De l’art de gouverner un Etat-Nation membre de l’Union européenne au XXIème siècle - Examen du cas particulier de la France
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Résumé
Les phénomènes de transformation du monde à l’œuvre au XXIème siècle participent à « éroder tous les Etats-nations » (Alain Joxe), au point que leur gouvernementalité ne peut dès lors plus s’envisager sur les mêmes bases que lors du siècle précédent.
« Les explications les plus courantes renvoient généralement à la « crise » de l’Etat du bien-être ou Etat social (Welfare State) et à celle de l’Etat-nation. Elles sont cependant insuffisantes pour comprendre les mécanismes d’auto-dépossession de la puissance publique mis en oeuvre par les dirigeants de la plupart des pays. » (Riccardo Petrella). Mais, pour autant, « en dernier ressort, l’État a des responsabilités qu’il ne peut déléguer à personne. » (Rolf Alter)
La présente communication s’attache à identifier les modifications substantielles qui ont été apportées au cours des 25 dernières années à l’art de gouverner la France, notamment dans la manière d’élaborer et de mettre en œuvre les politiques publiques, et d’entreprendre des réformes présentées comme inéluctables, pour affronter les défis de ce siècle.
L’émergence d’une plus grande empreinte que jadis de l’économie, à la fois globalisée, et sans cesse plus financiarisée, plus dérégulée et plus dématérialisée, et de la technologie numérique, omniprésente, sur les processus politiques et technocratiques participant à une certaine dépossession de l’Etat, l’adaptation de ce dernier à cette nouvelle donne est devenue inévitable.
Cette adaptation s’est opérée en premier lieu au travers d’un vaste programme de révision/modernisation de l’action publique et des politiques publiques (y inclus les politiques régaliennes), de la mise en œuvre de scénarios de réformes structurelles, d’une nouvelle étape de décentralisation visant à la fois à une efficacité renforcée de l'action publique et à une meilleure organisation des compétences entre l'État et les collectivités territoriales, et, enfin, d’une meilleure intégration des processus participatifs des citoyens dans l’élaboration des politiques.
Ensuite, force est de constater que le processus d’intégration européenne, par les délégations, transferts et partages de compétences qui le caractérisent, participe pleinement, lui aussi, à cette refondation, en nourrissant également des mécanismes d’auto-dépossession de l’Etat. Il a conduit l’Etat français à procéder à de profondes modifications de la Constitution de la Vème République, ainsi qu’à celles du cadre d’établissement du budget de la nation de manière à tenir compte à la fois de la modification du Pacte de stabilité et de croissance, de l’adoption du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, de l’introduction des mécanismes relatifs au semestre européen, et des différentes dispositions communautaires y associées ayant trait à la supervision communautaire ou encore à la gouvernance économique de la zone Euro. Ce qui n’alla pas sans soulever quelques inquiétudes autant au sein de l’appareil d’Etat qu’au sein de la société civile ! En effet, comment ne pas voir effectivement dans cette nouvelle donne juridique et institutionnelle une remise en cause de l’indivisibilité comme de l’imprescribilité de la souveraineté nationale ?
Enfin, l’Etat français a saisi l’opportunité offerte par l’élaboration progressive d’un système de régulation internationale et de gouvernance mondiale pour poursuivre la transformation en profondeur de son rôle dans le fonctionnement des ‘affaires du monde’ en même temps que pour moderniser son propre arsenal en matière de technologies du pouvoir ; un pouvoir en partie délégué à ces instances de régulation internationales ou multilatérales en même temps qu’un pouvoir dilué et diffus dont le contrôle démocratique paraît illusoire.
L’absence de résultats positifs tangibles de cette transformation de l’art de gouverner la France sur la situation économique et sociale du pays pose in fine la question de la confiance de la société dans son ensemble dans l’aptitude des dirigeants à gouverner ; cette confiance sans laquelle ni les processus démocratiques conventionnels, ni les mécanismes orthodoxes de l’économie (sociale ou non) de marché, ni les nouveaux instruments de l’économie néolibérale, ni les nouvelles formes de technologies du pouvoir ne peuvent produire leurs meilleurs effets.
La bonne gouvernance européenne devait se traduire par un rapprochement entre l’Union et les citoyens européens afin de combler le déficit démocratique des institutions européennes. Or, la mise en œuvre du Traité de Lisbonne n’a pas concouru à instaurer cette bonne gouvernance européenne dans la mesure où les citoyens européens déplorent toujours le profond déficit démocratique des institutions européennes en même temps que leur propre perte de souveraineté ; une souveraineté dont ils se sentent les seuls détenteurs légitimes quand bien même ils la délèguent par la voie du suffrage électoral.
Les engagements contractés par les chefs d’Etat et de gouvernement participant aux sommets du G20 n’ont pas non plus produit tous les effets attendus sur la stabilité financière et la croissance économique.
Pour autant, il est difficile de souscrire à l’affirmation de Jürgen Habermas qui considère que "le joli mot de "gouvernance" n'est qu'un euphémisme pour désigner une forme dure de domination politique" sans y apporter de fortes nuances, la réforme en cours de l’architecture de gouvernance mondiale ouvrant indubitablement des opportunités exceptionnelles pour une réforme réellement positive ; opportunités qui étaient encore insoupçonnées dans les dernières années du XXème siècle.
S’il n’échappe à personne que moderniser l’art de gouverner un Etat-nation comme la France constitue un exercice d’autant plus complexe que les niveaux d’éducation, de conscience politique et d’exigence démocratique des Français en font des observateurs/acteurs particulièrement ‘intraitables’, le statu quo était impensable. Faut-il pour autant y voir là un processus de transformation qui aurait valeur d’exemple pour d’autres Etats-nations ?
C’est possible, mais pas sur tous les registres de cette transformation, la France constituant indubitablement un modèle très à part dans le concert des Nations ; sa place singulière au sein de l’Union européenne comme au sein du système de gouvernance mondiale la plaçant dans une position plus favorable que beaucoup d’autres pour ne pas se trouver prise en otage par les jeux et enjeux de leur propre transformation.