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Publié par Patrice Cardot

Les investisseurs répugnent de plus en plus à faire confiance à la dette de la plupart des pays de la zone euro. Telle est la principale leçon des événements récents.

Beaucoup de dirigeants européens voudraient déclarer la guerre aux marchés. Ils ne doivent toutefois pas oublier que ce qu'ils souhaitent, c'est qu'on achète leur dette.

Au 21 novembre, les spreads (écarts de taux) par rapport aux obligations allemandes dépassaient les 60 points de base (0,6 %) aux Pays-Bas et en Finlande et atteignaient 152 points en Autriche, 155 points en France, 292 points en Belgique, 466 points en Espagne, 480 points en Italie, 650 points en Irlande, 945 points au Portugal et... 2 554 points en Grèce.

Ces écarts sont gérables pour la plupart des membres de la zone euro. Même l'Italie et l'Espagne pourraient vivre, sinon indéfiniment, du moins pendant une certaine période avec les taux actuels.

Ce qui est inquiétant, c'est l'augmentation des tensions sur les marchés de la dette publique des pays de la zone dont l'Irlande est le seul à avoir réduit significativement ses spreads, même s'ils demeurent à un niveau écrasant.

Il y a trois explications à cela.

La première est que les investisseurs se rendent compte que plusieurs pays de la zone euro courent un risque d'insolvabilité bien plus grand que ce que l'on pensait.

La deuxième est que cette union monétaire est dépourvue d'un véritable prêteur de dernier recours. Il existe ce que Charles Goodhart, de la London School of Economics, appelle des "Etats subsidiaires". Leur dette court le risque d'un défaut pur et simple plutôt que d'une simple monétisation.

Redoutant le défaut, les investisseurs créent de l'illiquidité, qui se transforme en insolvabilité. Plus grande est la proportion de créanciers étrangers, plus fort est le risque de défaut : les investisseurs savent que les politiciens sont plus réticents à faire défaut vis-à-vis de leurs propres citoyens qu'aux dépens d'étrangers. Mais en raison de l'union monétaire, les étrangers détiennent une plus grande partie de la dette souveraine qu'autrefois : la moitié de celle de l'Italie est détenue à l'étranger.

La troisième explication est qu'il existe un risque d'éclatement. Aucune union monétaire n'est irréversible. Les pays eux-mêmes ne survivent pas éternellement. Mais une union monétaire entre pays en désaccord est encore plus fragile.

Que peut-on faire ?

J'ai récemment présidé un débat à l'occasion d'une conférence donnée en l'honneur de Paul de Grauwe de l'université de Louvain en Belgique.

Trois défis

 Ma conclusion était que la zone euro se trouve confrontée à trois défis interconnectés. Le premier est de gérer l'illiquidité sur les marchés de la dette publique ; le deuxième, d'inverser la divergence en matière de compétitivité que l'on observe depuis la création de la zone ; le troisième, de créer un régime capable d'assurer des relations économiques moins instables entre ses membres.

Ces trois points recouvrent un problème simple : si l'on veut qu'ils croient à l'avenir de l'euro, les gens doivent être convaincus que les choses iront mieux pour eux au sein de la zone qu'en dehors. Examinons l'un après l'autre ces trois points.

Tout d'abord, les pays vulnérables ne peuvent pas éliminer seuls le risque d'illiquidité ou de rupture. Les promesses d'austérité, qui affaibliront inévitablement l'économie, entament la crédibilité bien plus qu'elles ne la renforcent.

Les taux d'intérêt doivent impérativement être maintenus à des niveaux gérables. La façon d'y parvenir est une question secondaire.

Une combinaison entre le Fonds européen de stabilité financière (FESF) et la Banque centrale européenne (BCE), comme le suggèrent Peter Bofinger de l'université de Würzburg (Allemagne) et le financier américain George Soros, semblerait une proposition logique.

Mais toute intervention massive paraît improbable du fait d'une résistance idéologique mal placée. On laissera les Etats vulnérables osciller au bord du gouffre. Pourtant, si les écarts de taux étaient plafonnés, mais non éliminés, cela inciterait les pays à réduire leurs déficits et à résorber leur dette.

Deuxièmement, une grande partie de la perte de compétitivité des pays de la périphérie doit être inversée. Mais, comme devrait l'avoir appris l'Allemagne de sa propre expérience depuis une décennie, cela serait bien plus facile si l'inflation était relativement forte chez les pays partenaires.

La BCE devrait s'efforcer d'assurer une demande suffisante au cours des années qui viennent pour faciliter l'amélioration de la compétitivité dont les pays périphériques ont besoin.

Or, à cet égard, elle a jusqu'à présent échoué. La croissance de la masse monétaire au sens large s'est effondrée et le produit intérieur brut (PIB) nominal comme le PIB réel sont bien trop faibles.

A présent que l'austérité budgétaire est devenue la règle, la BCE devrait développer une politique fortement expansionniste au lieu de celle, très restrictive, menée par les grandes banques centrales de tous les pays avancés.

 Mantra de la BCE

Dans les circonstances actuelles, le mantra de la BCE sur la stabilité des prix à moyen terme risque de s'avérer mortel. Comme le faisait remarquer récemment un responsable de Bruxelles, les historiens risquent de se souvenir de la BCE comme de la banque centrale magnifiquement orthodoxe d'une union monétaire qui a échoué.

Est-ce l'image que les membres de son conseil d'administration veulent laisser dans l'histoire ? Je veux croire que non.

Venons-en enfin au futur régime politique et économique de la zone euro. Il me semble que la crise nous adresse trois grandes leçons.

La première, comme le soulignait André Sapir, de l'Université libre de Bruxelles, lors de la conférence de Louvain, est que le secteur financier de la zone doit être contrôlé par un régulateur commun et appuyé par une autorité budgétaire commune.

La deuxième est que la zone euro tirerait un grand bénéfice d'un marché unifié des obligations qui couvrirait une grande partie de la dette des pays membres.

Enfin, il faut instaurer une discipline plus efficace dans le domaine des politiques structurelles et budgétaires des Etats membres.

Mais aucune de ces mesures ne saurait (ni ne devrait) être acceptable par des démocraties sans une avancée substantielle vers une union politique.

Or tout ce que nous avons récemment vu ou entendu indique que cette évolution, déjà exclue dans les années 1990, serait encore plus difficile aujourd'hui...

 

(Cette chronique a été publiée par Le Monde en partenariat exclusif avec le "Financial Times". © "FT". Traduit de l'anglais par Gilles Berton).

 

Voir également : Quelles sont les dernières solutions pour sauver l'Europe ? (LePost.fr)

 

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