Que doit-on entendre par 'approche globale' de la sécurité en Europe ? - nouvelle édition -
Il est indispensable de mettre un terme à la confusion qui peut naître de l'utilisation du concept d' " approche globale " de la sécurité qui prend des sens et des formes différents selon qu'il est mis en oeuvre par l'ONU, par l'OTAN, par l'UE (ou par l'OSCE).
Un conférence organisée le 6 mai 2011 à l'Ecole militaire, à Paris, a permis de faire l'état des lieux de cet outil conceptuel en construction, dont la première définition avait été proposée par Kofi Annan en 1999 ; l'objectif de cette conférence étant d'évaluer dans quelle mesure il existe dix ans plus tard une convergence des concepts d'approche globale développés à l'ONU, à l'OTAN et au niveau de l'UE.
Le général Jean Bouillaud, chef d'état major du DPKO, a rappelé les principaux éléments qui militent pour l'approche globale dans les opérations de maintien de la paix de l'ONU : multidisciplinarité, absence de séquençage des différentes activités à mettre en oeuvre dans le cadre d'une phase de transition entre un état de guerre et le retour à la stabilité, nécessité d'adaptation à l'environnement politique, intérieur et régional, et socio-économique.
Présentant l'approche française de l'approche globale, le général Guillarme Gelée, directeur du CICDE, a évoqué une démarche visant au règlement rapide et durable d'une crise en s'appuyant sur une coordination de tous les acteurs dans les champs de la sécurité, de la gouvernance et du développement économique et social. Il a défini quatre niveaux d'intercation possibles sur le terrain : - la connaissance des autres acteurs et de leurs activités ; - l'échange d'informations et la prise en compte des avis ; - la reconnaissance des objectifs des différents acteurs même lorsque ces objectifs diffèrent et la recherche de synergies ; - la collaboration en vue d'une unité d'effort s'appuyant sur une évaluation commune de la situation, un partage d'objectifs communs et l'identification d'éventuelles divergences. A titre personnel, Guillaume Gelée a estimé que les PRT mises en place en Afghanistan, en faisant reposer l'effort sur une sécurisation de zone par les militaires, peut constituer une solution temporaire de début de gestion de crise, mais " qui nous enferre à long terme ".
Le directeur du bureau de planification de l'OTAN à Bruxelles, Diego A. Ruiz-Palmer, a rconnu que l'approche globale demeure un chantier inachevé. Mais elle est devrait tenir compte d'un effort de prévention des crises, d'une meilleure consultation politique, d'efforts de prospective, d'exploitation du renseignement, et d'un recours accru aux partenariats structurés. L'OTAN souhaite aussi développer la réactivité et l'agilité des forces et réformer les structures de commandement et de préparation des forces, a-t-il expliqué. M. Ruiz-Palmer a enfin plaidé pour un renforcement de " l'appui mutuel UE-OTAN ".
Le général Henri Bentégeat, ancien président du comite militaire de l'UE, a souligné les progrès considérables réalisés par l'UE dans la manière interdisciplinaire d'appréhender les crises. Une progression continue, selon lui, depuis la première opération en Bosnie-Herzégovine jusqu'à l'opération navale ATALANTA, en passant par l'EUFOR au Tcahd et en République Centrafricaine. Si l'intégration des personnels en uniforme (militaires, policiers, gendarmes, douanes ...) est rerlativement facile, elle demure très difficile avec les juges, notamment du fait de la culture d'indépendance de la magistrature (inhérente à toute démocratie libérale où les différents pouvoirs sont nécessairement 'séparés' NDLR). D'autres problèmes se rencontrent avec les humanitaires et les responsables de projets de développement (cf. à cet égard la position de Mme Eva Joly, présidente de la commission 'Développement' au Parlement européen : Eva Joly : « Il faut éviter la confusion des genres entre aide au développement et politique extérieure »). Une autre difficulté émane de " la persistance des interventions nationales (française et britannique notamment) indépendantes, voire en contradiction avec ce qui a été agréé dans d'autres enceintes (ONU, UE) ". Posent également problèmes le déploiement des personnels civils et, en fin de mission, le transfert d'autorité aux responsables locaux. Cependant, à l'heure actuelle, " l'UE est la seule organisation qui a la capacité de conduire des opérations complexes civilo-militaires ", constate le général Bentégeat.
Antpine Gérard (OCHA) s'est fait le porte- parole des inquiétudes des acteurs humanitaires qui voient l'approche globale comme une stratégie visant à les englober en vue d'atteindre des objectifs militaires et politiques. Pour lui, il est très utile d'encourager le dialogue et des formes de coordination entre les acteurs sur le terrain, mais il n'est pas pour autant acceptable d'intérer les humanitaires dans une approche globale ayant une finalité politique qui finirait par s'imposer aux humanitaires en bridant leurs activités. Les déclarations du Secrétaire général de l'OTAN (notamment à Chicago) ou du Haut Représentant de l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité " semblent nier la spécificité des humanitaires " et les principes d'imparialité, de neutralité et de non discriminiation (du droit humanitaire) pourtant reconnus par l'article 214 du Traité de Lisbonne. Il a regretté que d'autres principes, notamment celui d'indépendance, n'aient pas été inscrits dans le traité. M. Gérard a regretté que le Conseil de l'UE considère aujourd'hui que les acteurs humanitaires " participent à la gestion de la crise " alors que " le Consensus européen pour l'action humanitaire dit clairement que l'action humanitaire n'est pas un instrument de gestion de crises ". (voir aussi à cet égard Olivier Jehin, dans le n° 310 du bihebdomadaire Europe, Diplomatie & Défense, en date du 13 mai 2010 - une publication de l'Agence Europe - Connaissez-vous l'Agence Europe ?).
Première remarque : on voit combien il est important de différencier d'emblée le concept d' " approche globale " objet du présent article et celui de " sécurité globale ", évoqué ici ou là essentiellement depuis la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide, d'abord par les Russes, puis par d'autres acteurs majeurs en charge de l'élaboration de doctrines, de stratégies, de politiques et d'instruments visant à faire face à des défis globaux pour la sécurité (cf. notamment à cet égard les travaux entrepris sur le sujet par Le Consortium Global pour la Transformation de la Sécurité (CGTS) ; l'allocution prononcée par M. A. Moratinos lors de l'édition 2010 de la Conférence sur la sécurité : M. A. Moratinos a exposé à Münich avec brio les grandes lignes de la stratégie globale de l'UE en matière de sécurité ; la vision que propose Marc Perrin de Brichambaud de la boite à outils offerte par l'OSCE et les processus auxquels elle se rattache : La boîte à outils de l’OSCE offre la possibilité d’innover, par Marc Perrin de Brichambaut et OSCE : Dialogue sur la sécurité européenne - Thèmes directeurs des réunions du Processus de Corfou ; ainsi que mes propres articles intitulés Réviser en profondeur la stratégie européenne de sécurité ! De la nécessité et de l'urgence (1) ; Essai de caractérisation conceptuelle et fonctionnelle de tout système de sécurité - nouvelle édition - ou encore Mettre la sécurité au service du développement en la repensant de manière systémique (nouvelle édition)).
Seconde remarque : L'Histoire du XXème sièce nous enseigne que l'approche globale n'est pas nouvelle : elle a été pensée et pratiquée sous l'angle de " l'approche d'ensemble ", avec davantage de succès qu'aujourd'hui, sur des " théâtres " tout aussi " difficiles " que ceux où elle est mobilisée actuellement ! Le lecteur intéressé par l'une de ces expériences, déjà ancienne, dont l'aboutissement s'est avéré particulièrement réussi, de quelque point de vue que l'on se place, est invité à prendre connaissance des articles suivants : La place centrale de " l'action d'ensemble " dans l'oeuvre du Général Lyautey au Maroc : une leçon utile à tirer de l'Histoire ! - Première partie - et suivants.
Voir également :
* L’OTAN et l’approche globale des crises (Newsletter n°XI - RMFUE)