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Publié par ERASME

Le Vieux Continent a besoin de plus d’intégration politique, or, face à la crise, le gouvernement allemand fait fausse route. Plaidoyer pour que l’Europe renforce son unité, une condition si elle veut continuer à peser sur l’ordre du jour de la politique mondiale.

La crise de l’euro reflète l’échec d’une politique européenne dépourvue de perspectives. Le gouvernement allemand n’a pas le courage nécessaire pour venir à bout d’un état des choses devenu insupportable. Malgré d’impressionnants plans de sauvetage et de nombreux sommets de crise, la situation de la zone euro depuis deux ans n’a cessé de se dégrader.

La conjoncture défavorable qu’affichent les pays en difficulté aggrave la situation fragile des banques, et les incertitudes croissantes quant à l’avenir de l’union monétaire font que les investisseurs sont de moins en moins disposés à acquérir les obligations des pays en difficulté. La hausse des taux pour les emprunts d’Etat et la situation économique compliquent les processus de consolidation.

Or la cause de cette déstabilisation qui s’amplifie est à rechercher dans le fait que les stratégies de maîtrise des crises se sont arrêtées au seuil d’un renforcement des institutions européennes sans le franchir.

La crise de la zone euro n’est pas seule à justifier qu’un pas décisif soit accompli vers l’intégration; un tel pas s’explique tout autant par la nécessité politique de trouver les ressources qui montrent que la zone euro fait front face au fléau qu’est devenu cet univers fantomatique bâti par les banques d’investissement et les fonds spéculatifs de l’économie productive réelle des biens et des services.

Les mesures de régulation ne peuvent cependant pas se concrétiser; d’une part, parce que leur mise en place dans un cadre strictement national serait contre-productive; d’autre part, parce que les mesures de régulation envisagées lors du premier G20, à Londres en 2008, nécessiteraient une action concertée au niveau mondial. Or celle-ci a, jusqu’ici, échoué du fait de la fragmentation politique de la communauté internationale.

Une puissance économique de la taille de l’Union européenne (UE) pourrait, à cet égard, jouer, au moins à l’échelle de la zone euro, un rôle d’avant-garde. Seul un renforcement en profondeur de l’intégration peut permettre de préserver la monnaie commune sans que soit nécessaire une suite sans fin de mesures d’aide qui ne manqueront pas, à longue échéance, de mettre à rude épreuve la solidarité des peuples nationaux européens. Pour cela, un transfert de souveraineté vers des institutions européennes serait inévitable, à la fois pour imposer une discipline fiscale et pour garantir la stabilité du système financier.

 

L’aggravation de la crise montre que la stratégie jusqu’ici imposée à l’UE par l’Allemagne repose sur un diagnostic erroné. La crise n’est pas une crise de l’euro, qui s’est au contraire révélé une monnaie stable. La crise n’est pas non plus une crise de la dette spécifique à l’Europe. Comparativement, l’UE et la zone euro sont bien moins endettées que les Etats-Unis ou le Japon. La crise est une crise du refinancement des Etats individuels de la zone euro dont l’origine est à rechercher dans une protection institutionnelle insuffisante de la monnaie commune.

L’escalade de la crise illustre l’insuffisance des ébauches de solution esquissées. C’est pourquoi l’union monétaire ne pourrait survivre sans un changement radical de stratégie. L’Allemagne semble partir de l’idée que les problèmes tiennent à un manque de discipline fiscale à l’échelle nationale et que la solution doit donc être recherchée dans la mise en place, par chaque pays, d’une politique d’austérité cohérente.

Dans les faits, cette politique mine le potentiel économique et fait croître le chômage. Malgré une politique d’austérité, les pays en difficulté n’ont pas réussi à limiter leurs coûts de refinancement. Le diagnostic et la thérapie préconisés par Berlin ont été élaborés de manière unilatérale. Or la crise est due à des problèmes systémiques. Les astreintes au niveau national n’y changeront rien. La seule solution pour éliminer ou, du moins, limiter le risque qu’un pays soit menacé par l’insolvabilité serait de mutualiser, pour les emprunts d’Etat, la responsabilité au sein de la zone euro.

Il n’existe que deux stratégies cohérentes pour surmonter la crise: le retour aux monnaies nationales dans l’UE, ce qui laisserait chaque pays faire face seul aux fluctuations imprévisibles du marché des devises, hautement spéculatif, ou la protection institutionnelle d’une politique fiscale, économique et sociale commune, ayant pour objectif plus ambitieux de faire qu’à un niveau transnational la politique regagne sa capacité d’action sur les impératifs du marché perdue au niveau national. A quoi est attachée aussi, au-delà de la crise, la promesse d’une «Europe sociale».

 

Ne serait-ce que parce qu’elle ouvre cette perspective, la seconde option l’emporte sur la première. Si l’on veut éviter à la fois le retour au monétarisme national et une crise de l’euro, il faut que le pas qui n’a pas été franchi à l’introduction de la monnaie commune le soit désormais: à savoir mettre en place les dispositifs conduisant à une union politique, et d’abord au sein des dix-sept membres qui constituent l’union monétaire.

Nous plaidons pour que l’on ne cache rien: on ne peut pas souhaiter maintenir l’union monétaire sans combler le déficit institutionnel dont elle souffre. Il serait plus conséquent de mutualiser la dette à chaque fois dans les limites des critères de Maastricht, et donc à hauteur de 60%. En ne disant pas ce qu’ils entendent faire dans les faits, les gouvernements ne font que saper les bases démocratiques fragiles de l’UE.

Souvenons-nous cependant de l’unification de l’empire allemand, qui s’annexa certaines régions de manière dynastique; l’Histoire doit sur ce point nous mettre en garde. Il ne s’agit pas seulement d’apaiser les marchés financiers au moyen de constructions compliquées et opaques tandis que les gouvernements s’accommoderaient que leurs peuples respectifs soient mis sous le couvert d’un exécutif centralisé sans avoir été consultés.

A ce stade, les peuples ont leur mot à dire. Si les référendums débouchaient favorablement, alors les peuples de l’Union retrouveraient au niveau européen la souveraineté qui leur a été dérobée par les «marchés». La stratégie de modification des traités vise à fonder un espace monétaire autour d’un noyau européen politiquement uni, ouvert à l’adhésion des autres pays de l’Union – en particulier la Pologne. Cela exige que l’on ait une idée claire, du point de vue de la politique constitutionnelle, de ce qu’est une démocratie supranationale permettant un gouvernement commun sans que soit pour autant adoptée la forme de l’Etat fédéral.

Dans le contexte européen, l’Etat fédéral n’est pas le bon modèle, ne serait-ce que parce qu’il requiert une forme de solidarité à laquelle les pays européens, historiquement autonomes, ne sont pas disposés. 

Pour renforcer ses institutions, la manière qui conviendrait à l’Europe serait peut-être de se laisser guider par l’idée que le noyau européen démocratique doit représenter la totalité des citoyens des Etats membres de l’union monétaire, mais de manière que chaque citoyen soit représenté en sa double qualité de citoyen de l’Union réformée et de citoyen d’un peuple associé à l’Union – ce qui, sous le premier aspect, l’impliquerait individuellement de manière directe et, sous le second, de manière indirecte.

Cette crise qui dure depuis quatre ans a provoqué un changement des thèmes à l’ordre du jour qui a attiré comme jamais l’attention des opinions nationales sur les questions européennes. Une prise de conscience a eu lieu quant à la nécessité de réguler les marchés financiers et de surmonter les déséquilibres structurels au sein de la zone euro. Pour la première fois dans l’histoire du capitalisme, une crise déclenchée par les banques n’a pu être amortie que parce que les gouvernements ont fait en sorte que leurs citoyens paient, en tant que contribuables, pour les dommages occasionnés.

Or, une barrière entre les processus systémiques et ceux du monde de la vie a été du même coup rompue. Les citoyens s’en sont indignés. Si le sentiment d’injustice s’est propagé, c’est que les processus anonymes du marché ont revêtu aux yeux des citoyens une dimension politique. Ce sentiment est lié à la rage, plus ou moins contenue ou ouverte, qu’a fait naître en eux leur impuissance. Et c’est à cette rage qu’une politique prétendant reprendre la main devrait s’affronter.

Une discussion sur la finalité du processus d’union offrirait l’occasion d’élargir le champ de la discussion publique, jusqu’ici confiné aux questions économiques. Etre conscient du glissement qui s’opère au niveau politique mondial et voit la puissance passer de l’Occident à l’Orient et être réceptif au changement des rapports avec les Etats-Unis sont des ressources qui peuvent placer les avantages d’une unification européenne sous un autre jour. Dans ce monde postcolonial, le rôle de l’Europe a beaucoup changé.

Les analyses prospectives prédisent à l’Europe une population en déclin, un poids économique moindre et une importance politique réduite. Les Européens doivent apprendre que, ensemble, ils peuvent encore porter haut leur modèle de société fondé sur l’Etat social et leur diversité nationale et culturelle. Mais s’ils veulent encore peser sur l’ordre du jour de la politique mondiale et influer sur les solutions qu’il faudra trouver aux problèmes de la planète, il faut qu’ils unissent leurs forces. Renoncer à l’intégration européenne serait prendre congé de l’histoire du monde.

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