Penser la stratégie signifie aujourd'hui penser et agir de manière à la fois globale et systémique - nouvelle édition -
Peut-il y avoir meilleure démonstration que celle que nous offre aujourd'hui le succès de la dynamique de sanctions internationales ciblées à l'égard de l'Iran pour prendre enfin conscience que les réponses aux principaux défis stratégiques posés au monde sont d'une tout autre nature que celles qui prévalaient jadis à l'époque de la guerre froide !
On voit difficilement comment Israël pourrait désormais continuer d'envisager de se lancer dans une aventure militaire en Iran au moment même où les représentants de la communauté internationale impliqués dans le processus de négociation sur le dossier nucléaire iranien sont parvenus non seulement à faire revenir les Iraniens à la table des négociations, mais, mieux encore, à conclure avec eux un accord majeur, qu'on le juge 'historique' ou non (cf. Accord "historique" sur le nucléaire iranien (Le Monde, AFP et Reuters) ou encore Pourquoi l'accord conclu à Genève avec l'Iran est à saluer, par Fred Kaplan (Slate.fr) ).
Invité à bouger sur ce dossier à l'issue des récentes élections qui ont amené à la tête de la République islamique un nouveau président plus pragmatique et modéré dans son expression publique que son prédécesseur, le pouvoir iranien savait très bien que le poids des sanctions économiques décidées par les États-Unis et l’Union Européenne visant directement et indirectement, via la Banque Centrale Iranienne, son secteur pétrolier et son secteur bancaire, allait très vite devenir insupportable pour la population déjà durement frappée.
Déjà le 1er juillet 2012 avait marqué la date fatidique à partir de laquelle les Iraniens ne pouvaient plus vendre leur pétrole que par le troc et ce uniquement à une clientèle quasi exclusivement asiatique. Les débouchés se limitant de plus en plus, le pays était conduit à vendre son pétrole avec un rabais significatif aux Chinois et aux Indiens.
Avec un taux d’inflation se situant entre 20% et 30% en fonction des denrées et une parité de la monnaie iranienne avec les devises étrangères qui a vu le Rial iranien se déprécier de 40% en deux mois, l’économie du pays est aux abois. Avec une population avoisinant les 80 millions d’habitants et une jeunesse éduquée de moins de 40 ans représentant plus de 60% de la population du pays, l’économie est le talon d’Achille du pouvoir.
Les sanctions ont réussi à associer dans l’esprit des Iraniens leurs difficultés économiques au quotidien à la quête du nucléaire. Sans oublier naturellement les attaques cybernétiques contre les systèmes informatiques les plus stratégiques dont les effets non léthaux pour les populations participent à rendre acceptables quand bien même elles demeurent illégales du point de vue du droit international (cf. à cet égard La cyberguerre est déclarée, par Pascal Lorot (Le Nouvel Economiste) ou encore Le Sénat préconise un renforcement de la cyberdédense en France et les articles auxquels il renvoie).
On voit donc qu'une action collective à l'égard d'une Banque centrale, d'une monnaie ou, plus généralement, des ressorts les plus critiques d'une économie nationale peut produire des résultats diplomatiques particulièrement prometteurs en regard des enjeux stratégiques en cause !
Si le recours aux potentialités qu'offre l'équilibre de la terreur que permet le jeu complexe de la dissuasion nucléaire reste indubitablement pertinent pour asseoir une stabilité stratégique en équilibre précaire, comme le souligne Bruno Tertrais, dans un univers stratégique qui parviendrait bon gré mal gré à contenir les vélléités multiples de prolifération (cf. à cet égard Comment la France doit-elle se positionner à l'égard du projet de défense antimissile balistique (DAMB) ? ), une autre évidence s'impose aujourd'hui aux penseurs et acteurs de la stratégie contemporaine : le règlement pacifique des différents stratégiques sur la base d'initiatives collectives fondées soit sur la lettre ou l'esprit de l'article 33 du chapitre VI de la Charte des Nations Unies (Chapitre VI : Règlement pacifique des différends) soit sur la lettre ou l'esprit de son chapitre VII (Chapitre VII : Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression) est d'autant plus efficace aujourd'hui qu'il repose sur des modalités d'action bien plus efficaces que jadis ! Et surtout beaucoup moins hasardeuses pour la paix et la sécurité internationale !
L'Union européenne serait bien inspirée de capitaliser rapidement les acquis de son expérience récente en la matière ! Et de renforcer ce qui a pu apparaître un moment comme une marque de faiblesse alors que cela constitue un instrument essentiel de son arsenal stratégique, à savoir sa doctrine et ses instruments de médiation internationale (cf. à cet égard Agir au long terme sur les conflits : l’UE mise sur la médiation (Bruxelles2.eu) ).
Ce qui ne sera efficace qu'à la condition qu'elle apporte des réponses robustes à son déficit de puissance économique et normative en revisitant en profondeur ses stratégies de sécurité autant que ses politiques communes pour les adapter aux grands mouvements du monde et aux véritables menaces globales sur les grands équilibres auxquels elle est attachée (cf. notamment à cet égard Ce dont l'Union européenne a le plus besoin aujourd'hui, c'est d'une vision stratégique de sa véritable place comme acteur global dans le monde ; Influence européenne : la nécessité d'un changement de paradigme, par Elvire Fabry (Notre Europe – Institut Jacques Delors) ; Existe-t-il un intérêt stratégique européen ? ; De l'épineuse question des objectifs stratégiques de l'Union européenne ; L'Union européenne est-elle encore une puissance normative crédible ? ; Réviser en profondeur la stratégie européenne de sécurité ! De la nécessité et de l'urgence (1) ; Réviser en profondeur la stratégie européenne de sécurité ! De la nécessité et de l'urgence (2) ainsi que La Commission européenne propose quelques pistes pour renforcer l'arsenal de défense commerciale de l'UE ) !
A condition d'avoir pris toute la mesure de ce qu'est une Union politique articulée autour de buts, de valeurs et d'intérêts bien compris qui en singularisent le projet autant que l'identité (cf. notamment à cet égard Du socle idéologique minimal d’une Union politique européenne en construction (extraits de « L’Union européenne dans le temps long » de Jean-Louis Quermonne ) ! - Première partie - ainsi que Du socle idéologique minimal d’une Union politique européenne en construction (extraits de « L’Union européenne dans le temps long » de Jean-Louis Quermonne ) ! – seconde partie – ) !
Les conclusions du Conseil en date du 25 novembre relative à la PSDC témoignent d'une réelle évolution positive en ce sens ! (cf. Council conclusions on Common Security (Brussels, 25 November 2013 ) )
Il en va de même de cette Communauté atlantique en devenir !
Laquelle, en raison des rapports de force et des jeux de puissance qui demeurent et demeureront encore longtemps entre ses principaux membres, ne rêvons pas, se doit de créer un espace politique et stratégique favorable à l'instauration d'un dialogue structuré approfondi autour des enjeux de gouvernance globale pour en revisiter les principes et les instruments (cf. à cet égard La gouvernance mondiale est-elle au service de l’intérêt général global ? par Joseph Stiglitz - nouvelle édition - ), en lien notamment avec les défis globaux à l'égard desquels ni les uns, ni les autres ne peuvent apporter des réponses suffisamment globales pour ne pas en subir les effets les plus dramatiques (cf. à cet égard, notamment De l'économie de l'insécurité ! ; Global Risks Report 2013 ainsi que Future Global Shocks (OECD)) ; des réponses globales n'excluant pas, d'ailleurs qu'elles soient pensées et conçues à des niveaux régional ou sous-régional.
L'Union européenne, comme cette Communauté atlantique élargie en devenir, doivent désormais et devront à l'avenir s'employer à créer sans cesse les conditions d'une synthèse entre un possible pragmatique et les nécessités de l'Histoire ! Notamment au Proche Orient (cf. Pour dépasser la situation actuelle au Proche Orient, il faut d'abord cesser les hypocrisies et de soutenir les fausses bonnes solutions, et tirer les véritables leçons ! - nouvelle édition)
Cet article est paru une première fois sur ce blog en novembre 2013