Une présence française jugée de plus en plus pesante, par Isabelle Mandraud (Le Monde)
Sur les pancartes, un nom : Veolia. Depuis le début du Mouvement du 20-Février au Maroc, le puissant groupe français, implanté dans le domaine du traitement et de la distribution de l'eau, s'est trouvé associé aux revendications réclamant plus de justice, la fin de la corruption ou une monarchie parlementaire, comme le symbole d'une présence française jugée de plus en plus pesante.
En tête, et de loin, des investissements étrangers au Maroc, la France est accusée par les protestataires de soutenir sans réserve le royaume chérifien pour préserver ses intérêts, voire même d'avoir influé sur les réformes décidées par Mohammed VI. Une vidéo de l'ambassadeur de France à Rabat, Bruno Joubert, diffusée sur le site du Quai d'Orsay, a ainsi été abondamment commentée sur les réseaux sociaux et blogs marocains. Invité, comme de nombreux autres diplomates, à s'exprimer sur le " printemps arabe " dans le cadre de la rituelle réunion des ambassadeurs qui s'est tenue à Paris du 31 août au 2 septembre, M. Joubert déclarait à propos de " l'exception marocaine " : " On a un Maroc qui a senti le vent du changement (...) et ce vent a produit ses effets. " Alors qu'ailleurs, ajoutait-il, la contestation " a déchiré la voile, là on a su hisser la voile pour pousser le navire un peu plus au nord ".
" Ce qui s'est passé en Tunisie n'a pas servi de leçon, la France ne comprend rien aux aspirations des sociétés arabes, sauf quand il s'agit de défendre ses intérêts ! ", fulimne un jeune internaute. Le compte rendu, sur le site du ministère de la justice marocain, de la visite du secrétaire d'Etat David Douillet, le 21 septembre, a fourni un autre motif de débat. " Les investisseurs français font l'objet d'un traitement particulier sur le plan judiciaire pour accroîre leur confiance en la justice ", pouvait-on y lire, entraînant une nouvelle salve de critiques indignées sur Internet.
Mais c'est encore l'inauguration de la première ligne de TGV au Maroc, en présence, jeudi 29 septembre, du président français, Nicolas Sarkozy, et le coût du projet, évalué à 33 milliards de dirhams (3 milliards d'euros), qui déclenchent le plus de réactions. " La gabegie continue ", s'offusque sur son blog Omar El-Hyani, en dénonçant " des projets tombés d'en haut ". " Votre inauguration du du TGV sera perçue comme un racket économique ", fustige le site Larbi.org.
" Parrainage de l'Elysée "
Pour Maaelaynine Chbihna Elabadila, consultant en informatique et militant du Mouvement du 20-Février, " cette proximité française ne s'arrête pas à l'économique mais s'étend au politique avec le parrainage de l'Elysée sur la réforme constitutionnelle ". " Quand j'entends, ajoute-t-il, M. l'ambassadeur de France parlant de l'exception et du modèle marocains pour le " printemps arabe ", j'entends autrechose : le Maroc est la première colonie française low cost. " Le rejet de l'influence française paraît, ici, croissant dans un contexte social difficile où les priorités paraissent autres.
" A l'évidence, constate l'économiste Fouad Abdelmoummi, le fait que la parole se libère au Maroc et que le mur de la peur soit tombé permet ce genre de débat : le TGV, qui est passé sans appel d'offres, sans justification sociale ni économique, est vécu comme une situation de surexploitation et de corruption. "