Retour sur image : L’Iran à la limite du TNP, par François Nicoullaud
L’Iran adhère parmi les premiers, dès 1970, au Traité de non-prolifération, s’engageant ainsi à ne pas acquérir d’arme nucléaire. Dès 1974, il met en vigueur un premier accord de garanties organisant les contrôles de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) sur ses installations et matières nucléaires. En 2003, il signe à la demande de trois pays européens (l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni) deux nouveaux accords avec l’AIEA. L’un, le Protocole additionnel à son accord de garanties de 1974, autorise l’AIEA à mener des inspections sur tout son territoire, y compris sur des sites qui n’auraient pas été préalablement déclarés. L’autre, accord subsidiaire de portée plus modeste, l’engage désormais à déclarer à l’AIEA toute nouvelle installation nucléaire dès sa conception.
Fin 2003, l’Iran, en témoignage de bonne volonté, autorise l’AIEA à appliquer le Protocole additionnel sans attendre sa ratification. Il revient toutefois sur cette ouverture en 2005, lorsque s’enlise sa négociation avec les trois Européens autour de l’avenir de son programme nucléaire et notamment de son usine d’enrichissement d’uranium de Natanz. Il revient aussi à la même époque sur l’application de l’accord subsidiaire, mais sur ce point, l’AIEA, considérant à juste titre que cet accord n’appelait pas de ratification parlementaire et ne contenait pas de clause de dénonciation, refuse de suivre l’Iran.
En ce qui concerne ses activités nucléaires d’où pourrait sortir la matière d’une bombe, l’Iran n’a pas été pris en défaut par les inspecteurs de l’AIEA depuis 2003, lorsque des traces inexpliquées d’uranium enrichi ont été relevées sur deux sites en territoire iranien. C’était l’époque où l’Iran commençait à faire tourner de-ci de-là ses premières centrifugeuses, acquises au Pakistan. L’AIEA s’est depuis satisfaite des explications de l’Iran, mais n’a pas relâché sa pression. Depuis cette date et jusqu’à ce jour, l’Iran est de très loin le pays le plus inspecté au monde par l’Agence.
Racontée ainsi, la relation entre l’Iran, l’AIEA et le TNP paraît presque ordinaire. L’Iran n’est pas le seul des pays membres du Traité à avoir été pris en infraction. La Corée du Sud, Taïwan et l’Egypte ont fait l’objet, dans les années récentes, de signalements pour avoir conduit des manipulations non déclarées de matières fissiles. Ces affaires ont été depuis classées. L’Iran n’est pas non plus le seul à se dérober à l’application du Protocole additionnel. Des pays tels que le Brésil, l’Argentine ou l’Egypte résistent à l’idée d’adhérer à un dispositif d’inspection qu’ils jugent trop intrusif.
Et pourtant, l’Iran a été fortement mis en cause à plusieurs reprises depuis 2003 devant le Conseil des gouverneurs de l’AIEA, et a fini par voir son dossier transmis par le Conseil des gouverneurs au Conseil de sécurité. Comment en est-on arrivé là ?
Si l’on met un instant de côté les intentions prêtées aux uns et aux autres et la géopolitique de la région, le fondement de la crise est plutôt simple. L’Iran s’estime autorisé à aller jusqu’au bout du droit reconnu par l’article IV du TNP à ses membres, de développer toute la gamme des activités nucléaires, si sensibles que certaines puissent être. La reconnaissance de cette capacité est précisément la contrepartie du renoncement à acquérir la bombe, consenti par l’ensemble des signataires, à l’exception des cinq pays déjà dotés de l’arme, et de leur acceptation concomitante des contrôles de l’AIEA. De fait, plusieurs pays disposant d’impeccables références en matière de comportement pacifique, sont allés jusqu’au bout de ce droit. L’on songe en particulier au Japon.
Les pays les plus inquiets du comportement iranien considèrent au contraire que les droits du Traité ne valent qu’avec le respect des devoirs qu’il établit. Ainsi, un pays comme l’Iran, qui a commis naguère des infractions avérées à son accord de garanties avec l’AIEA et qui maintenant coopère a minima avec elle, laissant dans l’ombre un certain nombre d’activités passées ou présentes, doit démontrer de façon objective que son programme d’enrichissement d’uranium, effectivement fort sensible, a bien une destination pacifique. Aucun usage crédible et immédiat de l’uranium enrichi par l’Iran ne s’étant encore manifesté, les Occidentaux, puisqu’il s’agit d’eux, demandent à l’Iran d’interrompre cette activité. Poussant le raisonnement, ils estiment que son refus représente une menace contre la paix. C’est sur ce motif, relevant du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, qu’ils ont fait voter au Conseil de Sécurité, en trois résolutions successives, une série de sanctions contre l’Iran.
L’issue du dossier iranien pèsera évidemment lourd sur l’avenir du TNP. Si les Occidentaux parviennent à faire céder l’Iran, ils auront favorisé l’apparition au sein du Traité d’un nouveau type de membre, à droits plus limités que ce que prévoyait la lettre du TNP. Si l’Iran allait au contraire jusqu’au bout de ses droits, il démontrerait que la résistance est payante, non seulement pour les pays qui ont refusé de joindre le Traité, comme l’Inde, le Pakistan ou Israël, mais même à l’intérieur du TNP. A plus forte raison, si l’Iran produisait effectivement une bombe, ce serait un coup dur pour la crédibilité du Traité. Reste l’hypothèse où Israël seul, ou les Etats-Unis, ou les deux ensemble, peut-être même avec d’autres, en arriveraient à détruire à titre préventif les installations nucléaires iraniennes. Dans le premier cas, ceci signifierait qu’un pays non-membre du TNP tel qu’Israël pourrait se permettre de détruire les installations placées sous contrôle de l’AIEA d’un membre du TNP. Si les Etats-Unis se trouvaient mêlés à l’action, il apparaîtrait qu’un membre du TNP doté de l’arme nucléaire pourrait s’en prendre aux installations d’un membre ayant renoncé à la bombe. Tout ceci fragiliserait de façon dramatique l’économie du Traité, d’autant que s’il était ainsi agressé, l’Iran pourrait alors sortir du TNP, suivi peut-être par d’autres. Sombres perspectives, donc.
Seul motif d’espérer : les dirigeants iraniens ont dit jusqu’à présent, malgré toutes les critiques dirigées contre eux sur ce dossier, qu’ils restaient fidèles au TNP et n’avaient pas l’intention de le quitter. Ils continuent de se soumettre, même de façon imparfaite, aux contrôles de l’AIEA. Si une solution à la crise se dessinait un jour, c’est sur ce socle qu’il faudrait la bâtir.
François Nicoullaud est ancien diplomate et ambassadeur à Téhéran. Cet article a été publié dans sa version intiale le 6 mai 2010 (source : http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article3294).