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Publié par ERASME

De tous temps, les gouvernants se sont méfiés de la justice (entendue au sens le plus large et comprenant toutes les juridictions de toutes sortes internes et internationales), vue souvent par eux comme une limite trop importante à leur capacité de faire ce qu'ils veulent, quand ils veulent, et comme ils veulent. Il ne faut donc pas s'étonner que de façon récurrente les élus contestent telle ou telle décision qui ne leur convient pas. Et même si parfois la critique va au-delà de la seule désapprobation de la décision et a pour objet d'atteindre l'institution dans sa globalité, dans une tentative souvent désespérée de masquer la faiblesse de l'argumentaire contre la décision mal acceptée, il est rarement utile d'y accorder beaucoup d'attention.
Il n'empêche que parfois la remarque critique n'est pas immédiatement injustifiée et mérite quelque attention. Il en va ainsi quand le gouvernant affirme que le juge a débordé de son périmètre de compétence et empièté sur le sien. Car cela peut être parfois le cas. 
Une situation récente nous invite à aborder une nouvelle fois le sujet délicat du périmètre d'intervention légitime des juges.

En 2005, saisie par un citoyen britannique purgeant une peine de prison, la CEDH a jugé qu'une législation telle celle de Grande Bretagne et qui supprime le droit de vote de tous les condamnés, sans distinction entre les faits poursuivis et la gravité de la peine prononcée, est contraire à l'article 3 du protocole n° 1 qui prévoit des élections libres et "la libre expression de l'opinion du peuple". (décision ici , not. § 56 svts).
La Grande Bretagne n'ayant pas modifié sa législation après cette première décision, la CEDH a jugé de la même façon et pour le même pays dans une décision du 23 novembre 2010 (décision ici, en anglais). Mais le gouvernement britannique a de nouveau exprimé son refus d'appliquer cette jurisprudence, qui n'est précisons le qu'un aspect d'un principe plus large posé par la CEDH selon lequel une personne condamnée et emprisonnée ne peut pas, de ce seul fait, être privée de ses principaux droits.
Cela appelle plusieurs observations.
Sur le fond du débat, qui n'est pas l'essentiel de notre interrogation aujourd'hui, chacun peut se faire son opinion. Schématiquement, soit l'on considère que l'emprisonnement c'est la mise à l'écart provisoire d'un individu et que cela le prive non seulement du droit d'aller et venir, de vivre en famille, de travailler.. mais aussi du droit de vote. C'est alors une mise à l'écart physique mais aussi juridique. Soit l'on estime que l'emprisonnement n'est que la privation des droits incompatibles avec l'enfermement et dès lors que le détenu conserve tous les droits importants qu'il est en mesure d'exercer, comme le droit de vote (ou le droit de se marier, de reconnaître un enfant, de faire un testament etc..).
En France, les personnes condamnées ne sont pas privées de leurs droits civiques par le seul effet de cette condamnation. Le principe est clairement énoncé à l'article 132-21 du code pénal : "L'interdiction de tout ou partie des droits civiques, civils et de famille mentionnés à l'article 131-26 ne peut, nonobstant toute disposition contraire, résulter de plein droit d'une condamnation pénale (texte ici).
Pour que le droit de vote soit supprimé au détenu, les juges doivent, dans une espèce particulière, décider de faire application de l'article 131-26 du code pénal : "L'interdiction des droits civiques, civils et de famille porte sur : 1° Le droit de vote (..)". (texte ici)
Revenons en maintenant à la problématique du jour.
Les droits fondamentaux des citoyens français sont inscrits dans plusieurs textes, au premier rang desquels la constitution (en France) et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (en Europe). L'impact de la première a été considérablement augmenté par la création de la question prioritaire de constitutionalité (cf. la rubrique QPC). Et régulièrement la CEDH nous apporte d'utiles précisions quand à la nature des droits protégés par la convention européenne.
Quand des normes juridiques fondamentales sont écrites dans des textes, au bénéfice des citoyens, il faut, si l'on ne veut pas en faire des règles sans valeur et sans effet, que d'une façon ou d'une autre quelqu'un dise si telle pratique ou tel texte appliqué est conforme à ces normes. Par principe, toute règle juridique d'une importance minimale impose le contrôle de sa mise en oeuvre et de son respect. Tous les jours des citoyens se présentent à la porte des tribunaux pour obtenir que soit constatée la violation d'un de leur droit civil, commercial, social, pénal ou autre. Le rôle des juges est alors de dire si le cadre juridique a été ou non respecté.
Que la décision judiciaire plaise ou déplaise, que celui qui gagne son procès soit satisfait et celui qui le perd mécontent importe peu si le processus judiciaire s'est déroulé convenablement. Le but du juge n'est pas d'obtenir un satisfecit mais de faire respecter le droit.
Il n'empêche que la réflexion ne peut pas s'arrêter là. Il nous faut aller plus loin et nous demander si, parfois, on ne passe pas un peu trop vite de l'interprétation du droit à la création du droit, autrement dit, il nous faut nous attarder sur la ligne de partage des compétences entre le juge et le législateur élu.

.../...

Voir la suite de l'article :http://www.huyette.net/article-les-juges-ou-les-elus-qui-fait-la-loi-a-propos-du-droit-de-vote-des-detenus-87560645.html



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