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Publié par Jean Poche

Le Royaume-Uni est traversé depuis plusieurs semaines par une lame de fond dont la puissance et la force sont entretenues par les réseaux sociaux. Indépendant des partis politiques, le mouvement "Uncut" (Ne coupez pas) dénonce, justement, les coupes budgétaires aveugles orchestrées par le gouvernement de David Cameron, alors que les profits et les bonus explosent dans le secteur de la finance. Il ne s'agit pas de défendre tel corps d'agents publics, mais telle bibliothèque ou tel hôpital.

En France, le discours selon lequel la réduction de la dépense publique ne serait pas une priorité - au moment où le pays est confronté à l'une des plus violentes récessions de l'histoire du capitalisme - ne passe pas. L'argument massue qui lui est opposé est que l'on reporterait ainsi notre impéritie, à travers la dette, sur les générations futures.

Idées fausses

Mais cet argument est plus moral qu'économique. Il est temps de le déconstruire, ne serait-ce que pour éviter que le débat ne s'enkyste autour d'une absurde modification de la Constitution envisagée par le président de la République, occultant ainsi de vrais enjeux tels que la régulation de la finance, la construction d'une solidarité européenne, et tout simplement, la préparation de l'avenir avec la "transition écologique".

Première idée fausse : ne pas réduire le déficit public aujourd'hui reviendrait à léguer une dette insupportable aux générations futures.

En fait, le niveau de la dette française n'a jamais décliné de manière significative depuis quatre décennies. Pour un électeur français, elle ne peut donc que croître. Or, ce n'est pas une fatalité. Les marges de manoeuvre budgétaires héritées des phases de reprise ont été dilapidées en réductions d'impôts concentrées sur les hauts revenus et les grandes entreprises : la France se préoccupe de réduire sa dette en période difficile, mais... oublie de le faire en période de vaches grasses.

A l'inverse, tout proche de nous, la Belgique, qui était en 1998 dans une situation dramatique, avec un endettement de 120 % de sa richesse nationale, a su réduire ce dernier en moins de dix ans à 84 % du produit intérieur brut (PIB) juste avant la crise financière, et cela sans abattre sa politique sociale.

Deuxième idée fausse : en France, les générations futures sont déjà trop endettées.

Mais la dette publique en pourcentage du PIB en est une mauvaise mesure.

Portons-nous en 2040. Les Français qui composeront alors le coeur des actifs chargés du remboursement de la dette présente sont les jeunes âgés de 0 à 25 ans aujourd'hui. Il faut donc apprécier l'endettement actuel à la mesure de la masse de cette population. Or il naît aujourd'hui en France autant d'enfants que dans la populeuse Allemagne. Début 2011, la dette par jeune de 0 à 25 ans atteint environ 90 000 euros outre-Rhin, plus que les 80 000 euros en France ; en Espagne, ce ratio ne dépasse pas 60 000 euros. Le gap démographique des deux côtés du Rhin devant s'accentuer, on comprend que Berlin cherche dès à présent à contenir ses déficits.

Troisième idée fausse : rien n'empêche les pays européens d'aligner leurs charges sur un niveau "germanique". L'actualité montre que la France comme le Royaume-Uni sont les piliers de la défense européenne. Ce rôle nécessite des dépenses publiques mécaniquement plus lourdes.

Générations qui rembourseront plus nombreuses

Les divergences de natalité placent aussi les pays dans des situations qui ne sont pas comparables. Pour des avantages équivalents - congés de maternité, soutien aux familles, éducation... -, les deux champions des naissances (France et Royaume-Uni) doivent dépenser autour de 3 points de PIB de plus que l'Allemagne. Structurellement, les deuxième et troisième économies européennes sont donc plus dépensières... mais les générations futures qui rembourseront la dette seront aussi plus nombreuses !

Le différentiel de dépenses avec l'Allemagne est donc soutenable. Le combler impliquerait de saborder de grands postes comme l'éducation, la santé, la politique sociale, c'est-à-dire, pour une bonne part, les investissements sur nos enfants.

Pourtant, cette dynamique est déjà en marche. Sous prétexte de ne pas endetter nos enfants, nous les défavorisons non seulement aujourd'hui, mais aussi demain : les rendements individuel et social de l'éducation sont élevés, et justifient un coût présent élevé. Ce qui ne veut pas dire qu'il faille renoncer à rationaliser les dépenses ou à revenir sur les avantages fiscaux des plus aisés.

On voit là l'aberration qu'il y a à s'aligner sur l'Allemagne, et plus encore à constitutionnaliser une marche forcée de réduction de la dette publique. A contrario, si l'on pense vraiment aux générations futures, la crise actuelle serait une occasion de bâtir en Europe des critères de déficit ou d'endettement qui tiennent compte à la fois de la natalité et de la responsabilité de chaque pays.

 

Philippe Askenazy est directeur de recherche au CNRS ; il est également membre de l'Ecole d'Economie de Paris.

 

Voir également à cet égard : Retour sur les 'règles nationales budgétaires' adoptées le 11 mars 2011 par les chefs d'Etat ou de gouvernement de la zone Euro

 

 

 

 

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