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Publié par De la Boisserie

Dans un article publié aujourdhui, lundi 9 mars, sur le blog Fenêtre sur l'Europe, sous le titre « La France et l'OTAN, une approche géopolitique », Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur à l'Institut Français de Géopolitique (Paris VIII), et chercheur associé à l'Institut Thomas More, auteur d'un ouvrage intitulé "La France, l'Europe, l'OTAN - Une approche géopolitique de l'atlantisme français" édité par Unicomm dans la collection abécédaire société en 2006, présente un état de lieux très riche dans la perspective du sommet de Strasbourg-Kehl.

Cherchant à contribuer à nourrir le débat ouvert en France à cet égard de points de vue aussi éclairés que contradictoires, je propose au lecteur d'en prendre connaissance ci-après.

" Lors du sommet de Strasbourg-Kehl (3-4 avril 2009), la France devrait annoncer sa pleine participation aux structures militaires de l'OTAN. L'an passé, elle avait déjà accru sa contribution en Afghanistan, devenant ainsi un acteur significatif sur ce front islamique (Bucarest, 2-4 avril 2008). Le retour dans la structure militaire est perçu comme une rupture dans l'attitude française vis-à-vis de l'OTAN. Il ne faudrait pourtant pas oublier que la France est l'un des membres fondateurs de l'Alliance atlantique. Suite au retrait des armées françaises, en 1966, l'OTAN est devenue, pour une partie de l'opinion publique et de la classe politique, un "épouvantail". Dans les années qui ont suivi, les autorités françaises se sont pourtant employées à réduire la fracture entre la France et l'OTAN. A la fin de la Guerre froide, François Mitterrand puis Jacques Chirac ont cherché à promouvoir l'Europe de la défense contre l'OTAN mais de nouveaux défis les ont amenés à s'investir plus dans les structures atlantiques. En fait, la pleine participation de la France serait l'aboutissement d'une évolution de longue durée amorcée dès les années 1970 ; si rupture il y a, elle relève de la psychologie politique. L'enjeu est de réduire les "dissonances cognitives", à savoir l'écart entre les représentations mentales et les réalités stratégiques.

Dès son premier "discours aux Ambassadeurs" (27 août 2007), le président de la République française, Nicolas Sarkozy, a mis en avant la complémentarité entre la rénovation de l'Alliance atlantique (l'OTAN), instituée le 4 avril 1949, et le développement de la PESD (Politique européenne de sécurité et de défense), plus communément qualifiée d' "Europe de la Défense". Cette insistance sur l'appartenance de la France à l'OTAN, et sur le rôle qui lui incombe dans la rénovation des structures militaires intégrées, a été confirmée avec la publication du dernier Livre blanc (17 juin 2008). Le sommet de Strasbourg Kehl (3-4 avril 2009) devrait être le point d'aboutissement du mouvement de la France vers l'OTAN. Cet aggiornamento est à l'origine d'un débat feutré au sein du "monde de la défense" et il suscite l'intérêt des pays alliés et partenaires de la France, membres de l'OTAN et de l'Union européenne (UE).

Si l'on met les choses en perspective, l'OTAN aura de fait longtemps été perçue comme une pomme de discorde dans les relations entre la France d'une part, les Etats-Unis d'autre part. La décision du général De Gaulle de retirer les forces françaises des structures militaires intégrées, le 7 mars 1966, avait ouvert une grave crise de confiance entre Paris et Washington, certes, mais aussi avec l'ensemble des pays membres de l'OTAN. En France, la portée de ce geste a parfois été sur-interprétée, d'aucuns voulant y voir une sortie héroïque de l'orbite américaine et la mise en oeuvre d'une défense "tous azimuts", voire d'une forme de neutralisme armé. Chez les alliés de la France, l'initiative de De Gaulle a nourri les doutes quant à l'engagement de la France dans la défense atlantique.

Au vrai, les choses sont plus nuancées. La France est restée un pays membre de l'OTAN, sa participation militaire au dispositif atlantique a été renforcée au cours des années 1980 et les nouvelles menaces de l'après-Guerre froide ont conduit les dirigeants français à s'engager plus avant dans la rénovation de l'OTAN. La décision prise par Nicolas Sarkozy de participer pleinement aux structures militaires intégrées et l'engagement accru des armées françaises en Afghanistan ne marquent pas tant une rupture que l'accélération d'un processus largement amorcé sous son prédécesseur, Jacques Chirac (1995-2002 ; 2002-2007).


Aux origines de l'OTAN

Le rôle de la diplomatie française dans la création de l'Alliance atlantique

Pour comprendre l'attitude des dirigeants français vis-à-vis des Etats-Unis et de l'OTAN, il nous faut surtout prendre en compte des périodes historiques de moindre amplitude et revenir aux priorités diplomatiques de Paris après la Seconde Guerre mondiale. Etroitement corrélés, les trois grands objectifs stratégiques français sont alors d'assurer la sécurité nationale face à une hypothétique reconstitution de la menace allemande, de poser la France en première puissance d'Europe occidentale (garante avec l'URSS du statu quo continental) et de préserver l'empire colonial (l'"Union française"). Sur la question allemande, l'état d'esprit des diplomates français n'est initialement guère éloigné de celui de la période 1919-1923 (du traité de Versailles à l'occupation de la Ruhr) : mener une politique de force et s'assurer des prises au-delà du Rhin (voir la question de la Sarre).

Pourtant, la dislocation de la Grande Alliance et la rupture Est-Ouest bousculent les projets français. Massive et immédiate, la nouvelle menace est soviétique. Harry Truman énonce la doctrine de containment (12 mars 1947), le plan Marshall est lancé (5 juin 1947) et le Président des Etats-Unis est acquis à l'idée d'un pacte occidental. George Bidault et Ernest Bevin, ministres des Affaires étrangères de la France et du Royaume-Uni, oeuvrent en ce sens. Signé le 17 mars 1948, le traité de Bruxelles institue l'Union occidentale (France, Royaume-Uni, Belgique, Pays-Bas et Luxembourg). Des négociations transatlantiques sont ouvertes et elles débouchent sur la signature de l'Alliance atlantique, le 4 avril 1949, alors que le blocus de Berlin n'est pas encore levé. En ces temps difficiles, la diplomatie française insiste sur la nécessité d'une présence physique des armées américaines en Europe et elle se fait le héraut de l'"intégration", avec la mise sur pied de l'OTAN, une organisation par la suite honnie.

Toutefois, les Etats-Unis posent une condition à un engagement militaire durable en Europe : la formation d'un Etat allemand, doté d'une armée (la future Bundeswehr), en mesure de concourir à la défense de l'Europe occidentale. S'ouvre alors une difficile et complexe négociation d'ensemble avec la France qui entend contrôler la République Fédérale d'Allemagne (RFA) et retarder son réarmement. C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre la fondation de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l'acier) et le projet français de CED (Communauté européenne de défense). Pour Paris, l'enjeu est d'encadrer la résurgence de la puissance industrielle allemande et de fondre les contingents allemands dans une armée européenne ("Des soldats allemands sans armée allemande"). Au final, le rejet par les parlementaires français de la CED , le 23 août 1954, mène à l'entrée de la RFA dans l'OTAN (1955) et à son réarmement dans le cadre atlantique, selon la formule préconisée par les Etats-Unis. La protection militaire américaine et le recouvrement par l'Allemagne, sous l'hégémonie bienveillante des Etats-Unis, de pans de souveraineté expliquent l'étroitesse des relations germano-américaines, parfois stigmatisées à Paris ("La RFA, meilleur élève de la classe atlantique").

La France au coeur du dispositif atlantique

L'affaire de la CED est un moment important dans l'histoire politique nationale ; certains dirigeants français prennent conscience qu'ils ont surestimé la liberté d'action et le niveau de puissance de leur pays. Au final, l'intégration de la RFA dans l'OTAN semble préférable à un face-à-face franco-allemand à l'intérieur de la CED. La France de l'époque est alors l'" ombilic" de l'Alliance atlantique : elle accueille les institutions politico-militaires (Conseil de l'Atlantique Nord, Assemblée interparlementaire, Association du traité de l'Atlantique Nord, Collège de Défense) et les principaux états-majors de l'OTAN ; le territoire français est une plaque-tournante logistique et 50 000 soldats alliés, dont la moitié d'Américains, y sont basés. Pour rehausser le rang de la France et asseoir sa dominance en Europe occidentale, les dirigeants français entendent faire reconnaître leur pays comme troisième grand à l'intérieur de l'OTAN, aux côtés des Etats-Unis et du Royaume-Uni.

La volonté française de voir reconnue sur le plan institutionnel la prééminence qu'elle revendique sur le continent européen se heurte aux contraintes politiques et militaires de l'époque. Le poids des engagements militaires outre-mer - voir la guerre d'Indochine (1946-1954) et la guerre d'Algérie (1954-1962) -, accaparent troupes et moyens et, de ce fait, les armées françaises ne peuvent participer substantiellement au dispositif militaire atlantique en Centre-Europe. Les lacunes de ce dispositif sont d'ailleurs en partie comblées par la montée en puissance de la Bundeswehr dont le rôle est croissant dans la "défense de l'avant" (le "nez sur le rideau de fer"). En d'autres termes, les moyens français affectés à l'OTAN ne sont pas à la hauteur des ambitions nationales et les Etats-Unis, à l'instar des alliés européens, ne sont pas prêts à accorder un statut sur mesure à la France.

Les frustrations françaises sont croissantes et la crise de Suez (novembre 1956) révèle l'ampleur du malaise. Les Etats-Unis se sont opposés à la diplomatie de la canonnière que Paris et Londres pensaient pouvoir mener contre l'Egypte de Nasser. Sur fond de menaces soviétiques, les solidarités transatlantiques ont été durement éprouvées. De part et d'autre de la Manche, on en tire des enseignements contradictoires : les dirigeants britanniques renoncent à mener une politique de puissance en opposition aux Etats-Unis et ils se placent dans leur sillage; à Paris, on met surtout l'accent sur le fait que la France, comme l'ensemble des alliés européens, ne peut compter en toute circonstance sur la protection des Etats-Unis. De ce fait, il faudrait relativiser le rôle de l'OTAN, s'interroger sur les vertus du "parapluie" américain (protection militaire y compris sur le plan nucléaire) et privilégier la défense nationale. L'année suivante, Félix Gaillard, chef du gouvernement, renforce les crédits accordés au nucléaire militaire (1957).

Le retrait français des structures militaires intégrées de l'OTAN

Le contexte historique et géopolitique de la décision de De Gaulle (7 mars 1966)

Le 1er juin 1958, Charles De Gaulle revient au pouvoir dans le contexte d'une grave crise politique liée à la guerre d'Algérie et il met en place la Ve République dont il aura été le premier président. Tout en menant à son terme la décolonisation, il entreprend de refonder la politique étrangère française. De Gaulle veut mettre en oeuvre une politique axée sur l'idée d'indépendance et de grandeur ; il propose à son homologue américain, Dwight Eisenhower, une réorganisation d'ensemble de la défense atlantique (le Mémorandum du 17 septembre 1958) qui institutionnaliserait un groupe tripartite composé des Etats-Unis, de la France et du Royaume-Uni. Washington ne donne pas suite aux propositions françaises et les réticences des alliés européens s'ajoutent à celles des Etats-Unis. De Gaulle prend donc les premières initiatives qui laissent présager un retrait à terme des structures militaires intégrées de l'OTAN, une "manoeuvre" ordonnée autour de la nucléarisation de la posture stratégique française (discours du 16 novembre 1959, Ecole Militaire, Paris). Le passage de la France au nucléaire militaire intervient alors que les Etats-Unis réévaluent la stratégie des "représailles massives", une nouvelle doctrine qui, au sein de l'OTAN, suscite la crainte d'un découplage stratégique entre les deux rives de l'Atlantique. Washington ne tardera plus à adopter une stratégie dite de "riposte flexible"(graduation de la réponse militaire à une agression soviétique).

La question du statut de la France à l'intérieur de l'OTAN et celle de la place des forces nucléaires nationales dans la stratégie atlantique sont étroitement liées aux modalités d'organisation de l'Europe occidentale. Soucieux de peser de manière décisive dans l'ensemble transatlantique comme de se poser en interlocuteur "naturel" de l'URSS , De Gaulle entend donner une personnalité politique et militaire à l'Europe des Six, sous l'impulsion et la conduite de la France : ce sont les deux versions successives du plan Fouchet (1961-1962), repoussées par les partenaires européens de la France faute de référence claire et explicite à l'OTAN. C'est suite à cet échec que De Gaulle et Adenauer négocient les termes du traité de l'Elysée (22 janvier 1963) mais là encore ce cadre bilatéral ne peut faire abstraction des Etats-Unis et Bonn n'entend pas remettre en cause sa relation spéciale avec Washington au prétexte de la réconciliation franco-allemande (le préambule voté par le Bundestag réaffirme la primauté des solidarités transatlantiques). La politique française de la "chaise vide" (1965-1966), à l'intérieur de la CEE, et son épilogue illustrent enfin les limites de la politique européenne de De Gaulle.

C'est dans ce contexte diplomatique et géopolitique qu'il faut réinscrire la décision annoncée par courrier au président des Etats-Unis, le 7 mars 1966, de retirer les armées françaises des structures militaires intégrées de l'OTAN. La politique étrangère mise en oeuvre par De Gaulle vise à contester l'hégémonie américaine, tout en préservant les bénéfices de l'Alliance atlantique qu'il ne dénonce pas. Ainsi a-t-il précédemment fait montre d'une forte solidarité diplomatique sur les questions stratégiques les plus importantes comme la crise de Berlin (1958-1961) ou encore la crise de Cuba (octobre 1962). Il n'est pas inutile d'insister sur le fait que cette politique française d'affirmation nationale est aussi menée à l'encontre de la RFA dont De Gaulle redoute le retour de puissance, d'où un accord implicite avec les Etats-Unis pour contenir les ambitions nucléaires de Bonn. Trois mois après la décision du 7 mars 1966, De Gaulle se rend à Moscou où il se prononce pour "la détente, l'entente et la coopération" entre la France et l'URSS (20 juin 1966). Cette politique d'ouverture à l'Est marque un retour à la logique du pacte franco-soviétique de 1944 avec pour objectif de réaffirmer la primauté de la France en Europe occidentale, aux dépens de la RFA. Pourtant, cette nouvelle "politique à l'Est" et les espérances politico-stratégiques qui l'inspirent sont remises en cause par le Printemps de Prague (août 1968) et la glaciation brejnévienne. La Guerre froide n'est décidément pas terminée. L'année suivante, De Gaulle démissionne (27 avril 1969).

Le "grand dérangement" de l'OTAN et la crise France-Etats-Unis

La crise diplomatique qu'ouvre la décision de retirer les armées françaises des structures militaires intégrées de l'OTAN n'éclate pas brutalement, comme un orage dans un ciel d'été. Dans sa réponse au mémorandum envoyé par De Gaulle, le 20 octobre 1958, Dwight Eisenhower, président des Etats-Unis, n'ouvrait pas de perspectives à même de satisfaire les propositions de son homologue français. La seconde crise de Berlin (1958-1961) donne lieu à d'intenses consultations entre Paris, Washington et Londres mais ce format de consultation n'est pas consolidé par la création d'une structure institutionnelle tripartite (un directoire atlantique). De Gaulle pose donc des actes qui annoncent la suite des événements.

En 1959, la flotte française de Méditerranée sort du commandement de l'OTAN (mars) et le gouvernement français refuse l'entrepôt de charges nucléaires américaines sur son territoire (juin). Cette même année, De Gaulle prononce à l'Ecole militaire son discours fondateur sur la politique de défense de la France (3 novembre 1959), précédemment mentionné. En 1960, la France refuse de continuer à participer pleinement à la défense aérienne intégrée de l'OTAN. Ces décisions successives préparent le retrait français ; les revers de la politique européenne (rejet du plan Fouchet, déception quant au traité de l'Elysée) et les espoirs investis dans la "détente" poussent à l'accélération du rythme. De Gaulle annonce le retrait des structures militaires intégrées de l'OTAN lors de deux conférences, le 9 septembre 1965 et le 21 février 1966, décision confirmée ensuite par une lettre adressée au président Johnson (7 mars 1966).

Avec le retrait français, l'OTAN perd son "ombilic". Ce sont quelque 26 000 soldats américains, nombre des quartiers généraux de l'OTAN et l'ensemble de la structure politique de l'Alliance qui sont évacués vers la Belgique (Conseil de l'Atlantique Nord et SHAPE à Evere et Mons) et l'Italie (Collège de Défense à Rome), notamment. Ce "grand dérangement" ouvre une faille dans l'espace géostratégique transatlantique. Du fait que les armées françaises ne participaient pas à la "défense de l'avant" - elles avaient un rôle de second échelon dans le dispositif militaire allié -, il faut surtout mentionner les graves conséquences logistiques de la décision prise par De Gaulle. L'OTAN est privée des ports atlantiques et des lignes de communications internes du territoire français (axes routiers et ferroviaires), très importants pour renforcer les armées alliées dans le scénario d'une grande bataille en Centre-Europe.

Du point de vue français, on peut aussi considérer que les conséquences politiques du 7 mars 1966 et leur coût en termes de pouvoir ont été minorés. Membre fondateur de l'OTAN, la France sort du circuit interne de la décision politique, ce qui réduit d'autant son influence. De surcroît, la place de la langue française à l'intérieur des structures alliées recule, les nations alliées ne prenant plus soin d'envoyer systématiquement des personnels civils et militaires pratiquant, peu ou prou, la "langue de Molière". Pour l'opinion publique française, l'OTAN devient plus encore "quelque chose" de lointain, voire de menaçant, un simple outil entre les mains des Américains. Ces " dissonances cognitives", à savoir le grand écart entre les représentations mentales et la réalité des faits, ont des conséquences jusqu'à aujourd'hui, bien des Français découvrant avec l'engagement en Afghanistan que leur pays est membre de l'OTAN.

Le renforcement des synergies France-OTAN et la "défense de l'avant"

Pour autant, la menace soviétique demeure et la France reste membre de l'Alliance atlantique. Il faut donc parer au plus pressé et réorganiser la coopération militaire avec l'OTAN. Des missions militaires françaises sont mises en place auprès des commandements alliés ; elles ne sont pas intégrées dans ces structures mais elles y représentent le chef d'état-major des armées. Le cadre politico-juridique des Forces françaises en Allemagne (les FFA) doit aussi être renégocié et redéfini. Les accords Ailleret-Lemnitzer du 22 août 1967 fixent les modalités de la contribution militaire française à une éventuelle "bataille de l'avant" en Centre-Europe. Par ailleurs, divers arrangements logistiques sont passés entre la France et l'OTAN.

Dans les années 1970, la problématique des relations Est-Ouest n'est plus celle de De Gaulle. Il s'agit non plus d'anticiper le dégel du continent, pour faire advenir une "Europe européenne", mais de renforcer la cohésion occidentale dans un environnement géopolitique qui se dégrade sur l'ensemble des théâtres de la Guerre froide. Depuis le Printemps de Prague, l'Europe de l'Est semble vouée au statu quo ("glaciation"brejnévienne). La "détente" bute sur ses limites et le contexte stratégique pousse à l'approfondissement de la coopération militaire entre la France et l'OTAN. Le 3 juillet 1974 sont signés les accords Valentin-Ferber (le chef d'état-major français et le SACEUR américain) avec en toile de fond l'amélioration des relations entre Paris et Washington. L'idée qui peu à peu prévaut est de renforcer la capacité du corps de bataille français à s'engager en Centre-Europe. Le 19 juin 1976, Valéry Giscard d'Estaing, le président français (1974-1981) affirme qu'il n'y a qu'une seule "bataille de l'avant", dans un espace stratégique européen unifié .

Ce rapprochement doctrinal et stratégique se précise au cours des années 1980. Dans le contexte de "guerre fraîche" et de "bataille des euromissiles", le président François Mitterrand (1981-1988 ; 1988-1995) apporte son soutien à la RFA, de manière que l'opinion publique allemande accepte le déploiement de nouveaux missiles américains, pour contrebalancer les SS-20 soviétiques (discours du Bundestag, 20 janvier 1983). Pendant cette même période, la France met sur pied une Force d'action rapide (la FAR) dotée d'armes nucléaires tactiques qui pourrait intervenir en Centre-Europe, contribuant ainsi à la défense des frontières orientales de la RFA. Les synergies renforcées entre la France et l'OTAN ont aussi une dimension nucléaire stratégique. Le 19 juin 1974, la déclaration d'Ottawa reconnaît la contribution des forces nucléaires nationales à la dissuasion globale de l'OTAN ; les modalités d'emploi des armes nucléaires tactiques, françaises et « otaniennes », se rapprochent.

Au total, la France des années 1980 fait preuve d'une réelle solidarité atlantique mais cette dimension de la politique française de défense demeure une affaire d'"opérationnels" et d'initiés ; elle est en grande partie occultée par la politique déclaratoire de la France, la prégnance du discours anti-OTAN, la volonté de faire valoir l'"exception française" et de se rehausser vis-à-vis des Etats-Unis. La visibilité politique de la participation française au dispositif militaire de l'OTAN est donc faible : les dissonances cognitives, "as usual". Du fait de l'absence de la France dans les structures militaires intégrées, le "retour sur investissements", en termes d'influence sur la politique de défense de l'OTAN, est limité.

La « nouvelle OTAN » et les oppositions Paris-Washington

"Nouvelle OTAN" et Europe de la défense : des projets rivaux

A la fin des années 1980, l'affrontement Est-Ouest se termine par une "victoire froide". Les Etats-Unis, les pays membres de l'OTAN et l'ensemble des Occidentaux l'emportent mais selon des schémas autres que ceux de De Gaulle et de la diplomatie française. Ce n'est pas la convergence des systèmes Est-Ouest et la liquidation des alliances de la Guerre froide qui mènent à la réunification de l'Europe mais une rupture géopolitique qui s'est produite pendant les années Reagan (1980-1988). Le président des Etats-Unis qui lui succède, George Bush père, et son secrétaire d'Etat, James Baker, formulent alors la vision d'une vaste "communauté atlantique, de Vancouver à Vladivostok". L'OTAN est la poutre maîtresse de cette grande idée géopolitique. Lors des sommets atlantiques de Londres et de Rome, en 1990 et 1991, les pays membres de l'OTAN décident de rénover et d'élargir leur alliance. Cette ouverture à l'Est a depuis abouti à un triple élargissement : élargissement du nombre des Alliés ; élargissement de la zone d'influence, avec l'institution de partenariats (Partenariat pour la Paix à l'Est ; Dialogue méditerranéen au Sud), élargissement des missions de l'OTAN (gestion des crises, lutte contre la prolifération et le terrorisme). Plus qu'une alliance, l'OTAN forme aujourd'hui une communauté de sécurité et de défense euro-atlantique.

Bien que partie prenante des décisions de l'OTAN , la France met en avant, dès 1990-1991, un projet concurrent : un système de défense européen, dans le cadre de l'Union européenne (UE), sur la base de la PESC (Politique extérieure et de sécurité commune) prévue par le traité de Maastricht (1992). Peu avant que l'UE ne prenne forme, François Mitterrand avait proposé de fonder d'une " Confédération européenne" (1990), ce projet permettant de repousser sine die l'élargissement de l'UE aux pays d'Europe centrale et orientale (PECO). Tout en incluant l'URSS moribonde dans un ordre paneuropéen de sécurité, il en excluait simultanément les Etats-Unis. Ainsi la diplomatie française suscita-t-elle les méfiances conjuguées des Etats-Unis, de l'Allemagne et des PECO. Très vite, la tentative de coup d'Etat à Moscou (août 1991) et la dislocation de l'URSS (25 décembre 1991) firent échouer cette improbable confédération. En revanche, la ratification du traité Maastricht permit la mise en oeuvre d'une PESC (politique étrangère et de sécurité commune), ensuite prolongée par la PESD avec pour base une initiative franco-britannique (déclaration de Saint-Malo, 4 décembre 1998).

Sous les deux mandats présidentiels de Jacques Chirac, la diplomatie française accorde la priorité à la PESD, présentée comme le préalable d'une future "Europe-puissance"; la diplomatie américaine y voit principalement une machine de guerre contre l'OTAN et la volonté manifeste d'évincer les Etats-Unis des affaires européennes. Washington refuse donc toute "duplication" des structures atlantiques et s'efforce de maintenir la PESC-PESD dans un rôle subordonné (la seule gestion des crises, avec un "droit de premier refus" à l'OTAN). Jacques Chirac entend pour sa part limiter le rôle de l'OTAN à celui d'une alliance de dernier recours, face à une hypothétique menace massive et directe sur l'ensemble de l'Europe. La diplomatie française s'efforce de promouvoir la PESD sur différents théâtres de crise (les Balkans ; l'Afrique subsaharienne) et de renforcer ses moyens propres (mise sur pied d'un état-major stratégique opérationnel et renforcement de l'Agence européenne de défense). Pendant cette période, différentes crises franco-américaines ont entre autres pour enjeu la réforme de structures de commandement de l'OTAN (" bataille de Naples", 1996-1997) et son rôle international (guerre d'Irak en 2003). Jacques Chirac s'oppose notamment à la "globalisation" de l'OTAN, nonobstant l'engagement des Alliés en Afghanistan (2003), ainsi qu'à l'adjonction de missions civilo-militaires qui devraient principalement relever de l'UE.

L'engagement militaire français dans la "nouvelle OTAN"

Au cours des années 1990, les nouvelles guerres balkaniques (Bosnie-Herzégovine et Kosovo) et les craintes de déstabilisation des PECO d'une part, l'incapacité des pays membres de l'UE à faire corps et à intervenir ensemble sur le plan militaire d'autre part, amènent pourtant la France à s'engager dans la rénovation et les missions de l'OTAN. La forte participation des armées françaises à ces missions conduit logiquement au rapprochement des structures militaires intégrées qui commandent et contrôlent les troupes déployées sous les couleurs de l'OTAN. Dès 1995, les Français rejoignent le Comité militaire et l'Etat-major international de l'OTAN qu'ils avaient quittés près de trente années auparavant. Entre 1996 et 2002, la France joue un rôle majeur dans la négociation des accords dits de "Berlin plus"(mise à disposition de moyens militaires de l'OTAN au service de l'UE) : ces accords conditionnent le bon fonctionnement de la PESD mais ils amènent aussi les Français à s'investir plus encore dans les structures de l'OTAN. Au cours de cette même période, des officiers généraux français commandent les forces déployées sous drapeau de l'OTAN en Afghanistan (2004) et au Kosovo (2004-2005).

Lors du sommet atlantique de Prague, les 21-22 novembre 2002, Paris accepte le projet de NATO Response Force et les armées françaises font aujourd'hui partie des principaux contributeurs de cette force en devenir. En 2004, 107 militaires français sont officiellement « insérés » dans les commandements alliés et les principaux états-majors nationaux sont mis aux normes de l'OTAN (états-majors de réaction rapide Terre à Lille, Air à Taverny et Mer à Toulon), avec intégration d'officiers alliés, y compris des Américains. Pendant cette période de "transformation", la France soutient aussi les divers élargissements de l'OTAN à l'Est et au Sud-Est (1999, 2004, 2009-2010), exception faite de la Géorgie et de l'Ukraine . En avril 2009, lors du sommet de Strasbourg-Kehl, le retour plein et entier de la France dans les structures militaires intégrées de l'OTAN devrait être officialisé, conformément à ce qui a été annoncé à Bucarest (avril 2008). Environ 900 officiers et sous-officiers feraient donc leur retour dans toutes les structures existantes, y compris le Comité des plans de défense (CPD), mais la France resterait à l'extérieur du Groupe de planification nucléaire (GPN), dont le rôle est aujourd'hui limité . En retour, le Commandement de la Transformation (Norfolk) et le quartier général de Lisbonne (un commandement régional) devraient revenir à des officiers généraux français .

La pleine participation de la France à l'OTAN : clefs de lecture et d'interprétation

La mise en perspective historique des relations entre la France et l'OTAN permet de relativiser la "rupture" que certains veulent voir dans la décision de Nicolas Sarkozy (pleine participation aux structures militaires). Des tendances lourdes sont à l'oeuvre et si rupture il y a, c'est dans l'ordre des représentations et des discours, plus en adéquation avec les réalités stratégiques et géopolitiques. Selon un scénario fréquemment évoqué, la décision de réintégrer les structures militaires de l'OTAN relèverait d'un " marché" (un "deal") entre Français et Américains. La France clarifierait sa position vis-à-vis de l'OTAN, renoncerait à son "exception" et cesserait de se poser en rivale, sur le plan rhétorique, des Etats-Unis. Ainsi rassurerait-elle ses alliés et partenaires européens quant à ses projets dans le domaine de la PESD. L'"Europe de la défense" n'est pas la défense de l'Europe et elle n'a donc pas vocation à supplanter l'OTAN. En contrepartie, les Etats-Unis ne s'opposeraient plus à la PESD et ils encourageraient les membres européens de l'OTAN, le Royaume-Uni en tout premier lieu, à soutenir les projets français en ce domaine . Le "special relationship" américano-britannique pourrait ainsi jouer dans le sens d'une UE plus substantielle sur le plan militaire et sécuritaire. Dans le cadre de ce scénario, l'engagement accru des armées françaises en Afghanistan, annoncé à Bucarest en avril 2008, serait un geste de bonne volonté à l'égard des Américains.

Ce modèle explicatif ne correspond que pour partie aux réalités et la pleine participation de la France à l'OTAN s'inscrit dans des évolutions de fond. Pour bien comprendre les ressorts des décisions françaises, il faut se reporter au contexte géopolitique présent et prendre en compte les limitations inhérentes à l'UE. Aux confins et limites de l'ensemble UE-OTAN, risques et menaces obèrent la sécurité des Européens. L'aire géopolitique méditerranéenne (Moyen-Orient inclus) demeure la principale zone de conflit au plan mondial et, dans l'hinterland européen, la volonté de puissance de la Russie ne pourra longtemps être éludée ; la guerre russo-géorgienne et l'annexion de facto des territoires séparatistes d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud ont remis en cause un certain nombre d'illusions (le soft power de l'UE sur ses frontières orientales ; la libéralisation politique et économique de la Russie). Quant à l'Afghanistan, il ne s'agit pas tant de faire de ce théâtre d'opération le banc d'essai d'une "OTAN globale", ou de pratiquer une forme de "power bargaining", que d'éviter la reconstitution d'un émirat islamique, centre nerveux du terrorisme mondial. L'importance des enjeux de sécurité suffit à expliquer l'intérêt maintenu pour l'OTAN et, par le truchement de cette alliance transatlantique, la "réassurance" américaine.

Face aux risques et menaces de cette nouvelle ère, l'UE et son prolongement civilo-militaire, la PESD, ont en effet leurs limites. A rebours de la vision d'une "urope-puissance" comme pôle organisateur d'un "brave new world" multipolaire et onusien, l'UE se révèle être un simple Commonwealth paneuropéen, aux liens lâches et distendus. Il n'y a en son sein ni consensus pour le transformer en un Commonwill politique et stratégique, ni force motrice ou acteur hégémonique susceptible de rassembler les énergies et les volontés. Aussi l'OTAN demeure-t-elle le point d'équilibre géopolitique des différents Etats européens, sinon ennemis, du moins rivaux et concurrents . Dans ce cadre transatlantique, les Etats-Unis assument le double rôle de " balancier au large" et d'assureur en dernier ressort. La France prend donc acte de ces réalités. Près de vingt années se sont écoulées depuis la chute du mur de Berlin et la nouvelle "théorie des ensembles", annoncée par François Mitterrand, ne s'aligne pas sur les schémas diplomatiques français post-Guerre froide. L'océan Atlantique ne fait pas rupture et le nouvel activisme russe provoque en retour un intérêt croissant pour l'OTAN de la part de pays "non alliés" : la Finlande et la Suède coopèrent étroitement avec les Alliés et certains songent à rejoindre l'OTAN. La négociation entamée par l'UE avec la Russie en Géorgie montre qu'il est certes possible de dégager un consensus intra-européen, fragile toutefois, mais celui-ci sera d'autant mieux établi que les Européens pourront s'adosser au pilier américain et à l'OTAN.

Eléments de réflexion et de conclusion

La nouvelle attitude française vis-à-vis de l'OTAN, un aggiornamento publiquement assumé par Nicolas Sarkozy, suscite un certain émoi dans une partie du "monde de la défense" sans que véritablement cela débouche sur un grand débat dans la classe politique et les médias, avec prise à témoin de l'opinion publique. Certaines prises de position politiques sont abruptes mais le plus souvent, elles se réduisent à une invocation des mânes de De Gaulle. La portée de la décision du 7 mars 1966 est surestimée, le contexte méconnu, et les profondes transformations stratégiques et géopolitiques intervenues dans les deux dernières décennies ne sont pas prises en compte. Ainsi l'OTAN est-elle dénoncée comme constituant un "bloc" américano-centré auquel le président français aurait entrepris de "vassaliser" la France dont la mission universelle serait de prendre la tête des "non-alignés". Le sinistrisme de la vie politique française ("Pas d'ennemi à gauche" ) explique pour partie le fait que l'argumentaire anti-OTAN reprend des éléments de langage hérités de la Guerre froide et forgés par des forces hostiles à l'idée même d'une alliance transatlantique. Dans ce contexte, il semble parfois difficile d'aborder rationnellement ces questions sans être rejeté du côté du "parti de l'étranger".

Outre le fait que l'OTAN n'a jamais été le symétrique inversé du Pacte de Varsovie, ce sont les pays ouest-européens qui ont travaillé à l'engagement militaire américain en Europe, cette organisation s'est profondément transformée depuis 1989-1991. En fait, le concept d'« intégration » n'est plus véritablement pertinent pour approcher le fonctionnement de l'OTAN qui n'a rien d'un "bloc" politico-militaire. Les pays membres de l'OTAN, qui ont en partage la clause de défense mutuelle (article 5), prennent leurs décisions à l'unanimité et aucun d'entre eux n'a été contraint à participer à une intervention militaire à laquelle il s'opposait (voir l'Irak en 2003). Sur le théâtre afghan, chaque pays définit ses règles d'engagement et les restrictions nationales en la matière (les caveat) l'emportent sur l'intégration militaire. Dans une large mesure, l'OTAN fonctionne désormais à la carte, ce qui est d'ailleurs susceptible de poser problème, conformément aux conceptions gaullistes.

Enfin, l'OTAN est trop souvent perçue en France comme une structure résiduelle, nécessairement amenée à disparaître pour le plus grand profit d'une future "défense européenne". Ainsi la pleine participation aux structures militaires atlantiques devrait-elle s'apprécier au regard de gains tangibles et immédiats dans le domaine de la PESD. Que l'OTAN soit traversée de débats contradictoires et affectée de certaines faiblesses est indéniable. Encore faut-il être conscient que les faiblesses de l'OTAN sont celles de ses pays membres, sur le plan militaire notamment ; l'insuffisance des efforts de défense en Europe ne peut qu'affecter les développements de la PESD. La mise en oeuvre du traité de Lisbonne et la transformation de la PESD en une PCSD (Politique commune de sécurité et de défense) ne suffiront pas à ouvrir une claire perspective à l'hypothétique "défense européenne". Dès lors, l'OTAN se révèle indispensable tant pour la défense de l'Europe que pour les opérations les plus lourdes. C'est à l'aune de ces réalités qu'il faut apprécier la décision de s'investir pleinement dans la rénovation de l'Alliance et de renforcer le pouvoir d'influence de la France au coeur des structures atlantiques.

Appréhendée dans la durée, la défense de l'ensemble euro-atlantique semble devoir relever d'une alliance refondée entre les Etats-Unis et l'Union européenne en tant que telle, cette perspective géopolitique servant d'idée régulatrice. Pour autant, il faut se garder des schémas constructivistes - mal compris, le cartésianisme porte à l'esprit de géométrie -, et ne pas s'installer dans le temps de la finalité accomplie. Nous n'en sommes pas là et beaucoup de choses dépendront de la capacité des Etats-Unis à renouveler leur "leadership" d'une part, de la capacité de l'UE à s'auto-organiser d'autre part. Dans l'immédiat, ce n'est pas en déconsidérant les pays européens pleinement investis dans l'OTAN que les Français parviendront à les convaincre de renforcer l'Europe de la défense. L'heure est décidément venue de clarifier le discours français et de réduire les "dissonances cognitives" ; la France est dans l'OTAN et elle doit y exercer une influence à la mesure de sa contribution au "bien commun" de l'Alliance. "

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