Union européenne : Différenciation : attention Danger !
La Communauté
originelle était fondée sur deux principes fondamentaux complémentaires :
- l'égalité de traitement de tous les Etats membres
- l'uniformité du droit qui leur est applicable.
L'accent était mis avant tout sur la nécessaire unité de peuples "longtemps opposés par des divisions sanglantes" et sur la résolution de "substituer aux rivalités séculaires une fusion des intérêts essentiels".
De l'unité à la diversité
Au fil des ans, des Traités et des élargissements successifs est apparue une autre exigence dictée par l'évolution des esprits aussi bien que par l'hétérogénéité croissante du groupe : celle de
respecter la diversité des peuples et de leurs cultures.
En choisissant pour devise - dans le projet de Constitution de l'Union de 2003 - les mots "Unité dans la diversité" , la Convention avait voulu signifier que l'Union ne
visait pas à uniformiser le cadre politique, économique , social et culturel dans lequel vivent les citoyens européens nationaux des 25 Etats membres - mais qu'au contraire "l'Union respecte
l'égalité des Etats membres devant la Constitution ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles y compris en ce
qui concerne l'autonomie locale et régionale . Elle respecte les fonctions essentielles de l'Etat (etc ...)" (formule reprise du Traité de Maastricht).
Une difficile conciliation
Mais sans doute la Constitution sous-estimait-elle la difficulté qu'il y aurait - dans la vie réelle d'une Union en route vers une trentaine de membres - à concilier les deux principes d'unité et de diversité (cf. à cet égard l'article intitulé Fatigue institutionnelle et fatigue de
l'élargissement - ou le dilemme unité/diversité).
Comment faire pour que l'Union puisse "franchir des étapes ultérieures pour faire progresser l'intégration européenne" (Préambule du TUE)
- tout en garantissant l'unité et la solidarité du groupe,
- et en tenant compte de la diversité des capacités ou des volontés politiques de ses membres ?
La nécessaire coexistence de ces deux règles d'or alimente les réflexions des Institutions et des Etats au moins depuis une quinzaine d’années. Quelles procédures politiques et
juridiques peuvent permettre à l'Union de progresser en dépit de l'incapacité (ou parfois du refus) de certains Etats de suivre le train - sans pour autant compromettre la cohésion et la
solidarité de l'ensemble ?
Ajoutons d'ailleurs que la nécessité de "progresser" a souvent résulté - non d'une détermination fédéraliste doctrinale - mais plus prosaïquement du processus fonctionnaliste d'engrenage
lui-même, fait de déséquilibres dynamiques où un "progrès" en entraine forcément un autre, comme l'union monétaire contient en germe et implique, tôt ou tard, l'union économique.
Différents concepts et formules
Différents concepts ont été proposés , bien connus des lecteurs et dont il suffira d'énumérer ici les appellations : Europe "à plusieurs vitesses", "à géométrie variable " ou "à
la carte" - "cercles concentriques" ou "anneaux olympiques" - "noyau dur", "groupe pionnier" ou "avant garde" ...
Et différentes formules ont été effectivement mises en place dont on ne citera ici que les principales (qui se déclinent elles mêmes en plusieurs variantes) :
- la fixation d'étapes au sein d'une politique commune (cf. UEM)
- les "coopérations renforcées"
- le démarrage hors Traité de certaines politiques communes (Schengen )
- les dérogations ou "opt out" (cf. Charte des droits fondamentaux) , etc...
Deux cas d'école et d'actualité
Les difficultés de mise en oeuvre de cette "intégration différenciée" sont redevenues d'actualité à l'occasion du débat sur l'union économique (et sans doute dans la perspective
d'un nouvel élargissement important de l'UE) - mais aussi, de façon moins spectaculaire , dans le contexte de l'évolution de la politique commune en matière de justice et d'affaires
intérieures.
Dans ce deuxième cas, les Institutions viennent de décider - après beaucoup d'hésitation - de mettre en route pour la première fois depuis que ce dispositif existe (Traité d'Amsterdam de 1997) la
procédure de coopération renforcée pour l'adoption d'un règlement relatif aux divorces de couples européens (cf. l'article intitulé Union européenne : la procédure de coopération renforcée fait
ses premiers pas).
Dans le premier cas, celui de l'UEM - les décisions récentes et "ad hoc" du Conseil européen ont pour effet de limiter la différenciation entre les 16 Etats membres de
l'Euro et les onze autres - mais en laissant subsister des imbrications assez complexes et sans doute provisoires dont la sécurité juridique apparait d'ailleurs toute relative.
Ne pas sous estimer les risques
C'est qu'il n'est pas aisé d'assurer dans ce domaine - comme dans les autres - la préservation simultanée de l'unité et de la diversité. Les partisans de la différenciation (à
juste titre parfois excédés par les atermoiements de certains Etats récalcitrants et récidivistes) sous estiment sans doute les risques qu'elle implique.
On se limitera ici à les citer dans le désordre sans les développer :
- la complexité et l'illisibilité juridiques et fonctionnelles,
- la mise en cause de la méthode communautaire,
- l'affaiblissement du contrôle démocratique,
- la rupture du marché intérieur,
- la rupture de l'égalité et de la solidarité entre les Etats et entre les citoyens européens,
- l'affaiblissement du sentiment de communauté de destin,
- la constitution de blocs politiques et/ou géographiques au sein même de l'Union.
La mise en œuvre de la "dévolution" et de la différenciation au sein d'un Etat fédéral historiquement établi est une expérience bien connue qui a fait l'objet de toute une gamme
de recettes éprouvées . Mais il n'en va pas de même pour un ensemble en voie de constitution comme l'UE où les attaches centrifuges sont anciennes et dominantes et les
forces centripètes nouvelles et fragiles.
Tout cela pour dire que la différenciation au sein de l'Union est un exercice qui exige beaucoup de prudence et de circonspection.
Vers un nouveau modèle d'intégration ?
Peut-être faudra-t-il repenser un modèle nouveau de néo-fédéralisme où co-existeront une structure pyramidale classique et d’autres, plus modernes, en forme de "réseaux"
horizontaux.
A cet égard, le développement assez empirique de l'Europe de la défense avec ses multiples combinaisons de commandements, de types de structures militaires ou policières "à la
carte", constitue une expérience in vitro séduisante mais encore guère convaincante sur le terrain. Il sera également intéressant de voir comment se développera la coopération renforcée pré-citée
en matière de divorce - en particulier comment s'articuleront les décisions d'application partagées par un Conseil ne représentant plus que seize Etats et un Parlement
représentant toujours les vingt sept ...
La prudence de Madame Merkel
Encore une fois une grande prudence doit être de mise dans ce domaine, vu la fragilité d'une Union par ailleurs toujours en voie d'extension géographique. Il est dommage que
l'échec du concept de "Constitution" ait empêché l'Europe d'assurer ses arrières avant de se lancer dans l'exercice incontournable de la diversification.
Devant tant d’incertitude, il est heureux que certains Etats membres - dont l'Allemagne d'Angela Merkel - aient fermement rappelé l'exigence du maintien de la cohésion des vingt sept Etats
membres dans l'élaboration d'une union économique. A cet égard la Commission aussi, gardienne des Traités, a jusqu'ici privilégié la cohésion de l'ensemble en se montrant plutôt
circonspecte vis à vis de certains "avant gardistes" ...
NDLR Regards-citoyens : cette prudence se manifeste également sur le registre de la politique de sécurité et de défense commune qui fut jusqu'à peu l'objet d'un débat très vif entre les artisans d'une avant-garde consacrée dans une Union européenne de sécurité et de défense (cf. l'article intitulé L'Union européenne de sécurité et de défense : un projet politique porté disparu !) et ceux d'une approche résolument inclusive, et qui aujourd'hui voit évoluer les tenants historiques de la première posture vers la posture des seconds, y compris dans la mise en oeuvre de la coopération structurée permanente (cf. à cet égard l'article intitulé Coopération structurée permanente / Politique européenne des capacités et de l'armement : plan d'action pour un passage à la vitesse supérieure ! et la page à laquelle il renvoie Coopération structurée permanente / Politique européenne des capacités et de l'armement : plan d'action pour un passage à la vitesse supérieure !).