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Publié par De La Boisserie

Les autorités israéliennes s'étaient réjouies un peu vite à la fin de la conférence sur la sécurité nucléaire, les 12 et 13 avril, à Washington. En dépit des interventions de représentants arabes stigmatisant le statut singulier de l'armement nucléaire d'Israël, l'alerte n'avait pas été très chaude car le programme nucléaire de l'Iran avait dominé les débats. Il en va autrement avec la déclaration adoptée le 5 mai, à New York, par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies (Etats-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne et France), en marge de la conférence de suivi du traité de non-prolifération nucléaire (TNP).

Dans ce texte, les cinq puissances nucléaires officielles reprennent à leur compte la résolution de 1995 du TNP, qui avait appelé à l'établissement d'une zone dénucléarisée au Proche-Orient. Cette initiative vise bien sûr l'Iran, mais pas seulement. Israël est en effet la seule puissance nucléaire reconnue de la région, avec un arsenal que l'organisation américaine Arms Control Association évalue entre 75 et 200 têtes nucléaires.

Il s'agit donc d'un revers diplomatique - mais à ce stade encore limité -, pour Israël, dont la politique dite d'"ambiguïté" (qui vise à maintenir la fiction selon laquelle il ne "sera pas le premier (Etat) à introduire des armes nucléaires au Proche-Orient") est tacitement soutenue depuis plusieurs décennies par les Etats-Unis. Le fait que Washington critique implicitement le statut nucléaire d'Israël est interprété, à Jérusalem, comme un signe de la dégradation des relations bilatérales.

Cette initiative des Cinq est d'autant plus préoccupante qu'elle s'accompagne de celle du directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Yukiya Amano, qui, dans une lettre du 7 avril (rendue publique mercredi 5 mai), demande aux ministres des affaires étrangères des 151 Etats membres de l'organisation de Vienne de lui fournir "leurs points de vue" pour tenter de convaincre Israël de signer le TNP.

Déjà en septembre 2009, l'AIEA avait adopté une résolution au titre sans ambiguïté ("Capacités nucléaires israéliennes"), enjoignant l'Etat hébreux de placer ses installations nucléaires, c'est-à-dire notamment son réacteur de Dimona, dans le Néguev, sous sa supervision. Les Israéliens ne peuvent pourtant pas être surpris par la déclaration des Cinq. Depuis plusieurs mois, des responsables américains étaient en contact avec le gouvernement égyptien, qui a pris la tête du combat en faveur d'un Proche-Orient débarrassé d'armes nucléaires, qui vise notamment Israël.

L'Egypte, chef de file des pays non alignés au sein de la conférence du TNP, avait prévenu que si elle n'obtenait pas satisfaction avec la déclaration des Cinq, elle s'opposerait à toute autre décision de la conférence. La secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, s'est efforcée d'atténuer l'inquiétude israélienne en soulignant que la perspective d'un Proche-Orient dénucléarisé ne saurait voir le jour sans un accord de paix régional. Elle a également rappelé que les Etats-Unis demandent à tous les pays de la région de renoncer à leurs armes de destruction massive.

Les autorités israéliennes ont refusé de commenter la déclaration des Cinq. Interrogé par Le Monde sous le couvert de l'anonymat, un responsable israélien rappelle cependant la position officielle : "Nous maintenons notre soutien au principe d'un Proche-Orient dénucléarisé. Mais pour que cette option soit abordée de façon sérieuse, il faudrait qu'il y ait des relations de paix entre tous les pays de la région, sinon c'est un voeu pieux. Sans la paix, c'est une initiative qui n'a aucun sens."

"De plus, ajoute-t-il, il ne faut évidemment pas se contenter de viser les seules armes nucléaires, mais toutes les armes de destruction massive. Or les pays arabes n'ont entériné aucun traité ou presque interdisant les armes bactériologiques et chimiques. Cette déclaration, se rassure-t-il, ne cite pas nommément Israël, même si nous savons bien à quoi nous en tenir."

Israël n'a aucune intention de signer le TNP. Il estime que ce traité a démontré son inefficacité, puisqu'il n'a pas empêché des pays comme l'Iran, mais aussi la Syrie, la Libye et l'Irak de franchir clandestinement certaines étapes menant à la production d'armes atomiques. Ces programmes ont précipité par le passé, des interventions de l'armée israélienne (en Irak en 1981 et en Syrie en 2007).

L'arsenal nucléaire d'Israël a rarement été à ce point mis sur la sellette. Ephraim Kam, expert des questions nucléaires et de l'Iran à l'Institut pour les études de sécurité nationale (INSS) de Tel-Aviv, explique que si cette déclaration des Cinq reste sans lendemain, le revers sera probablement sans conséquence pour Israël. "Tout dépend si Washington ira plus loin, en adoptant des mesures concrètes, pratiques, pour faire pression sur Israël, afin qu'il rejoigne le TNP, observe-t-il. Ce n'est qu'ainsi que nous verrons si les Etats-Unis ont changé d'attitude. Le dialogue sur ce point va s'engager avec Washington."

Les Israéliens comprennent l'intention américaine, qui vise à donner des gages aux pays - Russie et Chine notamment - réticents à adopter des sanctions plus dures contre l'Iran, alors que, de leur point de vue, l'arsenal nucléaire d'Israël bénéficie d'une sorte d'impunité de la part de la communauté internationale.

Ils estiment cependant que la tentation de vouloir renvoyer dos à dos le régime iranien et les autorités israéliennes est un positionnement à la fois inique et dangereux.

 

Traité de non-prolifération nucléaire. Israël n'est pas membre du TNP et n'a pas signé la Convention sur les armes biologiques (bactériologiques). L'Etat hébreux a signé, mais non ratifié, la Convention sur les armes chimiques.

Vecteurs. L'armée israélienne en disposerait potentiellement de trois pour utiliser ses armes nucléaires : ses avions F-16 et F-15 ; les missiles balistiques Jericho I et II ; des missiles de croisière embarqués sur trois sous-marins de la classe Dolphin.

Cinq zones libres d'armes nucléaires. Créées par traité, elles concernent l'Amérique latine et la Caraïbe (traité de Tlatelolco, en 1967), le Pacifique sud (traité de Rarotonga, en 1985), l'Asie du Sud-Est (traité de Bangkok, en 1995), l'Afrique (traité de Pelindaba, en 1996) et l'Asie centrale (traité de Semipalatinsk, en 2006).

 

NB : Cet article a été publié sur le site LeMonde.fr le 07 mai 2010.

 

 

 

 

 

 

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