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Publié par ERASME

"  Qu'est-ce qui a changé depuis la première guerre froide et est-ce que quelque chose a changé ?

À mon avis, le retournement est radical. Pour des raisons internes, le capitalisme occidental n'a pas pu éradiquer complètement le socialisme et le communisme en son sein, malgré la concurrence intense entre les systèmes et l'anticommunisme visceral d'une petite partie de l'élite. Mais tant les libéraux que les communistes comprenaient qu'ils étaient les héritiers des Lumières, que, tous les deux, ils avaient leurs fondements idéologiques dans la même triade : "liberté, égalité, fraternité", même si l'ordre des priorités n'était pas le même pour les uns et les autres.
La première guerre froide était un conflit entre différentes versions des Lumières, différents vecteurs de la modernité. (...)
La deuxième guerre froide qui se déroule sous nos yeux est une sorte de choc des civilisations prédit par Huntington. Elle est fondamentalement différente de l'affrontement entre le communisme et le capitalisme car elle oppose deux variantes des Contre-Lumières.
Dans cette confrontation, chaque partie exige une adhésion inconditionnelle à ses institutions idéologiques, menaçant, dans le cas contraire, de supprimer ses adversaires (notamment via cancel culture). On assiste, en quelque sorte, à un retour des guerres de religion, ces guerres dans lesquelles il n'y avait aucune tolérance pour les dissidents internes, et qui ont rendu possibles le massacre de la Saint-Barthélemy et la terreur puritaine.
Dans cette lutte sans merci, la classe intellectuelle occidentale est majoritairement du côté de l'establishment, ce qui signifie que l'électorat de Trump peut, en principe, être déclaré "basket of deplorables", négligé et soumis à une "rééducation", comme cela avait été fait vis-à-vis des populations catholiques traditionalistes en France.
Bien entendu, l'écartement d'au moins de la moitié des citoyens du processus électoral - ce vers quoi semble se diriger la plus ancienne démocratie de la planète - aura des conséquences importantes. D'une démocratie électorale, l'Amérique se transformera en une sorte d'autocratie oligarchique, dans laquelle tous les opposants au système en place seront considérés comme des "agents d'influence" de l'ennemi extérieur.
À tous les pôles de l'actuelle confrontation civilisationnelle, nous observons des processus très similaires, même s'ils se déploient, selon les cas, avec plus ou moins d'ouverture et de radicalité. La seule différence est que, dans l'"Occident collectif", la classe intellectuelle s'est de nouveau hissée au sommet du pouvoir, y compris au détriment des intérêts de la classe moyenne et de la classe populaire nationale, déclarée "non éclairée, arriérée et intolérante". Tandis que, en Russie, la classe intellectuelle est aujourd'hui au plus bas de son influence culturelle et politique, et elle semble avoir peu de moyens de changer la situation en sa faveur.
La "guerre des civilisations", telle qu'elle a été pressentie par Huntington, va, sans doute constituer pour la démocratie et tout l'héritage des Lumières une épreuve plus dure que la "guerre des systèmes économiques". Le choc des civilisations va s'accompagner de recours à la terreur, de génocides, d'extermination totale des opposants politiques.
Selon moi, le vainqueur de cette guerre sera celui qui saura renoncer à ces méthodes, qui réfrénera la tentation de supprimer ceux qui expriment des désaccords, ceux qui appellent à la paix avec l'ennemi extérieur et ne sont pas tout à fait fidèles au "code civilisationnel" ou aux idéologèmes qu'ils sont censés professer. En d'autres termes, le vainqueur sera celui qui sera le premier à rejeter le neo-maccarthysme et la "chasse aux sorcières"; celui qui restera, en quelque sorte, fidèle à l'héritage des Lumières et tentera de s'appuyer sur la raison plutôt que sur les forces qui la dépassent."
Boris Mejouïev
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