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Publié par Paul Auster

L'arrivée de Charles de Gaulle à la tête de l'Etat en 1958 a permis de réformer un système politique français à bout de souffle. 55 ans plus tard, la France traverse une nouvelle crise d'ampleur.

1958 est une année de crise pour la France. En avril, le gouvernement Félix Gaillard est mis en minorité. C’est le début de la crise politique, et personne ne souhaite devenir Président du Conseil. Le 13 mai, en réaction à cette instabilité politique - et à l'impuissance de la IVe République face à l'insurrection algérienne depuis 1954 - le général Jacques Massu constitue un Comité de salut public à Alger et exige la création en France d’un gouvernement d’exception. Le général de Gaulle accepte deux semaines plus tard de prendre la tête de l'Etat. Sur le plan économique, la situation est également difficile. Le Plan Pinay-Rueff d'assainissement financier est mis en oeuvre en décembre. Il s'accompagne d'une dévaluation de 17,5 % - la 7e depuis la Libération - et la création du nouveau franc.

Atlantico : La crise de mai 1958 marque l'arrivée du général de Gaulle au pouvoir dans un contexte quasi-insurrectionnel de création d'un Comité de salut public à Alger par le général Massu le 13 mai suite à un coup d'État (putsch d'Alger de 1958). Que se serait-il passé sans la figure de l’ « homme providentiel » qu’était de Gaulle ? Quelle aurait été l’issue la plus probable de la crise ?

Philippe Braud : Il est impossible de réécrire l’histoire. On peut seulement affirmer deux choses. D’une part que la paralysie institutionnelle était à l’époque si dommageable au pays qu’une profonde révision des institutions, avec ou sans de Gaulle, était de toute façon inéluctable. Mais cette révision aurait sans doute été moins radicale et plus lente à venir. D’autre part, que la poursuite de la politique d’intégration de l’Algérie à la France était de toute façon illusoire, politiquement et financièrement. Pour n’évoquer qu’un aspect des choses, l’évolution démographique en Algérie aurait exigé que pour rester une démocratie, la République accueille plus d’un tiers de députés musulmans au Palais-Bourbon. Même Jean-Marie Le Pen aurait-il été prêt à l’accepter ? Mais là encore, le processus politique aurait été plus lent et l’indépendance de l’Algérie aurait probablement attendu encore de trop longues années.

David Valence : Vous m'invitez à faire de l'uchronie, c'est-à-dire à imaginer une histoire qui aurait pu advenir... mais qui n'est pas advenue. C'est un exercice très utile intellectuellement, car cela permet de regarder ensuite l'Histoire avec suffisamment de fraîcheur pour en saisir la part d'imprévu.

Le 13 mai 1958, puis les jours suivants, l'Algérie, alors divisée en plusieurs départements français, est entrée en quasi-sécession en réaction au choix de Pierre Pflimlin, un élu démocrate-chrétien, alsacien et réputé "libéral" en matière coloniale, comme président du Conseil des ministres. Du reste, peu avant que de Gaulle succède officiellement a Pflimlin comme président du Conseil, le 1er juin 1958, un autre territoire français avait fait quasi-sécession : la Corse.

Si de Gaulle n'avait pas été investi, on peut imaginer deux scenarii. L'hypothèse d'une extension de la contestation, avec rébellion d'une partie des forces militaires de métropole contre le pouvoir central, était la plus redoutée à l'époque. Une autre hypothèse était possible avec la sécession durable de l'Algérie et l'invention, avec l'appui d'une armée rebelle, d'un régime algérien où les populations d'origine européenne auraient conservé la maîtrise des affaires politiques.

Ce qui a empêché qu'on arrive à ces situations ? Deux choses : De Gaulle, c'est-à-dire un homme providentiel, comme vous dites. Et le contingent qui, mobilisé depuis 1956, n'aurait jamais accepté d'obéir à des chefs qui auraient durablement coupé les liens avec la France pour construire une République algéro-française sur le modèle de la Rhodésie, par exemple.

Le risque de voir le pays sombrer dans la guerre civile était-il réel ?

Philippe Braud : Le risque de heurts armés, d’échauffourées sanglantes, oui, était réel en mai 1958. Celui de guerre civile, non, je ne le crois pas. Personne n’y était vraiment prêt. L’armée était trop intégrée dans l’OTAN, les syndicats et partis de gauche bien incapables d’organiser une lutte armée et surtout, l’opinion publique trop indifférente, préférant cueillir pacifiquement les premiers fruits des « Trente Glorieuses » sur le plan économique.

David Valence : Pas au sens où, en métropole, des masses de citoyens auraient pu s'entretuer, comme sous la Révolution française en Vendée ou à Nîmes, par exemple. Mais le risque d'un vrai coup d'état militaire à Paris n'était pas nul, qui aurait entraîné, pour la France, des conséquences dramatiques.

N'oubliez pas, en outre, que notre pays se trouvait dans une situation financière dramatique en 1958. Elle dépendait largement des rallonges américaines à son propre budget, et en cas de coup d'état militaire, le pays aurait cruellement manqué de liquidités pour payer ses fonctionnaires par exemple.

Un régime né sous des auspices autoritaires n'aurait pu survivre plus de quelques mois ou de deux-trois années. Mais la France se serait, à leur issue, trouvée dans une situation encore plus désespérée.

En France, les crises peuvent-elles être résolues sans le recours à un homme d’exception ?

Philippe Braud : Il faut réexaminer, je crois, les termes de la question. C’est la solution de la crise qui fait l’homme d’exception et non l’inverse. Et cette solution ne dépend jamais de l’action d’un seul homme, de la volonté d’une personnalité providentielle ; elle est la résultante d’un contexte et d’une multitude de facteurs. Si Hitler avait gagné la guerre, ou si Pétain avait su tenir tête aux Allemands, l’action de De Gaulle en 1940 ne lui aurait pas valu l’épithète d’homme d’exception. Or, la réalisation ou l’échec de ces deux scénarios n’a en rien dépendu de sa volonté. En d’autres termes, je crois que l’on peut dire qu’en politique il y a moins d’hommes exceptionnels que d’exceptionnelles projections. Et ce sont celles-ci qui, après coup, « créent » l’homme providentiel dont le crédit peut, il est vrai se révéler utile par la suite, dans d’autres conjonctures politiques.

David Valence : Notre propension à rechercher un "sauveur" a été bien identifiée et étudiée par l'historien Raoul Girardet, dans un livre magnifique : "Mythes et mythologies politiques". Il y montre qu'en situation de crise grave et d'épuisement du modèle démocratique, nous avons tendance à rechercher un "sauveur", qui sortira "miraculeusement" le pays de l'ornière dans laquelle il a versé. Ce fut vrai de Napoléon après les guerres révolutionnaires et l'instabilité de la Convention, puis du directoire. Ce fut vrai de Clemenceau en 1917, alors que la guerre était peut-être en passe d'être perdue. Ce fut vrai de De Gaulle, en 1958.

Mais il arrive qu'on se trompe de sauveur, et alors l'histoire se finit en queue de poisson, ou pire, en drame : ainsi de Boulanger dans les années 1880, de Pinay en 1952... Ou de Pétain en 1940.

Je crois qu'on se trompe en répétant bêtement et sur tous les tons que les Français ont le cœur monarchiste. Notre pays est très profondément républicain. Mais par lassitude, par illusion, par souci d'éviter des efforts nécessaires ou des sacrifices douloureux, par suite du constat lucide de l'épuisement ponctuel du modèle démocratique aussi -Tocqueville nous a alertés sur le risque que la démocratie se corrompe en préférence pour la médiocrité- les Français rêvent volontiers, en période de crise, d'un "sauveur". Le risque est de se tromper de sauveur, évidemment, comme beaucoup de Français en 1940 !

Source : http://www.atlantico.fr/decryptage/france-ebranlee-crise-aussi-grave-que-celle-1958-mais-t-gaulle-horizon-david-valence-philippe-braud-690959.html

 

 

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