Six questions clés sur le traité budgétaire européen, par Claire Guélaud, Philippe Ricard et Patrick Roger (Le Monde)
Début octobre, le Parlement devrait être saisi du projet de ratification du traité budgétaire européen signé par Nicolas Sarkozy, qui donne lieu à un vif débat politique. Ce traité, négocié en pleine crise de l'euro, pose le principe d'un retour à l'équilibre des finances publiques des Etats de l'euro et impose des trajectoires contraignantes de redressement. Partisans et adversaires du traité s'affrontent sur les effets bénéfiques ou non des dispositions retenues pour la croissance et sur l'abandon ou pas de souveraineté au profit de Bruxelles. Explications en six questions.
•D'où vient le traité ?
Pourquoi le pacte budgétaire, ou TSCG, pour traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'union économique et monétaire ? Il s'agissait de répondre à une double demande de l'Allemagne et de la Banque centrale européenne (BCE). La chancelière allemande, Angela Merkel, a toujours conditionné l'aide aux pays en difficulté à de nouveaux progrès en matière de contrôle des choix budgétaires des Etats de l'euro. De son côté, Mario Draghi, le président de la BCE, avait appelé, fin 2011, à la mise en place d'un "pacte budgétaire", en laissant entendre qu'une telle démarche inciterait l'institut d'émission à agir davantage pour stabiliser l'union monétaire.
De manière générale, le nouveau traité vient surtout compléter les règles déjà en vigueur, un arsenal renforcé au fil de la crise des dettes souveraines. Traité ou pas, le cadre le plus contraignant reste le pacte de stabilité et de croissance, en vigueur depuis la création de l'union monétaire, en 1997. Assoupli en 2005 à l'initiative des Français et des Allemands, il a été durci en 2011, toujours à la demande de Mme Merkel.
C'est sur cette base que la Commission européenne et le conseil des ministres des finances (Ecofin) peuvent d'ores et déjà surveiller la politique budgétaire des Etats de l'Union européenne. Avec un double objectif : plafonner les déficits publics à 3 % du produit intérieur brut (PIB) et l'endettement à 60 % du PIB.
Lors de la dernière refonte de ce pacte, les sanctions pour déficit excessif persistant ont été renforcées. Un "semestre européen" a été mis en place, qui permet à la Commission de donner son avis sur les projets de budget avant leur adoption par les parlements nationaux. Chaque gouvernement doit présenter son projet de loi de finances avant le 15 octobre.
•Quelle "règle d'or" ?
L'article 3 du TSCG indique que les Etats ne doivent pas dépasser un déficit structurel – soit le déficit public hors effets du cycle économique – de 0,5 % du PIB. Cette nouvelle règle, qu'on appelle communément la "règle d'or", doit prendre effet dans le droit national, au plus tard un an après l'entrée en vigueur du traité. Ce, "au moyen de dispositions contraignantes et permanentes, de préférence constitutionnelles, ou dont le plein respect et la stricte observance tout au long des processus budgétaires nationaux sont garantis de quelque autre façon", précise le traité.
Nicolas Sarkozy et François Fillon étaient partisans de faire figurer dans la Constitution le principe d'une loi-cadre de programmation pluriannuelle des finances publiques. François Hollande, après son élection, a saisi le Conseil constitutionnel de la question de savoir si l'autorisation de ratifier le TSCG devait être précédée d'une révision de la Constitution. Celui-ci a estimé que le traité ne comportait pas de clause contraire à la Constitution, permettant ainsi au chef de l'Etat de proposer dans une simple loi organique la transposition en droit national des procédures de surveillance réclamées par le TSCG.
•Quelle ratification en France et en Europe ?
Le projet de loi de ratification du TSCG ainsi que le projet de loi organique sur le pilotage des finances publiques, qui doivent être présentés mercredi 19 septembre en conseil des ministres, devraient venir en discussion à l'Assemblée nationale à partir du 2 octobre. L'examen de ces deux textes sera précédé d'une déclaration préalable du gouvernement sur les "nouvelles perspectives européennes".
Selon nos informations, cette déclaration préalable ne devrait pas être suivie d'un vote. Les deux projets de loi doivent être adoptés dans les deux chambres. Le projet de loi organique sera obligatoirement transmis au Conseil constitutionnel, qui jugera de sa conformité à la Constitution. S'il le valide, la procédure de ratification sera achevée en France.
A ce jour, treize Etats sur vingt-cinq signataires ont ratifié le traité, dont neuf dans la zone euro. Il suffit que douze Etats sur les dix-sept de la zone euro aient ratifié le texte pour qu'il entre en vigueur au 1er janvier 2013. L'Allemagne, l'Espagne, et l'Italie ont conclu, ou presque, la procédure de ratification. Berlin et Madrid ont inscrit dans leur Constitution une règle d'or proche de celle formulée dans le traité budgétaire, à la demande de Mme Merkel. Rome a l'intention de faire de même, mais les discussions se poursuivent en Italie à ce sujet.
La France se refuse à constitutionnaliser la "règle d'or", mais elle n'est pas le seul Etat sur cette ligne : le Danemark, l'Autriche, ou l'Irlande font de même. Un référendum a été organisé en Irlande, le 31 mai. Le oui l'a emporté. Un argument a beaucoup joué pour convaincre les électeurs irlandais : à la demande de l'Allemagne, il a été convenu que le fonds de secours permanent de la zone euro, opérationnel d'ici à octobre, ne pourra bénéficier qu'aux seuls pays ayant ratifié le traité.
•Une perte de souveraineté ?
Dans sa décision du 9 août, le Conseil constitutionnel a considéré que les stipulations du TSCG "reprennent en les renforçant les dispositions mettant en oeuvre l'engagement des Etats membres de l'Union européenne de coordonner leurs politiques économiques", adoptées dans le cadre du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
Ces stipulations "ne procèdent pas à des transferts de compétences en matière de politique économique ou budgétaire, et n'autorisent pas de tels transferts, estime-t-il. Pas plus que les engagements antérieurs de discipline budgétaire, celui de respecter ces nouvelles règles ne porte atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale."
Néanmoins, il n'est pas interdit de se demander si l'introduction de ces règles contraignantes ne comporte pas un risque de porter atteinte à la souveraineté du Parlement. Dès lors que l'équilibre des finances publiques est inscrit dans des dispositions organiques, c'est-à-dire de valeur supérieure aux lois ordinaires dans la hiérarchie des normes, cela ne limite-t-il pas la possibilité des parlementaires – déjà sérieusement encadrée – d'influer sur les politiques budgétaires, au risque de vider le vote des électeurs de son sens ?
•La rigueur imposée ?
Les adversaires du TSCG estiment que ce traité constitue un pas de plus vers une rigueur dépressive économiquement et dévastatrice socialement. Dans la conduite de leur politique économique et budgétaire, les Etats disposeront toutefois de souplesses, certes limitées mais réelles : en cas de circonstances exceptionnelles – une récession sérieuse par exemple –, ils pourront déroger à leur trajectoire de redressement des finances publiques.
Le TSCG donne aussi la possibilité aux Etats, lorsque leur endettement public est sensiblement inférieur à 60 %, d'avoir un déficit structurel relevé au plafond maximum de 1 % du PIB (contre 0, 5 % autrement).
En échange de la non-renégociation du pacte budgétaire, M. Hollande a par ailleurs obtenu un "pacte pour la croissance" qui doit permettre de mobiliser quelque 120 milliards d'euros sur trois ans.
Cette somme représente un peu plus que le montant du budget annuel de l'Union européenne. Elle se décompose comme suit : 55 milliards de fonds structurels redéployés, au profit des régions les moins prospères ; une soixantaine de milliards de prêts supplémentaires de la Banque européenne d'investissement (BEI), grâce à une augmentation de son capital de 10 milliards d'euros, et quelque 5 milliards de project bonds, des obligations destinées à financer des infrastructures.
Seuls les project bonds constituent une véritable nouveauté : ce projet pilote est en train d'être lancé, sous l'égide la BEI, chargée d'identifier les projets susceptibles d'être financés par le biais de cet instrument.
Les différentes idées reprises dans le pacte pour la croissance étaient sur la table avant l'élection de M. Hollande, mais l'insistance de ce dernier a permis de surmonter certains blocages. Ses homologues se sont d'autant plus empressés de répondre à ses vœux, qu'il s'agissait de lui faire renoncer à son projet de "renégociation" du pacte budgétaire.
•Quelles sanctions ?
Lors de la dernière refonte du pacte de stabilité et de croissance, en 2011, les sanctions pour cause de déficit persistant – jamais appliquées avant la crise – ont été renforcées et sont devenues plus automatiques pour les seuls pays de la zone euro. Lorsqu'un Etat présente une situation de déficit excessif, le Conseil peut lui infliger des amendes d'un montant maximal de 0,5 % du PIB.
Par ailleurs, en cas de non-respect de la transposition du TSCG dans le droit national, la Cour de justice européenne, composée de juges non élus, et saisie par l'un des Etats de l'Union, peut infliger des sanctions financières allant jusqu'à 0,1 % du PIB.
Voir le texte officiel du TSCG : 08 - tscg.fr.12
Voir également : Eclairage : Comment le traité budgétaire va s'appliquer en France
Commentaire : il serait imprudent et déraisonnable de n'analyser le contenu de ce traité qu'à la seule aune de la souveraineté budgétaire alors même qu'une telle souveraineté devient factice sous l'effet d'un endettement public excessif qui place non seulement les institutions mais la nation toute entière sous les fourches caudines des marchés obligataires et monétaires ! C'est naturellement dans le cadre beaucoup plus large de l'ensemble des paquets de mesures prises par les institutions européennes (six-pack, two-pack, semestre européen, possibilité de prêts massifs à des taux appropriés aux banques et de rachat des obligations d'Etat sur les marchés secondaires par la BCE, FESF, MES, supervision bancaire européenne, convergence des politiques fiscales...) qu'il faut envisager la question de la pertinence d'un tel traité ! (cf. notamment à cet égard UEM: les questions de long terme sont des questions urgentes (Synthèse de séminaire - Notre Europe) ; Feu vert global pour une ratification par l'Allemagne du TCSG et du MES, sous conditions néanmoins pour la mise en oeuvre de ces instruments ; Retour sur le plan conditionnel de rachat de dette publique par la BCE ; La dette publique toujours en hausse au sein de l'Union européenne, malgré les efforts de consolidation ; Accordons la licence bancaire au FESF et au MES pour redonner à la puissance publique la souveraineté qu'elle a perdue ! ; Herman Van Rompuy expose son plan d'avenir pour l'Europe ; A tale of three trilemmas, by Dominique Strauss-Kahn (Cambridge Union Society (UK) – March 9, 2012) ; Un vrai budget pour l'Europe ? par Alain Lamassoure - nouvelle édition -)