Ce blog est destiné à stimuler l'intérêt du lecteur pour des questions de société auxquelles tout citoyen doit être en mesure d'apporter des réponses, individuelles ou collectives, en conscience et en responsabilité !
26 Juillet 2012
Si l'on en croit les nombreux eurobaromètres réalisés depuis une dizaine d'années, une très large majorité de
citoyens européens semblent vouloir une autre Europe ! Comme le déplorent depuis plusieurs années des personnalités politiques de l'envergure de Jacques Delors, de Guy Verhostadt, de Jo
Leinen ou de Daniel Cohn-Bendit, l'Europe qu'on leur propose aujourd'hui n'est pas celle qui est la mieux à même ni de répondre à leurs aspirations ni de faire face avec l'efficacité
qu'ils en attendent aux défis d'un XXIème siècle soumis aux dynamiques aussi complexes que traumatisantes d'une globalisation stratégique poussée à son paroxysme.
Qui a voulu et bâti cette Europe là ?
Outre les puissants groupes d'intérêts économiques et sociaux et les 'obédiences' nationales de tout poil qui agissent en lobbies organisés auprès de l'ensemble des institutions
européennes sans apporter la preuve de leur engagement au service de l'intérêt général et des choix collectifs européens, ce sont bien les chefs d'Etat et de gouvernement,
les membres des gouvernements, leurs administrations et les groupes parlementaires européens majoritaires qui ont entériné les choix de la Commission européenne ainsi que sa
stratégie politique, et approuvé l'ensemble des textes qui régissent le fonctionnement de l'Union européenne, de son économie, de son marché intérieur, de son commerce extérieur,
etc. .
Ce sont eux qui ont participé à créer progressivement les conditions macroéconomiques et structurelles qui ont permis à un capitalisme spéculatif débridé et à un libre échange effréné de
s'instaurer en modèle unique d'une économie mondiale libérée de toute tutelle politique véritable.
Ce sont encore eux qui, lors des conférences intergouvernementales dédiées aux réformes des traités, ont interdit les avancées institutionnelles indispensables pour qu'émerge une dynamique
politique véritablement à même de faire de l'Union européenne cet acteur global capable d'opposer des réponses globales aux défis qui l'exigent en même temps que ce grand pôle régional
de stabilité, de sécurité, de démocratie, de prospérité et d'influence souhaités par des populations qui ne reconnaissant plus aux Etats-nations la capacité d'assurer seuls les
missions régaliennes et politiques qui leur incombent en vertu des constitutions et autres lois fondamentales nationales.
Les débats publics engagés à l'occasion des dernières élections européennes ont révélé la pauvreté de leurs arguments face à ceux, accablants, de leurs opposants, eurosceptiques
déclarés, qui revêtent une acuité et une force bien plus grande au regard des constats que tout un chacun est en mesure de dresser aujourd'hui, que ce soit sur l'état de son propre
Pays ou sur celui de l'Union elle-même dans un monde en proie aux vicissitudes et aux turpitudes de sa machine infernale : cette globalisation généralisée qu'aucun Etat, qu'aucun
groupe d'Etats (pas plus le G20 que les G7 ou G8) et qu'aucune organisation internationale ne semblent en mesure de réguler !
La recherche de conditions durables d'une véritable dynamique internationale garante de la stabilité et de la sécurité au niveau international doit plus que jamais prendre le pas sur toute
ambition hégémonique par nature porteuse de tensions et de crises sans fin ; l'insécurité - sous toutes ses formes - ne peut demeurer encore longtemps ce moteur de l'économie internationale
qu'elle l'est devenue aujourd'hui (cf. De l'économie de l'insécurité !
) !
Pourquoi laisse-t-on les Européens aussi démunis face à une situation qui met en péril leur projet politique collectif autant que leurs valeurs communes ?
La situation des Etats membres comme celle de l'Union dans son unité face à la gravité des crises induites par cette insécurité permanente, et entretenue, sont telles qu'elles imposent un profond sursaut européen.
Pour Jean-Louis Quermonne - comme pour moi-même -, trois défis se présentent principalement à l'Union européenne pour qu'elle devienne une authentique Union politique : ceux de son financement, ceux de ses frontières et ceux de sa différenciation, susceptible de justifier l'établissement de coopérations renforcées. (cf. Les trois principaux défis qui se présentent à l'Union européenne pour qu'elle devienne une authentique Union politique, selon Jean-Louis Quermonne). Ce qui impose de repenser en profondeur l'Union et son projet politique ! Et de redonner aux institutions communautaires le souffle et la vitalité qui lui font aujourd'hui cruellement défaut (cf. à cet égard L'Union européenne cède à toutes les exigences des Etats-Unis, même à celles qui sont contraires à ses principes les plus fondamentaux ainsi que La place de la réforme Kinnock dans le rétrécissement du rôle de la Commission européenne au sein de l'Union) !
Concernant le financement de l'Union à l'aide de ressources propres, on ne saurait passer sous silence l'insuffisance des moyens budgétaires mis à disposition de l'Union par ses Etats-membres à hauteur de 1% de leur PIB, alors que dans les Etats fédéraux, le pourcentage atteint et dépasse généralement 15 %. En outre, sans compter l'anomalie du 'chèque britannique', la situation actuelle qui tend à opposer les Etats en position de 'contributeurs nets' à ceux qui tirent de leur participation à l'Union des avantages devenus injustifiés, impose une réforme d'ensemble. D'où un premier défi à relever qui devrait tendre à la création d'une fiscalité européenne. Or, sans connaître l'ampleur de celle des Etats et sans accroître la pression fiscale sur les citoyens et les entreprises, elle devrait répondre aux diverses missions de l'Union et mettre un terme à la compétition entre les Etats. Aussi, sachant la difficulté à promouvoir en ce domaine une réforme adéquate, quelques économistes suggèrent-ils de commencer par la création d'un " budget zone euro ". Ce budget distinct de celui de l'Union européenne, écrivent Eloi Laurent et Jacques Le Cacheux, " pourrait être financé par un impôt commun - impôt européen sur les bénéfices des sociétés, par exemple ; comme le proposait le rapport Mac-Dougall, il permettrait une plus grande solidarité financière de fait entre les pays participants à la monnaie unique et servirait à la fois à la fournitures de 'biens publics' et à la stabilisation conjoncturelle de la zone euro toute entière, facilitant ainsi l'émergence d'un vériatble policy mix macroéconomique ". (cf. Eloi Laurent et Jacques La Cacheux, in "Comment le traité de Rome peut à nouveau sauver l'Europe", Lettre de l'Observatoire français des conjonctures économiques, n° 283, 19 mars 2007).
Un second défi, d'ordre géopolitique, a trait à la question des frontières de l'Europe. Certes l'Union européenne n'a jamais prétendu monopoliser l'appartenance à son continent. Et la Russie, par exemple, dans sa partie occidentale, sera toujours une zone de culture européenne sans être membre de l'Union. Mais il n'empêche que l'attraction du 'modèle européen' continue à s'exercer en direction de l'Est et du Caucase. Or, à la question déjà difficile de la candidature de la Turquie vient s'ajouter aujourd'hui celle de l'Ukraine, de la Moldavie et de certains pays caucasiens. Sans entrer dans l'évaluation des mérites de chacun, il importe de souligner le fait nouveau que constitue la concurrence, voire même la contradiction, survenue entre les candidatures des Etats à l'Union européenne et à l'OTAN. Tandis que celles-ci ont pu apparaître complémentaires au lendemain de la chute du rideau de fer, elles pourraient devenir antagonistes si, sous l'influence de l'administration américaine soutenue par quelques pays issus du bloc soviétique, l'OTAN devait se trouver en situation conflictuelle avec la Russie.
Ce risque placerait l'Union européenne en grave difficulté, dans la mesure où ses relations économiques avec son grand voisin, et plus particulièrement sa dépendance en matière énergétique, impliquent la consolidation d'un partenariat entre l'Union européenne et cet immense pays, que ses efforts pour retrouver sa place parmi les 'grands' amènent parfois à recourir à la force. Là réside, par conséquent, un véritablke défi lancé à la politique extérieure de l'Union, qui implique sa mutation en puissance politique, ne serait-ce que pour marquer sa distance par rapport aux prétentions d'un OTAN dirigé par les Etats-Unis. Or, contrairement aux allégations faciles ramenées à la question : " l'Europe, combien de divisions ? ", il importe de savoir que la puissance de l'Europe tient au fait que la Russie a besoin pour son développement économique de son concours technologique, ce dont sont particulièrement conscients l'Allemagne, la France et l'Italie. Or cet atout européen doit pouvoir permettre de former un vrai partenariat entre l'Union européenne et la Russie, capable d'assurer aux pays du Caucase une plus grande stabilité politique qu'une adhésion à l'OTAN qui risquerait, comme l'a montré la guerre en Géorgie, d'être ou factice ou génératrice d'une " deuxième guerre froide " (cf. Daniel Vernet in "La Géorgie, et au-delà", Chronique, Le Monde, 10 septembre 2008, p.2). L'enjeu est donc de taille et il obligera l'Union d'y répondre d'une seule voix, sauf à mettre en cause sa cohésion et sa performance diplomatique.
Ce faisant, un troisième grand défi est lancé à l'Union européenne par la diversification provoquée par son élargissement ; un défi qui impose de revoir sans tabou le système de gouvernance actuel de l'Union européenne, laquelle sort profondément affaiblie des expériences nombreuses qui ont produit tant de résultats médiocres, que ce soit au sein de l'Union européenne dans les domaines non communautarisés ou ceux qui, bien que communautarisés, ont été soumis à une procédure législative spéciale maintenant le principe du vote à l'unanimité au sein du Conseil, tant la très grande variété, la complexité et le caractère souvent systémique des risques globaux rend de plus en plus inexorablement inopérantes les stratégies et politiques nationales proposées pour les contenir autant que leur juxtaposition ou leur coordination !
Alors que les autres piliers de son action extérieure présentent des atouts considérables, l'Union européenne pêche encore sur le registre de la politique étrangère et de sécurité commune. Le monde entier le constate tous les jours : à l'exception de déclarations souvent déclamatoires, d'interventions diplomatiques dont nul ne parvient à percevoir les impacts concrets sur les grands dysfonctionnements régionaux ou mondiaux, et d'opérations extérieures, trop rarement évaluées, qui confinent parfois, trop souvent, à de la gesticulation aussi onéreuse pour les nations que peu efficace sur le terrain, la Politique étrangère et de sécurité commune - PESC - de l'Union se cherche encore une dynamique stratégique à la mesure des ambitions affichées par les traités et confirmées de manière récurrente, sans pour autant produire les impulsions nécessaires, par les institutions européennes compétentes en pareille matière, au premier rang desquelles se trouve le Conseil européen, dépositaire par nature des objectifs et intérêts stratégiques de l'Union. A 27+, l'Union ne parvient pas esquisser une politique étrangère commune porteuse de ces ambitions ! Et que dire de la Politique de sécurité et de défense commune - PSDC - qui en relève ?
Il ne saurait certes être question de faire évoluer l'intégration européenne dans le sens d'une Europe à deux vitesses, surtout en politique étrangère - et si des opting out peuvent s'expliquer, ils ne devront jamais conduire vers une Europe à la carte. Mais l'ampleur atteinte aujourd'hui par l'espace de l'Union doit justifier le fait que certains Etats ne sont pas empêchés par d'autres d'aller plus loin et plus vite. D'où l'institution de coopérations renforcées autorisées par le traité d'Amsterdam et rendues plus aisées par ceux de Nice et de Lisbonne. Or, il semble que leur mise en oeuvre, restée jusqu'à présent informelle, puisse se justifier dans les prochaines années et plus particulièrement en ce qui concerne l'Eurogroupe. Car, comme l'écrit Jean-Pierre Jouyet à la suite de la crise financière que traverse le monde, " devant cet ébranlement, l'Europe doit se préparer à repenser son modèle économique et la place qu'elle entend accorder à la sphère financière ... Et sans la diplomatie de l'euro que je défends, les Européens se privent de tous les avantages que peut leur procurer une devise qui est déjà la deuxième monnaie de réserve mondiale ... Et sans une gouvernance économique et financière forte, les Européens ne pourront pas gérer efficacement les crises " (cf. Jean-Pierre Jouyet in "L'Europe face à la crise financière", Le Monde, 20 septembre 2008, p.20) - il en sera sans doute de même demain en ce qui concerne la coopération structurée en matière de défense (cf. Mettons en oeuvre une coopération renforcée dans le domaine de la Politique étrangère et de sécurité commune de l'UE, condition sine qua non de l'établissement de la coopération structurée )
Dans l'un comme dans l'autre cas, la structure établie devra être ouverte à l'ensemble des Etats ayant la volonté et la capacité d'y adhérer. Car l'idéal à préserver sera toujours celui de l'unité. Mais il se peut que pour l'atteindre, il faille recourir à des coopérations renforcées conformes aux dispositions des traités, qui constitueront autant d'avant-gardes ouvertes aux pays maintenus provisoirement en position d'arrière-garde (cf. Les contraintes juridiques et institutionnelles de la procédure d'institution d'une Coopération renforcée au sein de l'Union européenne ). Demeurera alors la question de l'affectio societatis qui, par-delà les " Etats et leurs gouvernements, devrat interpeller les peuples, et à laquelle, sans doute de manière prématurée, avait cherché à répondre le traité établissant une Constitution pour l'Europe."
En raison de cette diversification, là où elle est aujourd'hui utilisée, la méthode communautaire elle-même ne produit pas toujours les résultats que l'on en attend ! D'autres formes de gouvernance sont devenues indispensables non seulement pour que l'Union redevienne une véritable puissance normative (L'Union européenne est-elle encore une puissance normative crédible ? ainsi que La gouvernance de l’UE à l’épreuve des économies émergentes, par Elvire Fabry (Notre Europe)) dotée d'une stratégie véritablement globale (Penser la stratégie signifie aujourd'hui penser et agir de manière à la fois globale et systémique), mais aussi pour que le monde ne sombre pas à nouveau dans le chaos, d'autant plus que la multipolarité est désormais ouvertement à l'oeuvre sous sa forme la plus complexe à l'heure de l'interdépendance : celle de l'interpolarité (Le monde interpolaire : un nouveau scenario ! (recension d'un ouvrage de Giovanni Grevi)) et qu'une cyberguerre semble opérer dans le silence le plus hypocrite et irresponsablesdes observateurs ( La cyberguerre est déclarée, par Pascal Lorot (Le Nouvel Economiste)).
Vouloir bâtir une Europe politique exige non seulement de reconnaître quelle est sa famille européenne mais aussi de prendre toute la mesure de ce qu'emportent en exigences et en promesses le but même de l'Union européenne (But de l'Union européenne !), la finalité première de sa politique économique et monétaire (cf. notamment Retour sur images : Rapport pour le Congrès de La Haye du 9 mai 1998 préparé par le Comité d'initiative du Mouvement Européen International - (Février 1998) (1998)) comme celle de sa politique étrangère (De la finalité première de l'action de l'Union européenne sur la scène internationale !) au-delà des sympathies, des pratiques ... et des réflexes " corporatistes " !
« Vous ne sauriez croire avec quelle facilité l’impossible se fait dès qu’il est nécessaire »
(Anatole France)
Voir également sur ce sujet :
* Le texte de la Déclaration Schuman - 9 mai 1950 -
* 'De Gaulle & Jean Monnet face à l'Europe' de Aloys Rigaut
* Saut fédéral ou unions politiques ? par Yves Bertoncini (Notre Europe)
* Union politique / La réforme de 2014 - Catalogue pour un débat
* Jusqu'à quel niveau d'intégration l'agenda transatlantique nous entraînera-t-il, sans aucun débat démocratique ? et les articles auxquels il renvoie