&utm_medium=email&utm_term=0_da6c5d4235-7c8db100e1-55414033
La désignation du président de la Commission européenne signifie-t-elle que les promesses électorales du parti politique dont il est issu auront les plus grandes chances d'être suivies d'effets ?

La réponse à cette question clé ne peut être apportée qu'à l'aune des pratiques concrètes observées au cours des dernières périodes !

Qu'observe-t-on ?

La composition du collège des Commissaires n'est tout d'abord pas le seul fait du président de la Commission ! Les capitales européennes et, dans une moindre mesure, le Parlement européen jouant un rôle déterminant dans ce processus ! Ensuite, elle donne lieu à un savant équilibre entre les différentes forces politiques qui jouent un rôle majeur au sein de l'Union.

Ensuite, en raison de l'accroissement des domaines politiques qui requièrent la co-décision Conseil - Parlement européen, et bien qu'elle dispose d'un pouvoir d'initiative et de proposition de moins en moins exclusif depuis la mise en oeuvre du Traité de Lisbonne, avoir un collège de Commissaires dont la couleur politique serait majoritairement d'un bord de l'échiquier politique européen ne garantit en rien l'issue des processus décisionnels européens.

Celà vaut encore davantage s'agissant des domaines politiques qui confèrent au Conseil, au Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l'Union et/ou au Service européen d'action extérieure, un pouvoir d'inititiative, de proposition, de décision et d'action bien plus important que celui dont dispose la Commission européenne et le Parlement européen.

Enfin, "the last but not the least", comme le souligne fort honnêtement le président permanent actuel du Conseil européen, Herman Van Rompuy, la "politisation" de la désignation du président de la Commission participerait à renforcer les pouvoirs de la Commission vis-à-vis des Etats membres, et donc à la fois du Conseil des ministres et du Conseil européen, ce qui ne correspond pas à la tendance que l'on observe depuis plusieurs années, qu'on le déplore ou non !

La désignation du Président permanent du Conseil européen, du Président de la Banque centrale européenne (le moment venu), du Haut Représentant et des autres membres du Collège des Commissaires constituent des actes politiques tout aussi essentiels, sinon davantage, que la seule désignation du président de la Commission européenne !

Dès lors, aucun parti ne peut garantir à ses électeurs que son programme électoral sera appliqué s'il parvient à réunir une majorité au Parlement européen.

On voit donc que la désignation du président de la Commission européenne ne résume certainement à elle seule la voie qu'empruntera l'Union lors de la prochaine législature européenne !

Ne leurrons donc pas les citoyens européens avec des promesses qui ne seront pas nécessairement tenues !

Et exigeons que leur soient clarifiés les enjeux des nominations clés à venir !

La démocratie européenne y gagnera en qualité et en crédibilité !

Il y va de l'avenir même de l'adhésion des peuples européens à ce beau mais complexe projet politique européen tant décrié en ces temps difficiles !

L'Union européenne jouant un rôle de plus en plus déterminant dans le concert international, et considérant l'ensemble des éléments ci-dessus qui me conduisent à penser qu'à l'exclusion du volet social du projet européen aucun changement politique et économique majeur n'étant à attendre de cette élection, je voterai personnellement pour la liste du parti politique qui m'apportera des réponses claires aux questions fondamentales qui tournent autour de sa vision de la place de l'Union dans le monde, des voies et moyens à y consacrer, d'une part, et de la réforme qui doit être entreprise pour mettre en phase les institutions avec cette vision ! (cf. également à cet égard UE 2014 - Une question qui ne sera pas posée : celle de l'avenir de l'Europe ; Refaire l’Europe : Esquisse d’une politique - Par Pierre de Boissieu, Antonio Vitorino, Tom de Bruijn et Stephen Wall ainsi que 2014 - Amorcer la réforme de l'Union - Catalogue pour un débat

Pour le moment, c'est le néant le plus total sur ce registre pourtant si fondamental !

A bon entendeur, salut !

Voir également :

 * Tous les dirigeants de l'Europe vont être renouvelés cette année, par Anne Bauer (Les Echos)

 * Le choix du président de la Commission européenne doit être transparent

 * Quelques questions clés auxquelles doivent répondre les partis politiques présentant des listes aux élections européennes - première partie -

 * Quelques questions clés auxquelles doivent répondre les partis politiques présentant des listes aux élections européennes - seconde partie -

 * INFOGRAPHIE : l'équilibre des pouvoirs dans les gouvernements européens (Euractiv.fr)

 

 

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