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Publié par Patrice Cardot

Art_de_gouverner_France-Patrice_Cardot-31decembre2014.pdf

Résumé

Les phénomènes de transformation du monde à l’œuvre au XXIème siècle participent à « éroder tous les Etats-nations » (Alain Joxe), au point que leur gouvernementalité ne peut dès lors plus s’envisager sur les mêmes bases que lors du siècle précédent.
« Les explications les plus courantes renvoient généralement à la « crise » de l’Etat du bien-être ou Etat social (Welfare State) et à celle de l’Etat-nation. Elles sont cependant insuffisantes pour comprendre les mécanismes d’auto-dépossession de la puissance publique mis en oeuvre par les dirigeants de la plupart des pays. » (Riccardo Petrella). Mais, pour autant, « en dernier ressort, l’État a des responsabilités qu’il ne peut déléguer à personne. » (Rolf Alter)

La présente communication s’attache à identifier les modifications substantielles qui ont été apportées au cours des 25 dernières années à l’art de gouverner la France, notamment dans la manière d’élaborer et de mettre en œuvre les politiques publiques, et d’entreprendre des réformes présentées comme inéluctables, pour affronter les défis de ce siècle.

L’émergence d’une plus grande empreinte que jadis de l’économie, à la fois globalisée, et sans cesse plus financiarisée, plus dérégulée et plus dématérialisée, et de la technologie numérique, omniprésente, sur les processus politiques et technocratiques participant à une certaine dépossession de l’Etat, l’adaptation de ce dernier à cette nouvelle donne est devenue inévitable.

Cette adaptation s’est opérée en premier lieu au travers d’un vaste programme de révision/modernisation de l’action publique et des politiques publiques (y inclus les politiques régaliennes), de la mise en œuvre de scénarios de réformes structurelles, d’une nouvelle étape de décentralisation visant à la fois à une efficacité renforcée de l'action publique et à une meilleure organisation des compétences entre l'État et les collectivités territoriales, et, enfin, d’une meilleure intégration des processus participatifs des citoyens dans l’élaboration des politiques.

Ensuite, force est de constater que le processus d’intégration européenne, par les délégations, transferts et partages de compétences qui le caractérisent, participe pleinement, lui aussi, à cette refondation, en nourrissant également des mécanismes d’auto-dépossession de l’Etat. Il a conduit l’Etat français à procéder à de profondes modifications de la Constitution de la Vème République, ainsi qu’à celles du cadre d’établissement du budget de la nation de manière à tenir compte à la fois de la modification du Pacte de stabilité et de croissance, de l’adoption du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, de l’introduction des mécanismes relatifs au semestre européen, et des différentes dispositions communautaires y associées ayant trait à la supervision communautaire ou encore à la gouvernance économique de la zone Euro. Ce qui n’alla pas sans soulever quelques inquiétudes autant au sein de l’appareil d’Etat qu’au sein de la société civile ! En effet, comment ne pas voir effectivement dans cette nouvelle donne juridique et institutionnelle une remise en cause de l’indivisibilité comme de l’imprescribilité de la souveraineté nationale ?

Enfin, l’Etat français a saisi l’opportunité offerte par l’élaboration progressive d’un système de régulation internationale et de gouvernance mondiale pour poursuivre la transformation en profondeur de son rôle dans le fonctionnement des ‘affaires du monde’ en même temps que pour moderniser son propre arsenal en matière de technologies du pouvoir ; un pouvoir en partie délégué à ces instances de régulation internationales ou multilatérales en même temps qu’un pouvoir dilué et diffus dont le contrôle démocratique paraît illusoire. 

L’absence de résultats positifs tangibles de cette transformation de l’art de gouverner la France sur la situation économique et sociale du pays pose in fine la question de la confiance de la société dans son ensemble dans l’aptitude des dirigeants à gouverner ; cette confiance sans laquelle ni les processus démocratiques conventionnels, ni les mécanismes orthodoxes de l’économie (sociale ou non) de marché, ni les nouveaux instruments de l’économie néolibérale, ni les nouvelles formes de technologies du pouvoir ne peuvent produire leurs meilleurs effets. 

La bonne gouvernance européenne devait se traduire par un rapprochement entre l’Union et les citoyens européens afin de combler le déficit démocratique des institutions européennes. Or, la mise en œuvre du Traité de Lisbonne n’a pas concouru à instaurer cette bonne gouvernance européenne dans la mesure où les citoyens européens déplorent toujours le profond déficit démocratique des institutions européennes en même temps que leur propre perte de souveraineté ; une souveraineté dont ils se sentent les seuls détenteurs légitimes quand bien même ils la délèguent par la voie du suffrage électoral. 

Les engagements contractés par les chefs d’Etat et de gouvernement participant aux sommets du G20 n’ont pas non plus produit tous les effets attendus sur la stabilité financière et la croissance économique.

Pour autant, il est difficile de souscrire à l’affirmation de Jürgen Habermas qui considère que "le joli mot de "gouvernance" n'est qu'un euphémisme pour désigner une forme dure de domination politique" sans y apporter de fortes nuances, la réforme en cours de l’architecture de gouvernance mondiale ouvrant indubitablement des opportunités exceptionnelles pour une réforme réellement positive ; opportunités qui étaient encore insoupçonnées dans les dernières années du XXème siècle. 

S’il n’échappe à personne que moderniser l’art de gouverner un Etat-nation comme la France constitue un exercice d’autant plus complexe que les niveaux d’éducation, de conscience politique et d’exigence démocratique des Français en font des observateurs/acteurs particulièrement ‘intraitables’, le statu quo était impensable. Faut-il pour autant y voir là un processus de transformation qui aurait valeur d’exemple pour d’autres Etats-nations ? 

C’est possible, mais pas sur tous les registres de cette transformation, la France constituant indubitablement un modèle très à part dans le concert des Nations ; sa place singulière au sein de l’Union européenne comme au sein du système de gouvernance mondiale la plaçant dans une position plus favorable que beaucoup d’autres pour ne pas se trouver prise en otage par les jeux et enjeux de leur propre transformation.

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P
La mode du concept de gouvernance doit effectivement être analysée avec un œil critique. Derrière la "bonne gouvernance" s'esquisse un catalogue de bonnes pratiques pas nécessairement fondées constitutionnellement et visant à une certaine homogénéité normative, gage d'une meilleure intégration mondiale et d'une meilleure efficacité. L'efficacité de cette gouvernance mondiale est au cœur du discours dominant qui en mettant en avant les menaces globales, tend à discréditer la pertinence des Etats. A ce titre, le succès bien orchestré de Rifkin est symptomatique d'un mondialisme anti-étatique de gauche, bien pensant et progressiste. Le raccourci est simple : face à ces menaces planétaires, les Etats sont de plus en plus impuissants et doivent s'en remettre à des mécanismes, instruments, pratiques qui les dépassent.<br /> L'atteinte à la souveraineté étatique serait acceptable si elle n'était pas aussi une atteinte à la souveraineté nationale et à la volonté générale que l'Etat se doit de faire germer et de promouvoir. Or en affaiblissant l'Etat, les partisans de cette "bonne gouvernance" viennent confisquer la souveraineté au citoyen : par quels mécanismes démocratiques sont approuvées leurs "best practices", au service de quelles fins, de quel horizon politique est déployée la soi-disante efficacité de cette gouvernance mondiale ?<br /> In fine cette "bonne gouvernance mondiale" sert avant tout à favoriser le profit de grands groupes multinationaux désireux de gagner des parts de marché à moindre coûts, i.e. en réalisant d'importantes économies d'échelle à l'échelle planétaire tout en limitant les coûts de transaction imposés par les frontières et les coûts d'adaptation occasionnés par les "préférences collectives" (cf. la citation de P. Lamy). Ces groupes dont certains sont déjà bien plus riches et puissants que certains Etats gagnent à l'abaissement des frontières nationales à l'homogénéisation des cultures, des réglementations, et à l'effacement de ces préférences collectives pourtant au cœur de la vie politique d'une démocratie.<br /> Le stade de notre mondialisation conduit à une recherche de performance économique effrénée, affranchie de tout projet politique et civilisationnel et qui se heurte à l'existence de Nations structurées démocratiquement.<br /> Les grands groupes ne sont pas les seuls responsables car comme tu le notes, notre Etat et nos élites ont accéléré le mouvement. La dette publique qui nous accable et sa levée sur des marchés internationaux et une des premières cause de financiarisation de l'économie et de notre perte de souveraineté vis à vis du monde de la finance. L'instrumentalisation politique récurrente des préférences individuelles ou de classe au détriment de l'élaboration et de la promotion d'un intérêt général (national et européen...) et une autre cause majeure de l'effacement du collectif.<br /> De plus, les révolutions technologiques que tu évoques et la quête écervelée de l'immédiateté en même temps que l'impuissance des élites à maîtriser les crises ont conduit à une érosion de la capacité à construire la confiance entre citoyen dans le temps face au culte du temps réel.<br /> Même si ces menaces sont importantes et encore trop peu analysées, décortiquées et communiquées au grand public, il y a plusieurs pistes potentielles :<br /> - la France et les autres EM bénéficient encore de leviers sur certains grands groupes dans des secteurs stratégiques : énergie, santé, agroalimentaire, télécommunications, défense et aérospatial.<br /> - la politique grecque et espagnole montre un certain sursaut populaire (et pas nécessairement populiste) à l'égard de la doxa de la bonne "gouvernance"<br /> - l'émergence d'un citoyen multiscalaire tout comme les propositions de ton essai sur les différents niveaux d'échelle de puissance et de légitimité offre de nombreuses pistes fertiles pour repenser la souveraineté nationale en deçà et au-delà de l'échelle étatique, même si l'Etat doit continuer de jouer un rôle central, ne serait-ce que pour conserver "la compétence des compétences" dans la définition et la délégation des compétences des autres entités.<br /> Merci encore pour ce bel essai de résistance !
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P
Plusieurs indices de nature économique et sociale font cependant craindre un possible échec politique<br /> de ces programmes de réforme et de modernisation de l’Etat et des politiques publiques :<br /> * alors que l’esprit comme la lettre de ces réformes visaient à remédier à ce qui était présenté sur tous<br /> les médias et par tout le personnel politique comme un fléau national condamnant la France à une 'faillite’, et alors que les libéraux à la tête de l’Etat gouvernaient sans partage depuis 2002, l’endettement public s’est fortement accentué en France, en grande partie en raison de la gestion<br /> calamiteuse de la crise systémique internationale par les institutions européennes, et en particulier par<br /> la Commission européenne, le Conseil européen (des chefs d’Etat et de gouvernement) et la Banque<br /> centrale européenne dont les marges de manœuvre sont fortement contraintes autant par ses statuts que<br /> par le droit européen, qui ont conduit de facto les Etats à transférer une grande partie de la dette privée vers la dette souveraine et, in fine, à limiter leurs ambitions de réforme … !<br /> * la compétitivité de l’économie nationale est en panne, le poids des charges sociales sur la compétitivité ‘prix’ des entreprises françaises n’a pas diminué, la compétitivité ‘hors prix’ n’a pas connu les sursauts escomptés, la mise en place de pôles de compétitivité de dimension internationale peine toujours à produire ses effets bénéfiques sur l’emploi et la croissance malgré les espoirs placés<br /> dans un recours accru aux instruments de ‘l’ingénierie financière’.<br /> * et le chômage s’est considérablement aggravé au rythme de plans sociaux de grande ampleur déposés par des sociétés dont le capital étaient souvent détenus majoritairement par des investisseurs<br /> étrangers.<br /> Et la situation continue de se dégrader, y compris sur le registre politique.<br /> En effet, le lancement du ‘Pacte de compétitivité’ par le président F. Hollande en janvier 2014, par sa<br /> forte inspiration social-libérale, en marquant une rupture profonde avec le corps de doctrine traditionnel en matière économique et sociale de la politique de la gauche dite ‘de gouvernement’, a participé à induire une très grande confusion dans le débat démocratique national ; confusion qui met quelque peu en péril le contrat social qui s’est forgé au rythme des alternances politiques et des grands mouvements sociaux.
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