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Publié par Olivier Jehin

Outre un coup de projecteur sur la marine et les enjeux de la maritimisation, la dixième université d’été de la défense, les 10 et 11 septembre à Brest, aura une nouvelle fois servi de cadre à de multiples débats et rencontres. Contraintes budgétaires, avenir de la dissuasion, révision du Livre blanc, coopération européenne : les sujets étaient légion et les inquiétudes perceptibles à la veille d’échéances cruciales pour le budget de défense français et la réflexion stratégique. 

Le ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian a profité de son passage à Brest pour réaffirmer sa volonté de relancer un processus européen, parce qu’a son avis, « sans défense européenne, ce sera le déclassement stratégique ». Si cette crainte du déclassement semble aujourd’hui assez répandue sous l’effet de la crise et des coupes claires opérées dans les budgets militaires, d’aucuns ne sont toujours pas prêts à en tirer toutes les conséquences. Tout en affirmant qu’il ne fallait pas mettre de limites préconçues au développement de la défense européenne, l’ambassadeur britannique Sir Peter Ricketts qui est membre de la commission du Livre blanc a rappelé les réserves traditionnelles de son pays concernant les structures de la PSDC. Il faut éviter l’obsolescence de l’OTAN qui « doit rester un lieu de consultation politique aussi pour l’Asie et le Pacifique, pour tenir compte des intérêts des États-Unis », a-t-il dit tout en se disant favorable à une extension de l’influence européenne au sein de l’OTAN, étant entendu que celle-ci dépendra toujours des capacités militaires des États européens. 

Le président de la commission du Livre blanc, Jean-Marie Guehenno a préconisé « une gestion intelligente du réalisme » qui permette en dépit des contraintes budgétaires de « préserver l’outil de défense ». Il a souhaité que le nouveau Livre blanc soit « le plus concis possible » afin qu’il soit accessible à un large public et puisse devenir « une référence dans le débat national ». 

Présentant les grandes évolutions et les principaux défis stratégiques, un officier général a mentionné : (1) l’élargissement du champ de bataille à l’espace et au cyberespace (ces deux dimensions ont été soulignées par beaucoup d’autres intervenants, un orateur envisageant même d’établir une sixième fonction stratégique pour le cyberespace) ; (2) l’évolution du cadre politique et militaire de l’engagement (Nations unies, coalitions…) qui implique d’associer des partenaires et des capacités diverses, ce qui fait de l’interopérabilité un sujet majeur ; (3) le fait que l’action militaire ne se suffit plus à elle seule ; elle doit s’accompagner d’un effort de stabilisation , de gouvernance, et de développement dans le cadre d’une approche global, d’un effort supplémentaire de structuration interministérielle et international ; (4) au plan opératif, la poursuite de l’intégration interarmées, l’accentuation des exigences en termes de précision de la frappe dans la profondeur et l’accélération du cycle acquisition-validation-exploitation du renseignement ; (5) les « game changers » ou facteur d’accélération que sont le prépositionnement (un bon maillage permanent dans les zones de crise permet de réduire le temps de primo-réponse à une crise) et le niveau de préparation opérationnelle des forces.  

Pour Patrick Boissier, ce nouvel exercice de réflexion stratégique devrait échapper au réflexe traditionnel qui l’inscrit dans une démarche défensive appuyée sur une analyse des risques. Le PDG de DCNS estime qu’elle devrait intégrer une ligne positive exprimant des buts et des opportunités. Il faudrait parler de l’économie de défense, des dépenses qui sont rentables, de l’effet multiplicateur des investissements. Patrick Boissier a cité la nécessité d’assurer la sécurité de l’exploitation du pétrole au large de la Guyane (200 millions de barils par jour, soit un milliard d’euros de recettes fiscales annuelles pour l’État) ou encore les 2 milliards d’euros de valeur ajoutée créés par DCNS en France chaque année. Les enjeux maritimes ont été gravement négligés dans le Livre blanc de 2008, a-t-il regretté en évoquant le transport et les ressources maritimes. La France dispose du deuxième territoire maritime mondial et le chiffre d’affaire maritime mondial atteint 1500 milliards d’euros par an, a souligné Patrick Boissier en observant que pour « capter une partie de cette croissance bleue », il faut être capable d’investir dans la sécurité maritime et d’assurer une présence suffisante dans l’espace maritime national. Pour Patrick Boissier, « les difficultés financières offrent une occasion de se poser des questions et de trouver des solutions » à l’échelle de l’Europe. La priorité devrait être donnée à des spécifications communes et au rapprochement entre industriels européens. 

Le président de la commission de la défense du Sénat, le socialiste Jean-Louis Carrère a appelé à « soutenir notre industrie de défense parce qu’elle n’est pas délocalisable » et à faire face à trois dangers : - l’activisme diplomatique américain et l’ultralibéralisme de l’Union européenne ; - la smart défense de l’OTAN qui « est pour moi une machine de guerre de l’industrie américaine » face à laquelle il va falloir être particulièrement vigilant (dans le même registre il a cité le JSF et la DAMB et ajouté qu’il faut « éviter que le pooling & sharing aboutisse au même résultat » ; - la disparition de l’esprit de défense en Europe. « Je reste un Européen convaincu, mais pas béat », a dit Jean-Louis Carrère en déplorant l’absence de doctrine et de stratégie à l’échelle de l’Union. Et d’ajouter : « Tous les États sont responsables des divisions. Nous avons voulus faire l’Europe sur des bases nationales (…) La défense de l’Europe à vingt-sept est illusoire ». Il s’agit donc de la construire par étape, à plusieurs, en partant de la coopération franco-britannique, de celle de Weimar élargie ou de la LoI. Et de conclure, lui aussi, sur l’alternative entre la construction de la défense européenne et le déclin.  

La présidente de la commission de la défense de l’Assemblée nationale, la socialiste Patricia Adam a elle aussi souligné la nécessité de préserver les compétences opérationnelles et de poursuivre la construction d’une base industrielle et technologique de défense rénovée aux niveaux national et européen.  

Organisée chaque année par la CEIS sous l’égide des présidents des commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat, l’université d’été de la défense réunit 450 parlementaires français et étrangers, officiers généraux, industriels, experts, et journalistes spécialisés.

PS : Cet article a été préalablement publié dans l'édition n°543 d'Europe, Diplomatie & Défense (EDD) en date du 18 septembre 2012.

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