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Publié par Patrice Cardot

Invité du Forum économique mondial de Davos, le président français a de nouveau appelé, le 27 janvier, à une refonte du capitalisme. Mais, dans cette entreprise, il compte moins s’appuyer sur l’Union européenne que sur le G20.

Cet Etat, en somme, a tout inventé : la nation, la citoyenneté, l’égalité, la liberté aussi, la voie vers l’unité européenne évidemment. Et, aujourd’hui, il va devoir aller plus loin encore et réparer le système capitaliste. Cet Etat n’est pas une invention socialiste ni une chimère de gauche. Il n’est pas non plus une idée récente ni le fruit de l’imagination postmoderne : il est antérieur à la division du monde politique en deux hémisphères, et c’est l’œuvre de l’intendant du roi de France Jean-Baptiste Colbert (1619-1693), authentique créateur de l’idée française de l’Etat. A l’époque de la mondialisation triomphante, le colbertisme devait se faire tout petit. En revanche, maintenant qu’est survenue l’avarie, une nouvelle occasion se présente à lui de réparer le capitalisme et d’organiser une nouvelle gouvernance mondiale.
Tel est le fond du discours d’ouverture du Forum économique mondial prononcé par Nicolas Sarkozy, le 27 janvier, à Davos. C’est la première fois qu’un président français en exercice s’exprimait à l’occasion de ce sommet annuel, qui incarne mieux que toute autre institution les vices et les vertus de la globalisation (ou de la mondialisation, comme préfèrent dire les Français). Quand Obama défend la “guerre juste” tout en recevant le prix Nobel de la paix, Sarkozy condamne le libre-échange, le capitalisme financier et les manipulations comptables à l’endroit même où se trouvent réunis les défenseurs les plus ardents de toutes ces idées. Et il dit sans détour à ces derniers, avec toute l’emphase théâtrale qui caractérise ses discours, que la sauvegarde du capitalisme passera par sa refonte et sa moralisation. Davos est une Bourse du pouvoir. Pas un petit marché quelconque, non, mais probablement l’une des arènes les plus fiables où le pouvoir se distribue mondialement sous toutes ses facettes – économiques, politiques et même morales. Et, au bout du compte, les cotes ne mentent pas. Ce qui monte le mérite, ce qui baisse aussi. La Chine, l’Inde, le Brésil sont en hausse. Les Etats-Unis stagnent, tanguent, superpuissance en transition entre sa solitude passée au sein d’un monde unipolaire et la concurrence et la cohue qui l’entourent dans ce nouveau monde multipolaire. L’Union européenne, elle, baisse – et il faut voir de quelle manière –, tandis que le G20 monte. Les nouveaux hauts représentants européens, le Belge Van Rompuy et la Britannique Ashton, n’ont pas souhaité utiliser ce Forum pour montrer un peu de leur trop rare image publique. Cette absence s’est aussi retrouvée dans le discours de Sarkozy, où l’Europe et ses institutions n’ont pas eu droit à la moindre mention. A l’inverse, le G20 a été présenté comme la grande réussite de l’année 2009, l’esquisse d’un monde enfin gouverné.
La France veut échapper au naufrage des vingt-sept
Le colbertisme de Sarkozy n’est évidemment pas une nouveauté. On peut même penser qu’il est inscrit dans l’ADN des politiques français. Mais, dans sa phase précédente, celle de l’avant-crise, l’énergique président de la République ressemblait davantage à un émule de Margaret Thatcher, prêt à faire des coupes claires dans le secteur public et à réduire l’intervention de l’Etat, qu’à un continuateur de l’étatisme inventé par les Bourbons de France. Or, aujourd’hui, il va au-delà de ses objectifs idéologiques. La France présidera en 2011 le G8 et le G20, et à cette occasion jettera aux orties ses vieux credo pour tenter d’appliquer les idées exposées par son président à Davos, y compris la réforme du système monétaire international via un nouveau Bretton Woods.
Quel intérêt a pour Sarkozy l’Union européenne, quand la France peut jouer directement, l’année prochaine, la puissance réformatrice qui sauvera le capitalisme ? On a pu constater à Copenhague déjà, lors du sommet sur le climat, ce qui se joue aujourd’hui à Davos : la confrontation entre la Chine et les Etats-Unis ; l’ascension de ces irrésistibles qu’on appelait avant les émergents ; l’Europe qui se réduit comme peau de chagrin et se fait absente ; et puis les disparus, ces pays acteurs qui étaient encore tout récemment au premier plan et qui sont subitement sortis du champ de vision ou ont simplement préféré l’absence [allusion à Israël et à la Turquie]. Sarkozy fait monter les paris parce qu’il est conscient de l’enchevêtrement des faiblesses européennes. Nous, Européens, possédons davantage de sièges que quiconque dans les institutions internationales, mais nous comptons et allons compter de moins en moins. On peut sans risque avancer que ce déséquilibre entre une si faible volonté de puissance et un tel excès de sièges aux tables internationales finira par avoir pour l’Europe la pire des conclusions. Et la France ne veut pas sortir perdante du pari ou entend, à tout le moins, sauver les meubles.


PS : Cet article a été publié dans l'édition n°1005 de l'hebdomadaire Courrier International (du 4au 10 février 2010)
http://www.courrierinternational.com/article/2010/01/28/pour-sarkozy-l-union-europeenne-n-a-plus-la-cote



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