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Publié par ERASME

On aurait pu un instant rêver qu'une démocratie moderne comme la France aurait su développer une culture de l'intégrité et, en cas de défaillance, des contre-pouvoirs puissants, car indépendants, le moins qu'on puisse dire est qu'on en est bien loin.

On ne se consolera pas néanmoins que la corruption ait gangrené bien des épisodes de la Ve République, y compris la gauche qui n'a pas toujours su, malgré les grands discours sur l'argent qui "corrompt", l'argent qui "salit", s'écarter du vénéneux mélange des genres qu'implique la corruption en politique.

Tout d'abord, la corruption, au-delà du délit réprimé par le code pénal, c'est un état d'esprit qui consiste à faire prévaloir ses intérêts privés à l'intérêt général, à défendre son portefeuille, ses privilèges, avant le bien public.

Depuis 2007, Nicolas Sarkozy a voulu décomplexer l'argent. Il a réussi, au-delà de ses espérances, puisqu'il a plutôt décomplexé le conflit d'intérêts, le mélange des genres, les conflits clientélistes, bref, toute cette cohorte de comportements qui a abouti à une privatisation de l'Etat et un discrédit de la parole publique. Certes, il existe des facteurs macroéconomiques lourds qui, de façon tendancielle, ont nourri toutes ces dérives.

La tyrannie de l'argent n'a jamais été aussi prégnante sur les esprits. L'argent, nouveau veau d'or de nos sociétés contemporaines, les effets pervers de la financiarisation de l'économie, le culte de l'individualisme forcené, tous ces facteurs ont fait le lit du spectacle navrant que nous offre le mélange malfaisant de la politique et des affaires.

On doit aussi se souvenir que la crise économique, parce qu'elle est source de précarité et de rareté des emplois, peut légitimer parfois des attitudes de plus en plus opportunistes. La boucle est ainsi bouclée.

La singularité de l'ère Sarkozy, c'est bien d'avoir favorisé un nivellement éthique par le bas, un déniaisement des comportements où le cynisme devrait s'identifier à l'efficacité, le sentiment arrogant de l'impunité à une nouvelle culture de nos élites politiques. Un deuxième effet pervers lourd de ce climat corruptif, c'est évidemment de favoriser une société d'intrigants, de courtisans et d'obligés.

Merci aux peuples arabes d'avoir rappelé que la corruption est un cancer pour l'Etat de droit et la démocratie. Elle y est vécue de façon de plus en plus insupportable, car elle est identifiée comme source d'appauvrissement, mais également comme une gangrène, source de menace pour toutes les libertés publiques.

Nous vivons douloureusement depuis trois ans mille exemples de cette intrusion systématique dans le travail des juges, quand ils s'approchent du coeur de ceux qui s'installent dans ces connivences délétères entre l'argent et le pouvoir. On a pour l'instant échoué à dépénaliser le droit des affaires, à supprimer le juge d'instruction, à interdire les lettres anonymes, toute mesure qui participait d'une volonté de voir institutionnalisée l'impunité au profit de ceux qui sont au centre de la culture de corruption qui salit aujourd'hui notre pays et notre démocratie.

D'autres initiatives ont été nettement plus couronnées de succès. L'institution de lieux classés secret-défense, véritables sanctuaires dont l'accès reste interdit à ceux qui ont pour mission de rechercher la vérité sur les délits les plus graves ; mais aussi l'instrumentalisation du secret-défense pour dissimuler des secrets privés, car la culture du secret escorte toujours celle de la corruption.

Tous les pouvoirs deviennent ainsi une menace et les journalistes le sont aussi. Autocensure ici, reprise en main par l'actionnariat là, les exemples de ces intimidations sont légion. Si la conception du secret des sources de M. Claude Guéant était retenue, il n'y aurait plus de secret des sources, des journalistes récemment en ont fait les frais.

Encore une fois, ce n'est pas l'argent qui a été décomplexé mais le mépris des principes qui accompagne toujours les logiques vénéneuses de collusion qui sont au coeur des scandales que nous traversons. Que dire, par ailleurs, des effets de cette culture de la corruption s'agissant de l'image de la France à l'étranger et de sa politique internationale.

L'image de la France en Afrique, et au-delà d'ailleurs, s'est largement érodée. Les agents de la "France Afrique" mais aussi une conception exclusivement sécuritaire et marchande de notre politique étrangère ont fait le reste. Quel chef d'Etat, quel membre de la société civile, à Dakar ou à Rabat, peut donner le moindre crédit à la parole de la France quand ceux qui doivent l'incarner semblent pouvoir accepter d'être les receleurs de l'argent volé aux populations concernées ? Comment imaginer que la vocation de la France à diffuser son message universaliste, dont la version moderne est un appel incessant à la bonne gouvernance, puisse ne pas partir en fumée ?

Enfin, c'est toute la légitimé de la loi pénale, mais aussi de la loi tout court, qui peut se trouver questionnée, d'abord par ceux qui souffrent quotidiennement de l'austérité, ceux auxquels on demande des sacrifices exemplaires pour que la dette de la France ne perde pas le triple A.

On attend des fleurons de notre CAC 40 mais aussi de nos PME exportatrices d'être exemplaires dans le respect de la convention de l'OCDE qui réprime la corruption d'agents publics à l'étranger. C'est une tâche difficile face aux entreprises chinoises et malaises qui imposent un dumping éthique sans limite. Leur demander d'être exemplaires ne signifie plus rien quand on ne l'est plus soi-même. C'est aussi tout le chantier de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises qui s'en trouve menacé.

Les logiques corruptives conduisent donc au mépris de tous les contre-pouvoirs et, de ce point de vue, sont une grave menace pour la démocratie. Puisqu'on ne peut pas faire confiance à la conscience morale de tous les décideurs publics, il faut donc envisager un renforcement spectaculaire de l'indépendance et de l'autorité des contre-pouvoirs dans ce pays.

Il faudrait évidemment revisiter tous les mécanismes de désignation des plus grands emplois publics, briser la servitude du parquet par rapport à l'autorité politique, légiférer courageusement sur les conflits d'intérêts, au lieu de se contenter de quelques chartes cosmétiques. Le chantier est immense, la loi ne suffira pas, il faudra une rupture courageuse avec des comportements qui font la litière de tous les populistes.

 


William Bourdon est avocat. Ancien secrétaire général de la Fédération internationale des droits de l'homme, a fondé en 2001 l'association Sherpa.

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