Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Publié par Patrice Cardot

C'est l'arroseur arrosé : alors même que, si souvent, dans les capitales nationales, l'Union européenne est caricaturée pour ses prétendues carences démocratiques, voilà qu'une tentative de coup de force vient d'être déjouée, en France, par le Parlement européen. Il est bon que les citoyens le sachent.
Comme souvent en matière européenne, l'affaire semble compliquée, mais la question de fond est simple : l'article 14.3 du traité sur l'UE selon lequel " les membres du Parlement européen sont élus au suffrage universel direct " a-t-il un sens ? Ou les chefs d'Etat et de gouvernement peuvent-ils décréter que des élus nationaux font aussi bien l'affaire pour être députés européens ?

Récapitulons. Dans la négociation du traité de Lisbonne, la représentation parlementaire de plusieurs pays a été revue pour des raisons démographiques : l'Allemagne perd par exemple trois députés, l'Espagne en gagne quatre, etc. La France obtient deux élus de plus, le nombre total des députés européens de notre pays passant de 72 à 74. Quand il est apparu que le traité de Lisbonne n'entrerait pas en vigueur avant les élections de juin 2009, le Conseil européen de décembre 2008, sous présidence française, a prévu " des mesures transitoires ".

Afin de ne pas retarder de cinq ans l'augmentation du nombre des élus, un statut d'observateur leur serait donné en attendant une révision des traités en bonne et due forme. Les 18 et 19 juin 2009 (après les élections européennes), le Conseil européen a précisé que les députés supplémentaires pourraient être choisis " soit par une élection ad hoc, soit par référence aux résultats des élections européennes, soit par désignation par leur Parlement national ".

La " référence aux élections européennes " devenait ainsi facultative ! Une élection législative antérieure vaudrait élection pour le Parlement européen. Qu'importe si, à l'époque, l'électeur ignorait qu'il choisissait son représentant à Strasbourg : dans l'esprit des chefs d'Etat et de gouvernement, cette "onction" nationale devenait suffisante !

C'est du moins l'option que la France s'apprêtait à retenir. Dans une lettre singulière en date du 30 novembre 2009, le premier ministre, François Fillon, demandait au président de l'Assemblée nationale de " désigner " deux députés nationaux " conservant à titre transitoire leur mandat national ", qui siégeraient comme observateurs au Parlement européen. Ce choix marquait à l'évidence une régression, le Parlement européen étant, depuis 1979, élu au suffrage universel direct et non plus composé, comme auparavant, de députés nationaux.

Les Parlements nationaux ont obtenu, dans le traité de Lisbonne, un rôle accru dans l'UE. C'est heureux, mais cela ne suffit pas à rendre le suffrage universel direct interchangeable ni malléable. Car notre premier ministre demandait aussi au président de l'Assemblée nationale, " pour éviter toute polémique inutile ", de retenir des modalités de désignation permettant la désignation d'observateurs appartenant, l'un à un groupe de la majorité, l'autre à un groupe de l'opposition. Le fait du prince fixait le résultat de l'élection comme il choisissait la procédure !

Il aurait pourtant suffi que les autorités françaises, comme d'autres Etats membres l'ont fait, et comme l'avait proposé Gérard Onesta, alors vice-président (Vert) du Parlement européen, prennent, avant les élections de juin 2009, un texte précisant dans quelle région les élus supplémentaires seraient le cas échéant choisis. La règle connue à l'avance, le cadre électoral européen respecté, la désignation a posteriori aurait été moins discutable. Mais rien n'a été prévu en France au motif, nous dit-on, que cela posait un problème juridique. La belle affaire ! Comme si cette " promotion " de députés nationaux ne violait pas les traités communautaires ! On aurait pu songer à attribuer ex post les deux sièges sur la base du scrutin de juin 2009, en retenant un critère aussi objectif que possible comme l'équité dans la représentation démographique. La volonté exprimée par les électeurs aurait au moins été prise en compte, ce qui n'est pas le cas avec le recours aux élus nationaux.

L'obligation de réviser les traités donnait au Parlement européen un droit de regard. C'est grâce à la réaction vigoureuse de députés de plusieurs groupes du Parlement européen, dont Andrew Duff (ALDE - RU), rapporteur de ce dossier, et au refus du Parti socialiste français de se prêter à cette mascarade, que le gouvernement français a renoncé à faire "désigner" les députés le 13 janvier, comme il l'avait prévu.

Cette affaire est très révélatrice. Primo, elle démontre qu'en dépit de la " légende dorée " de la présidence française, les dirigeants français actuels se désintéressent de l'UE et ne la respectent guère. S'ils voulaient définitivement dégoûter les Français d'aller voter à l'élection européenne, ils ne pouvaient pas s'y prendre mieux ! Secundo, elle en dit long sur leur capacité à gaspiller notre influence et nos intérêts : deux députés français ont été perdus - jusqu'à nouvel ordre - par impréparation puis entêtement dans des solutions " monarchiques ". Bravo !

Le président de la République et le premier ministre n'ignorent pourtant pas que le traité de Lisbonne, négocié par eux en 2007 confère au Parlement européen des pouvoirs décisifs. Celui-ci décide désormais sur un pied d'égalité avec le conseil des ministres, de la politique agricole commune, des futurs développements dans les négociations climatiques ou de la supervision financière européenne. Dans ce contexte, affaiblir la représentation parlementaire, c'est entraver la marche de l'UE.

Décidément, si " déficit démocratique " il y a, comme disent les eurosceptiques, c'est plus à Paris et dans certaines capitales désinvoltes envers le droit, qu'à Bruxelles. La semaine où le Parlement européen procède aux auditions des futurs commissaires, soumettant les responsables exécutifs à un contrôle qui n'existe dans aucun Etat membre, le contraste est saisissant !

Les adversaires du maintien du siège du Parlement à Strasbourg vont en faire leurs choux gras. Alors que le siège alsacien est contesté, que le symbole de la réconciliation franco-allemande a perdu de sa force, les autorités françaises devraient faire preuve d'un plus grand respect pour le Parlement européen et pour la démocratie en général.

 

Sylvie Goulard est députée européenne (ALDE-MoDem) ;

Dany Cohn-Bendit est député européen, coprésident du groupe des Verts.



Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article