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Publié par ERASME

Jean-Marc Ayrault annoncera ce mardi les premières mesures afin de créer le "choc de simplification" promis par François Hollande la semaine dernière. L'objectif étant d'alléger les procédures administratives et les les normes pesant sur l'activité économique.

Atlantico : Les rapports sur les gaspillages, excès et dysfonctionnements publics se succèdent sans être jamais suivis de faits concrets. La France ne semble bonne qu'à poser des diagnostics alarmants et reste incapable de passer à l'acte malgré le volontarisme affiché des politiques. Comment expliquez-vous cette "impuissance" de la puissance publique ? Les politiques sont-ils victimes d’un excès de technocratie ?  

David Valence : Il semble en effet qu'en France, les discours et les décisions en faveur d'un État plus modeste se heurtent toujours au mur du réel. Or, en Grande-Bretagne par exemple, la dépense publique a, elle, structurellement baissé depuis la fin des années 1970. A cette époque, les dépenses publiques britanniques étaient encore supérieures, par tête, a celles des Français. Cela semble une époque préhistorique ! Pourquoi ce qui est possible en Grande-Bretagne ne l'est pas, ou l'est moins, en France? Ou, pour sortir des comparaisons clivantes, pourquoi un "État modeste" mais efficace parait-il impossible apparemment en France?

On pourrait invoquer mille raisons a cela. Il en est une qui résume toutes les autres, et est presque philosophique : c'est que nous croyons, en France, à l'intérêt général. Ou plutôt que le discours de "l'intérêt général" joue, chez nous, comme un argument d'autorité qui vient freiner ou empêcher certaines réformes, certains bouleversements. Vous voulez supprimer les départements ? On vous oppose la solidarité entre les différents territoires, donc "l'intérêt général". Vous voulez confier certaines missions de l'administration à des entreprises à travers des délégations de service public ? Vous pouvez le faire, mais ce n'est pas bien, c'est "contraire a l'intérêt général".

Cette expression est magique. Ceux qui l'utilisent ne la définissent jamais. C'est comme si cet "intérêt général", volontiers habillé des noms de "République" par d'aucuns, se passait de définition, de justification. Comme si un peuple n'avait pas besoin du débat démocratique pour définir ce qu'est, précisément, son intérêt. Cette rhétorique de l' "intérêt général" n'empêche pas toujours de réformer l'administration en France. Mais elle fait perdre du temps, elle impressionne les réformateurs les plus hardis. C'est la tête de Méduse du débat sur la réforme de l'Etat !

Séverin Naudet : La difficulté que nous avons à réformer la société française est extrême parce qu’elle est historique et donc culturelle avant d’être structurelle. Les Bourbons et leurs gouvernements successifs ont créé une société de connivences et de clientèles. La monarchie a disparu emportée par les Lumières et finalement par la puissance d’une nouvelle forme d’Etat incarnée par de nouvelles castes de privilégiés. L’Etat omniprésent, omniscient favorisant le corporatisme, les monopoles, entravant la liberté d’entreprendre, la concurrence, donc l’innovation et favorisant in fine l’immobilisme lui a survécu. Nous avons hérité de ce modèle.

La 5ème République aurait dû être le moyen d’y mettre un terme, il n’y a pas de mandat plus puissant entre les mains d’un homme que celui donné par le peuple souverain au président de la République. Les présidents de la République détiennent la puissance publique. Ils devraient l’utiliser pour adapter la structure et le fonctionnement de l’Etat aux besoins du pays, pour le réformer en profondeur, au lieu de ça ils se transforment en héritier d’un système qu’il faut protéger à tout prix. C’est la monarchie républicaine prisonnière de sa clientèle. Les autres élus n’ont que l’obsession de leur réélection, ils seront donc toujours impuissants tant que le cumul des mandats n’aura pas été interdit et le nombre de mandat successifs limitées à deux ou trois.

William Genieys : Les rapports de la Cour de comptes et d’autres organismes comme le Commissariat au Plan en son temps, voire les rapports commandés à des anciens grands commis de l’Etat, Gallois, Attali, rappellent régulièrement le problème de la dépense publique. Qui d’ailleurs, n’est pas récent dans la mesure où la politique de rationalisation des choix budgétaires a commencé en France à la fin des années 1970. Par contre, on peut s’interroger sur le fait qu’ils n’ont que rarement été suivis, mais cela n’est en rien imputable à la "technocratie française". Et contrairement à ce que l’on croit, cette dernière a conscience du problème des finances publiques, ce qui fut moins le cas des responsables politiques de droite et de gauche et cela depuis le début des années 1980.

On peut expliquer cela par un raisonnement très simple, les élites de l’Etat inscrivent leurs actions dans la durée, bien sûr quand elles restent dans les structures décisionnaires du pouvoir exécutif, alors que les responsables politiques inscrivent leurs actions dans un temps court en raison des échéances électorales régulières et répétées. On est donc sur un dilemme entre une technocratie qui est dotée d’un "budget temps long" pour son action et des élites politiques qui ont un "budget court". Cela est un véritable dilemme pour la démocratie surtout quand elle est confrontée à la nécessité de réformes structurelles lourdes qui vont forcément avoir un impact sur les élections suivantes.

Par ailleurs, il y a les effets du contexte de crise, qui renforcent la légitimité de la technocratie d’Etat car on pense, ce qui n’est pas faux, qu’elle va nous amener les bonnes solutions aux problèmes. Il ne faut pas oublier que les technocraties se sont développées historiquement dans des périodes de crise (années 1930, Trente glorieuses etc.). Le problème c’est que dans cette situation, les élites politiques, dont on loue facilement l'impuissance à gérer les crises, sont en concurrence avec des élites technocratiques qui proposent des solutions souvent très impopulaires. Cette rivalité aux frontières de la légitimité démocratique ouvre une voie royale aux responsables politiques qui inclinent vers le registre du populisme. C’est assez paradoxal que ceux qui affrontent la politique des problèmes soient grimés en grands manipulateurs dominant une classe politique qui se couche par des leaders populistes et que cela trouve un certains écho.

Soyons clair, les élites d’Etat en France ne sont pas le problème, ce sont simplement des acteurs qui inscrivent leur action sur le temps long et proposent par conséquent des solutions politiques durables.


En savoir plus sur http://www.atlantico.fr/decryptage/technocrates-vont-finir-avoir-peau-politique-en-france-severin-naudet-william-genieys-david-vallence-685801.html#HET5Xx25uhvdPkgU.99

Voir également à ce sujet :

 * La France est-elle réformable ?     

 * Acte III de la décentralisation : Projet de loi de décentralisation : Jean-Jack Queyranne condamne « un texte fourre-tout, ringard et monstrueux »

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