Erasme
Pour mieux comprendre les motivations qui ont présidé au choix d'Erasme pour ma signature au bas de mes articles,
je vous invite à prendre connaissance des informations relatives au personnage d'Erasme qui figurent sur le site www.publius-historicus.com/erasme.htm et qui sont reproduites ci-dessous !
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Erasme
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Plan :
1- Formation d'un humaniste chrétien
(1466-1504)
2- Citoyen du monde
(1504-1517)
3- Dans la tourmente :
Luther/Erasme (1517-1529)
4- Le retrait du monde
(1529-1536)
1- Formation d'un humaniste chrétien
(1466-1504)
Figure majeure de l'humanisme chrétien, Erasme fut cet inlassable
défenseur des libertés, militant de la paix et porteur d'une vision de l'Europe de la culture qu'il tenta vainement d'imposer dans un contexte marqué par le bellicisme et les troubles
réformistes.
"Desiderius Erasmus Roterodamus" est probablement né en 1466
[1] des amours d'un prêtre et d'une fille de médecin. Enfant chétif et d'une sensibilité maladive, il endure difficilement des premières années d'études pieuses et disciplinaires.
L'éveil de sa soif de connaissances coïncide avec son passage à l'école des frères de la Vie commune de Deventer (1478-1483). Ce lieu de l'humanisme hollandais naissant fournit à Erasme ses
premiers contacts avec des textes de l'antiquité païenne.
Cette première période d'épanouissement relatif s'interrompt brutalement : les ravages de la pestes emportent en quelques mois ses parents. C'est contre
sa volonté que ses tuteurs désireux de le voir poursuivre une vie religieuse le placent à l'école de Bois-le-Duc (1483-1486) puis auprès des chanoines augustins (1487-1492) de Steyn où il
prononcera ses voeux (1488). S'il continue de subir avec une exaspération croissante les désagréments d'une existence ascétique rythmée par divers châtiments corporels ; il fait l'expérience de
deux échappatoires fondamentaux qui lui permettent de desserrer l'étau de sa solitude : l'amour des grands auteurs païens et l'amitié.
L'imposante et éclectique bibliothèque de Steyn est un véritable trésor où Erasme vient puiser avec émerveillement les plus fins joyaux de l'antiquité
païenne. Il dévore Térence Juvénal, Ovide, Cicéron, Virgile, Horace, mais aussi quelques auteurs modernes tels que Valla, Le Pogge, Phidelphe. De cette période date son aversion pour la
scolastique trop étroite qui dédaigne tous ces auteurs païens qui donnent à Erasme le goût de la poésie, le sens du style, l'amour de la pensée fine et subtile.
L'amitié offre au jeune bâtard sevré d'amour depuis la disparition précoce de ses parents un objet rêvé dans lequel il peut déverser un trop plein
d'affection trop longtemps contenu. Il découvre les joies de la correspondance où se mêlent le goût du badinage frivole et léger, les réflexions grâves, l'ivresse de l'épanchement et
l'émerveillement du
partage des passions communes. Ce plaisir de l'échange épistolaire le poursuivra toute sa vie [2].
Ordonné prêtre le 25 avril 1492 ; de bonnes recommendations lui permettent d'occuper le poste de secrétaire de l'évêque de Cambrai Henri de Berghes
(1492-1494). Il met à profit ce court épisode de sa vie pour observer attentivement la vie dissolue et mesquine menée par la noblesse de cour. Parallèlement, il approfondit ses critiques à
l'égard de la glose scolastique en se frottant à la Doctrine chrétienne de Saint-Augustin.
Sur le conseil de son entourage et grâce au consentement de son évêque, Erasme va suivre des cours de théologie à Paris en vue d'obtenir le doctorat
(1495-1499). La première année passée au collège de Montaigu [3] est vécue dans l'accablement de ses retrouvailles moroses avec une vie monastique, des structures sclérosées et une
insalubrité patente. Les quelques cours qu'il suit à la Sorbonne où règne en maîtresse despotique la puissance scolastique achèvent de nourrir sa critique des tares de l'enseignement
universitaire.
Sa révolte contre la discipline et la souveraineté de la scolastique l'incite à gagner sa vie grâce au préceptorat. Ce choix de la liberté et de
l'indépendance d'esprit lui fait rencontrer le poète Andrelini, le savant Robert Gaguin et le célèbre humaniste Lefèvre d'Etaples. Ses leçons de latin lui inspirent de profondes réflexions sur la
nécessité d'une nouvelle pédagogie.
Si les années parisiennes voient germer dans l'esprit fertile d'Erasme une multitude de projets d'envergure, ce seront les mois passés en Angleterre (mai
1499-janv. 1500) qui s'avèreront décisifs. Invité par l'un de ses élèves (Lord Mountjoy) à Londres puis Oxford ; il est reçu dans un climat de chaleureuse confiance par les plus grands exegètes
modernes avec qui il a des débats cordiaux et constructifs. Il se lie d'amitié avec Thomas More et avec l'illustre théologien Colet qui lui fait découvrir le platonisme de Marsile Ficin (une
influence capitale pour l'évolution spirituelle d'Erasme).
Les longues années de la maturation sont achevées. A son retour à Paris, Erasme est un fruit mur dont le jus peut désormais se répendre généreusement sur
le papier. En quelques années, Erasme fait d'audacieuses et victorieuses incursions en pédagogie (Adages 1500. Présentation de la culture antique
aux élèves à travers des proverbes et citations commentés et replacés dans l'histoire de la pensée et de la langue), en philologie (Les Offices de
Cicéron 1501), en politique (Panégyrique de Philippe-le-Beau 1504, éloge de l'archiduc où s'esquisse le portrait du prince idéal,
c'est-à-dire pacifiste). Mais c'est en théologie avec son Manuel du soldat chrétien (1504) qu'Erasme devient une figure de proue de
l'humanisme. L'exposé des préceptes pour vivre chrétiennement est un véritable bréviaire évangélique
où se trouve célébré le retour à la bible et à ses sources. La jonction de la critique humaniste et de la théologie chrétienne est en marche et Erasme est son prophète.
2- Citoyen du monde (1504-1517)
Sa notoriété nouvelle fait d'Erasme le point de convergence de toutes les solicitations des grands d'Europe. Mais Erasme défend rigoureusement ce qui constitue ses plus grandes richesses :
l'indépendance d'esprit et la liberté de mouvement. Refusant de s'inféoder à une personne, un pays ou un mouvement, Erasme illustre brillamment l'humaniste chrétien qui se reconnaît pour seule
patrie celle des belles lettres et de la foi chrétienne. Il se donne à tous mais n'appartient à personne. Aussi le voit-on parcourir une partie de l'Europe ; découvrant l'Italie (1406-1409),
séjournant à plusieurs reprises au Pays-Bas (1504 et 1514-1517) et en Angleterre (1505-1506 et 1509-1514), revenant à l'occasion en France ou en Suisse.
Ce cheminement d'un homme libre est parsemé de rencontres enrichissantes et stimulantes : l'illustre imprimeur Alde Manuce, les érudits bizantins
Aléandre, Musurus Ascaris, le cardinal Jean de Médicis (le futur pape Léon X), les humanistes et théologiens Jérôme Donato, Guillaume
Budé, L. Vives, Mélanchthon... Toutes ses
confrontations saines avec les plus grands esprits nourrissent prodigieusement sa pensée, l'obligent inlassablement à préciser et approfondir ses réflexions les plus délicates. Son style gagne en
simplicité, en puissace persuasive. Ses activités sont multiples et ses projets aussi diversifiés qu'ambitieux. Les publications à succès de manuels scolaires, de traductions latines d'auteurs
grecs, de réflexions théologiques se succèdent à un rythme effréné.
Cette période de productivité intellectuelle intense voit l'humanisme chrétien d'Erasme prendre sa forme définitive. Ce que les générations suivantes
nommeront "Erasmisme" est illustré à travers trois oeuvres majeures incarnant les trois grands combats d'Erasme. Sa version latine du Nouveau
testament et des oeuvres de Saint Jérome (1516) traduit son soucis d'un dépoussiérage de la théologie par le recours au plumeau
philologique : l'étude des sources grecques et hébraïques afin de restituer le message chrétien débarrassées des impuretés scolastiques. Son Education du Prince (1516) adressée à Charles Quint développe son souhait d'un prince partisan de la paix et abreuvé de belles lettres
antiques. Enfin, sa complainte de la paix persécutée (1517) caractérise son obsession d'une concorde universelle.
Paix, piété, belles lettres. Les trois traits majeurs de la pensée érasmienne fusionnent magistralement dans l'insolite Eloge à la Folie (1511) qui deviendra au fil
des siècles l'oeuvre la plus connue. Revêtant astucieusement le masque du bouffon, Erasme prononce un féroce réquisitoire contre les abus de toute sorte et les déviations de l'Eglise. Derrière la
farce se trouve énoncé avec vigueur une invitation à retrouver un christianisme authentique soucieux de paix et compatible avec l'esprit des grands auteurs de l'antiquité païenne.
Lorsqu'en 1517, il prend en main les destinées du collège des trois langues de Louvain (promotion du latin, grec, hébreux), Erasme est à son apogée
[4] et rêve d'une Europe réconciliée avec elle-même. Les succès de ses oeuvres, efficacement diffusées par un puissant réseau "érasmien" depuis son centre névralgique de Bâle
(l'imprimerie de son ami Forben) entretiennent cet espoir...
Les tensions entre pays et les convulsions réformistes qui vont secouer grâvement toute l'Europe vont mettre à jour les difficultés de la position érasmienne de neutralité (par delà frontières et
dogmatismes).
3- Dans la tourmente : Luther/Erasme
(1517-1529)
L'irruption du bouillant Luther est d'abord accueilli avec bienveillance par Erasme
qui apprécie sa volonté de retour au texte et le rejet de la glose scolastique. Mais il note avec effroi les excès du personnage, sa fougue qui le pousse au rejet de la hiérarchie ecclésiastique
et à la rupture totale avec l'Eglise romaine. Erasme, l'éveilleur des consciences et le promoteur de la paix n'est pas révolté et renacle terriblement devant la perspective du schisme. Il abhorre
tout ce qui divise et sépare les hommes, tout ce qui favorise les discordes et sème le trouble dans les esprits. Mais il ne condamne pas Luther, craignant d'être récupéré à son insu par cette Eglise romaine dont il a toujours critiqué les déviances. Aussi use-t'il de toute sa science de la dérobade
courtoise au cours des correspondances avec les principales figures du réformisme (dont Luther dès 1519) et du
catholicisme qui le somment de sortir de sa réserve. Puis cette position devient impossible. Les catholiques lui reprochent d'avoir permis le réformisme, d'être celui qui a pondu l'oeuf
que Luther a couvé. Les protestants considèrent son refus de s'engager comme une preuve de son obédience à la hiérarchie romaine.
Exaspéré par les fuites d'Erasme, Luther se fourvoie dans des attaques provocatrices. Erasme réagit.
Après avoir gravité sur les hauteurs éthérées de la controverse théologique savante, le débat s'envenime. Le poison de la polémique irrigue le cerveau érasmien, paralyse ses fonctions de
modération, de sagesse. Humain trop humain : l'écume aux lèvres de l'imprécateur Luther contamine Erasme et les deux combattants
s'étripent, trahissant leurs penchants néfastes : susceptibilité, jalousie, "mauvaise foi" (sans jeu de mots !), sous-entendus sournois, hypocrisie voire menaces de représailles. Le choc des
esprits a tourné au choc des caractères.
Les années 1524 et 1525 figent les positions et révèlent toute l'ambiguïté du rapport Humanisme/Réforme. Au Libre-Arbitre (1524) d'Erasme a répondu le serf arbitre (1525) de Luther. Ces deux oeuvres permettent de dresser l'inventaire des désaccords fondamentaux sur la notion de liberté de l'homme par rapport à Dieu, sur les hiérarchies
romaines et la tradition, sur les questions de la grâce et du mérite. Les accords sur les déviances de Rome, l'exégèse moderne, le nécessaire ressourcement de la piété ne suffisent pas à fondre
les deux grands mouvements de la Renaissance en un seul.
La propagation triomphale de la Réfome sonne le glas du
beau rêve érasmien de l'unité spirituelle de l'Europe. Sur un autre front, celui du pascifisme, Erasme connait également l'échec. Ses Paraphrases
(1522-1523) adressées aux quatre grands (Charles Quint, François Ier, Henri VIII et Ferdinand d'Autriche et susceptibles de contrarier par le rappel du message évangélique leurs penchants hégémoniques et belliqueux ne suffisent pas à empêcher les conflits. Dans
la tourmente, Erasme érige de véritables forteresses pour protéger ses oeuvres et son crédo chrétien et humaniste des agressions réformistes et des fureurs des zélateurs du catholicisme romain.
Sa correspondance n'est quasiment plus que controverses avec le Français Lefèvre d'Etaples, l'Anglais Lee, l'Espagnol Stuniga ou l'Italien Alberto Pio.
Cramponné à son idéal qui est toute sa vie, Erasme continue en dépit de sa lassitude et de ses désillusions à oeuvrer pour la fusion des belles lettres et
du message évangélique : les succès et admirations que suscitent les Antibarbares (1520), les Colloques (1522) ou le Cicéronien (1528) mettent du baume sur ses plaies.
En 1529, lorsqu'il fuit Bâle -devenue trop réformiste- pour Fribourg, Erasme aspire au repos.
4- Le retrait du
monde
Cette constitution physique si faible dont
Erasme a hérité à la naissance le torture désormais : ses dernières années le voient survivre par l'esprit et agoniser par le corps (dysenterie, gravelle).
Ce combattant de l'esprit trouve encore la force d'abattre un gigantesque travail. Les titres résument la cohérence d'Erasme et son inoxydable fidélité à
son idéal malgré les vicissitudes et les tempêtes : La souhaitable concorde dans l'Eglise (1533, expression la plus réussie de l'oecuménisme
érasmien), l'Education des enfants (1530), Justification contre les erreurs de Martin Luther
(1534).
Un ultime refus (la pourpre de cardinal que lui propose le nouveau pape Paul III) rappelle au monde sa dignité d'homme libre entravé par aucune
soumission.
Erasme meurt à Bâle dans la nuit du 11 au 12 juillet 1536. En invoquant Dieu. Dans la sérénité.
Voir aussi les portraits croisés
d'Érasme.
Notes :
1 - C'est l'année retenue par son biographe Léon Hulkin et par de nombreux chercheurs (Allen, Kohls, Gleason). Toutefois, l'année 1469 fut choisie pour célébrer les 500 ans de sa naissance.
2 - La foisonnante correspondance d'Erasme couvre un continent de six volume : plus de deux cents correspondants, des milliers de lettres écrites entre 1489 et 1535.
3 - Collège réputé pour sa rigueur et qui fut fréquenté par Calvin.
4 - L'écrivain Zweig ira jusqu'à estimer dans un essai sur Erasme "Jamais un homme -ni Goethe, ni Voltaire- n'a détenu une aussi grande puissance grâce à son seul savoir".